Conspiration du réel, Grégory Rateau (par Philippe Chauché)
Conspiration du réel, Grégory Rateau, mars 2022, Préface, Catherine Dutigny, 82 pages, 13 €
Edition: Unicité« Des vies alignées
Verticalité de bâtons de chaise
Sentir cette petite solitude de groupe
cette fraternité de pourboires
sur le chemin rancunier du retour à soi » (Solitudes groupées).
Le réel saute aux yeux de l’auteur dans ce recueil, un réel qui frappe comme un boxeur, des directs de la gauche et de la droite, un réel qui ne s’esquive pas, qui s’agrippe aux phrases et ne les lâche pas. Il s’agit de visages – Les mêmes gueules d’échoués dans le miroir éventré –, un éclat gris de nature – La campagne éteinte / La pluie claque / souffrent les arbres tordus et suppliants –, un cimetière – les gamins courent entre les pierres tombales / indifférents aux inscriptions carbonisées / aux supplications des veuves éplorées – saisis par une plume noire et blanche, granuleuse, comme échappée d’un film muet, où rôdent des fantômes et des ombres.
C’est un livre d’images de l’enfance tremblante, ou de villes traversées par l’homme, l’enfance trahie, les villes qui fracturent ses rêves. Dans Conspiration du réel, le poète romancier s’appuie sur ses pères en romances poétiques, des passeurs qui l’accompagnent, l’éclairent : Benjamin Fondane, Philippe Jaccottet, et Rimbaud : Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. Est-ce la fin du monde ou la fin d’un monde qui se livre sous nos yeux, la fin d’un rêve d’enfance, la fin d’espoirs ? Ou plus simplement le réel qui fracture la langue, le regard, l’inspiration. Nous sommes en Roumanie, à Bucarest, où vit l’auteur, à Tiganesti, à Beyrouth, où se déroule son roman, Noir de Soleil (1), et nous sommes au cœur du mouvement du texte, des visions qui le rendent vibrant, troublant, sombre, le béton est gangréné, les lumières blafardes, ce ne sont que miroirs et trompe-l’œil.
« À présent isolé à la proue
j’use mon pouce pour prédire le climat
avec le secret désir d’une tempête insoumise
des ombres frétillent à bâbord
la Bretagne devient mes Caraïbes
des falaises d’un noir de bête
des îles fantômes » (L’agora).
Grégory Rateau nous offre un recueil où l’auteur navigue en haute mer, en haute dérive, et à la manière de Lautréamont il laisse la beauté poindre derrière les laideurs et les fractures, les paysages qui sombrent, les rues sombres et sales, mais comme un heureux présage, une musique, un piano dans une mansarde, invite Mahler et Satie. La musique sauve le narrateur, c’est un autre réel qui retourne ses sens, son âme et le lecteur.
Philippe Chauché
(1) https://www.lacauselitteraire.fr/noir-de-soleil-gregory-rateau-par-philippe-chauche
Grégory Rateau a signé un roman, Noir de Soleil (Éd. Maurice Nadeau), des recueils poétiques, Le Désir (Éd. Scudo), Éphéméride, feuilles détachées (Éd. Pourquoi viens-tu si tard, Éd. Jeudi des mots), et un livre d’artiste, en compagnie de Danielle Péan Le Roux, Poème païen (Éditions de l’Oeil de la méduse).
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