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Consentir à être vous, Correspondance, Joseph Joubert, Pauline de Beaumont (par Claire Fourier)

Ecrit par Claire Fourier le 06.01.25 dans La Une CED, Les Chroniques

Consentir à être vous, Correspondance, Joseph Joubert, Pauline de Beaumont, Éditions des Instants, novembre 2024, 176 pages, 16 €

Consentir à être vous, Correspondance, Joseph Joubert, Pauline de Beaumont (par Claire Fourier)

Je n’ai pas voulu finir hier soir ma lecture de la correspondance de Joubert et Pauline de Beaumont car je voulais demeurer encore avec eux – et je me trouvais bien à baigner dans cette délicatesse et cette courtoisie, cette bienveillance, cette langue parfaite si agréable à écouter mentalement (je finirai tout à l’heure ; à moi de dire : Encore un instant, monsieur le bourreau).

Je ne voulais pas que Pauline, épuisée par la maladie, meure hier soir ; c’est dire combien l’on s’attache à elle à travers ces missives. On admire du reste le fonctionnement de la poste à l’époque.

Il y a longtemps que je n’ai pareillement été captivée par un livre. Tout y est si vrai et naturel.

Je dois avouer que longtemps je n’ai moi-même écrit que des lettres, et que la forme épistolaire m’est particulièrement chère. Je crois même que c’est celle qui demeurera quand les autres auront disparu. On y touche des yeux un cœur battant, une subjectivité et l’humeur changeante ; on est happé par celui qui semble vous parler à bout portant.

En l’occurrence, nous suivons Pauline dans ses tribulations liées à une famille décimée par la guillotine, les soucis de santé (dont elle va mourir), sommes émus par sa bravoure.

Nous la suivons surtout grâce au souci que Joubert prend d’elle dans ses lettres, car elle-même est discrète quant à ses misères.

Nous aimons la fine intelligence de Joubert, et comme elle s’accorde avec celle de Pauline, nous goûtons sa légère autodérision quand, après avoir prodigué des conseils à sa tendre amie, il se dit prêt à débouler à son chevet en gros sabots et bonnet de laine pour la voir au plus vite, assurant que, sinon, il l’attendra autant qu’il faudra pour tuer le cochon et en tirer la bonne nourriture dont elle a besoin.

Tout ça, si simple, si spontané, sans manière ; aucun chichi.

Joubert parsème ses lettres de réflexions sur des sujets divers ; nous admirons la subtilité nouée à la rigueur de ses jugements – littéraires ou autres.

De la chose publique : « La passion même du bien public serait, en ce moment, une folie… Ils vantent leur sollicitude et ne sont rien qu’inquiets… L’inquiétude va, se démène, va, revient, monte et descend : la sollicitude attentive est aux aguets et se tient coi ; voilà ce que nous devons faire ; ayez le repos en amour, en estime, en vénération : je vous en supplie à mains jointes. Aimez le repos ! Laissez les tracassiers se tracasser ! ».

De Bonaparte : « Cet homme n’est point parvenu ; il est arrivé à sa place ».

De Kant : « Imaginez un latin allemand, dur comme des cailloux ; un homme qui accouche de ses idées sur son papier et qui n’y met jamais rien de net, de tout lavé ; des œufs d’autruche qu’il faut casser avec sa tête et où la plupart du temps, on ne trouve rien… Un esprit français dirait en une ligne et un mot ce qu’il dit à peine en un tome… Un créateur d’ombres opaques qui fait croire qu’il y a dans ces abstractions ténébreuses une solidité qui n’y est pas. Il n’est pas clair. Je me casserai la tête encore une fois contre ces cailloux pour en retirer quelque lumière et n’y gagnerai que de grosses bosses au front… Il manque de “desinvoltura” ».

Châteaubriand, qui devient l’ami-amant de Pauline, et dont elle se soucie, est pour elle le « Sauvage » ; pour Joubert : « L’enchanteur » dont la « prose est de la musique et des vers ».

Joubert écrit : « L’art est de cacher l’art »…

Un des mérites de ce livre (et qui suffirait à justifier sa publication) est de nous communiquer l’envie d’écrire des lettres, de véritables lettres ; non pas semblables, bien entendu, car notre époque réclame une autre manière, mais pareillement empreintes de délicatesse, de courtoisie… et de vocabulaire – ce qui favorise le mariage (devenu si rare) de la nuance et de la rigueur.

 

Claire Fourier



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Claire Fourier

Rédactrice