Conséquences d’une disparition, Christopher Priest (par Yann Suty)
Conséquences d’une disparition (An American Story), septembre 2018, trad. anglais Jacques Collin, 336 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Christopher Priest Edition: DenoëlLe 11 Septembre est-il vraiment le 11 Septembre ? Deux avions détournés par des terroristes ont percuté les tours du World Trade Center, qui se sont ensuite effondrées. Un autre appareil s’est écrasé sur le Pentagone. Et un quatrième s’est crashé dans un champ. Voilà la version officielle. Mais il y a une autre version qui a rapidement vu le jour, une version « complotiste » qui met en avant les contradictions de l’événement, ses mystères irrésolus, ses mensonges éhontés, ses preuves manquantes ou inexactes, ses aberrations scientifiques. Les contradictions sont trop nombreuses, les questions sans réponses également, pour ne pas semer le doute. Et parfois, on peut l’avouer, douter peut être terriblement excitant.
En 2001, Ben Matson, un journaliste scientifique, noue une relation avec une femme mariée (à un homme qui travaille au département de la Défense, ce qui aura son importance), mais en instance de divorce, Lilian Viklund. Ils évoquent l’avenir. Même si c’est compliqué quand l’un vit à Londres, l’autre à New-York. Ils s’organisent. Ils cumulent les miles. Petit à petit, leur projet de vivre ensemble se concrétise. Un jour, ils ont convenu de se rejoindre à Los Angeles. C’est le 11 septembre 2001. Lilian monte à bord du vol American 77, celui-là même qui s’est écrasé sur le Pentagone. Le temps des rêves est terminé.
Des années plus tard, dans un futur très proche d’aujourd’hui, Ben a refait sa vie. Il est marié à Jeanne, a deux enfants et habite une petite île écossaise, enclave européenne à l’intérieur d’un Royaume-Uni post-Brexit, où la circulation devient très compliquée (les Brexiters devraient lire le livre pour voir ce qui risque de survenir bientôt). En écoutant les informations, Ben apprend que des débris de ce qui ressemble à un avion ont été retrouvés dans l’Atlantique et que Kyril Tatarov, un mathématicien qu’il avait interviewé, est décédé. Les événements, apparemment sans rapport avec le 11 Septembre, replongent inexorablement Ben vers son histoire avec Lil, son corps qui n’a jamais été retrouvé, les mystères qui entourent les attentats. Mais pourrait-il y avoir un lien entre cette carcasse, le décès du scientifique et les attentats de 2001 ? La réponse est dans la question et elle fait l’objet de ce roman.
En postface, Christopher Priest précise qu’il n’est pas complotiste, que les thèses évoquant que les attentats du 11 Septembre sont une mise en scène, savamment orchestrée par les agences gouvernementales, tient du délire, « mais certaines choses sont indéniablement intrigantes, et certains sites offrent des arguments plausibles, dérangeants et souvent convaincants d’aller à l’encontre de l’explication officiellement validée ». Ce n’est pas un livre de Thierry Meyssan, mais, comme dans d’autres de ses ouvrages, l’auteur britannique interroge sur notre rapport à la réalité, sur la perception des événements, sur la façon dont on se les approprie pour leur donner du sens. Une théorie va revenir, phrase qui est d’ailleurs mise en exergue du roman : « Si des gens définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences. Autrement dit, c’est l’interprétation d’une situation qui détermine l’action ».
Le personnage, Ben, assure ne pas non plus croire aux thèses complotistes, car, malgré un faisceau « d’indices » qui sèment le doute, il estime que monter un tel projet aurait nécessité que trop de monde soit au courant, le secret aurait fatalement été éventé. Il pense aussi que des élites, élues démocratiquement, ne pourraient pas se livrer à de telles abominations. Elles n’ont pas de sens.
Oui, elles n’ont pas de sens, mais en questionnant les faits, en les regardant d’un peu trop près, ou sous un autre angle, leur nature peut changer. Et si la science s’en mêle, les questions fusent, le mystère s’épaissit. Un exemple : selon des ingénieurs, calculs et cas pratiques similaires à l’appui, il est rigoureusement impossible qu’un immeuble s’effondre sur lui-même s’il a été percuté au sommet, comme l’a été le World Trade Center. S’il s’effondre comme ce sont effondrées les tours jumelles, c’est forcément qu’il y a une charge qui a explosé à la base, dans les sous-sols…
Conséquences d’une disparition est un livre passionnant. Comme à son habitude, Christopher Priest tisse son histoire avec subtilité, dans un style clair, sans effets, mais qui n’est pas pour autant plat. Il joue à la fois le côté science-fiction et prospectif, en imaginant un Royaume-Uni post-Brexit, avec les difficultés au quotidien que rencontrent les habitants, mais il se fait aussi historien, en interrogeant les faits passés. Et il s’amuse à mélanger le tout, pour faire de l’histoire une discipline prospective, presque de la science-fiction. Le livre est stimulant intellectuellement, mais l’auteur n’en oublie pas pour autant son intrigue et sait la rendre captivante. Le livre est un véritable page-turner. Plus Ben cherche à savoir ce qui est arrivé à la femme qu’il aimait et plus il fait de découvertes, plus de nouvelles questions apparaissent et des questions le plus souvent sans réponses. Voilà ce qui fait dire que ce roman est une réussite : on a plus de questions après avoir refermé le livre que l’on a de réponses.
Le plus grand reproche que l’on pourrait faire au roman est son titre français, mais qui n’a rien à envier à l’original, le très banal An American Story. De ce côté-là, l’auteur de L’Adjacent, Les Insulaires, ou L’Archipel du rêve nous avait habitués à mieux.
Yann Suty
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