Complot à Paris, Christian Lestavel
Complot à Paris, Editions les indés, décembre 2016, 242 pages, 17,90 €
Ecrivain(s): Christian Lestavel
« Sommes-nous tout juste bons à reproduire incessamment les mêmes erreurs, comme le font à chaque saison ces milliards de bestioles ? (l’auteur évoque les milliers de fourmis volantes qui viennent s’immoler sur l’ampoule brûlante d’un réverbère) Ou sommes-nous la seule erreur de cette même nature qui finira par regretter de nous avoir engendrés ? Monstres ? Démons ? Ne sommes-nous pas nous-mêmes cette lumière, cette chaleur qui fait de chacun de nous un prédateur dénué de conscience ? A moins que nous ne soyons aussi nos propres proies ? » pose Christian Lestavel en préambule de son livre Complot à Paris, avant de nous précipiter magistralement dans la violence du massacre de septembre 2009, perpétré à Conakry par Dadis Camara et ses sbires.
Moussa Dadis Camara… La plupart d’entre nous ne sauraient mettre un visage sur ce nom. Un capitaine de l’armée guinéenne, président auto-proclamé et dictateur dézingué comme il y en a tant en Afrique et dans bien d’autres pays. Les uns, la grande majorité dite civilisée, déambulent tous frais payés, de leurs bureaux douillets en G7, 8 ou 20, et d’un trait de plume mettent sous paraphe le destin des peuples et des individus. Les autres, une minorité, s’encombrent moins de tergiversations diplomatiques et d’effets de manche. Shootés à leur propre folie, ils y vont carrément à la machette et à la mitraillette.
Les génocides se suivent et se ressemblent. Violence exacerbée, jouissance du sang, barbecues macabres, viols et tortures pour le fun sadique des bourreaux – l’armée, la gendarmerie, la police, les milices – commandités par l’État qui dirige ces exterminations réglées comme du papier à musique afin que nul opposant, famille et enfants inclus, n’en réchappe. Ces crimes d’État ont aussi en commun cette caractéristique : on les oublie vite dès lors qu’ils ne sont pas sponsorisés par le devoir collectif de mémoire, contrition commémorative où l’Occident se place souvent en inquisiteur moralisateur, s’amnistiant allégrement de tous les morts dont il fut et est responsable, directement ou indirectement, dans le monde – ici la Guinée (1).
Massacres à huis clos. Celui de Conakry est juste l’un parmi tant d’autres dont le récit hallucinatoire est fait ici à l’aube d’un jour automnal dans l’Eure et dans la maison de l’auteur, par Ahmed Addiba, une victime parmi les quelques cent soixante. Une photo, celle de sa femme, Marianna, et de sa fille, Sita. Violées et démembrées. « Nous ne voulions pas faire de mal, dit-il. C’était juste un rassemblement pour la paix » autour de Moussa Kourouma, chef de l’opposition se réclamant d’une démocratie sauce africaine.
L’Occident intervenant toujours publiquement après, et en sous-main avant, il incombe souvent aux Droits de l’Homme, quelle que soit l’ONG, en l’occurrence ici Human Rights Watch, qui les représente en la personne sympathique de Steve Carlson, de vider les poubelles débordantes de ces cadavres fumants qui font désordre sur l’échiquier international. « …Personne ne se précipitera au chevet de la population. Dadis Camara est incontrôlable. On le voit venir depuis sa prise de pouvoir. Mais aucune instance diplomatique ne se risquera à brusquer les choses. La diplomatie, mélangée à la realpolitik. Une marmelade internationale qui ne privilégie jamais que les intérêts économiques. Sans compter que tout ce beau monde ira se réfugier derrière la menace d’une confrontation ethnique. Depuis le Rwanda, dit-on, on préfère se tenir à l’écart de ce genre de bordel » lui assène l’un de ses interlocuteurs.
Tout est dit et résume assez bien la seconde partie du livre qui dévoile les sombres coulisses du renseignement, faisant surgir bien des questions. Je ne connais pas suffisamment l’histoire de la Guinée, l’un des pays les plus pauvres du monde malgré toutes ses richesses, mais cela ne n’empêche pas, sans doute pour avoir roulé ma bosse, de constater une fois de plus via cet ouvrage que d’un pays à l’autre, on retrouve les mêmes archétypes. Celui de la corruption tout azimut à ciel ouvert dans les pays les plus pauvres, celui du Blanc libidineux et alcoolisé, homme d’affaires véreux et raciste, baisant local comme un damné, versé dans l’arnaque en tout genre, tel ici ce Dominique Sanchez pilleur de diamants, tellement sûr de sa supériorité blanche qu’il n’a même pas conscience d’être roulé dans la farine par ces Africains qu’il méprise et qui sont au courant de ses moindres faits et gestes, la délation rémunérée et le chantage étant un sport national, ici comme ailleurs. Tout en haut de cette pyramide hiérarchisée avec ses codes et ses règles maffieuses, sa bienséance foutraque, se pressent autour du dictateur haï ou adulé, telles les fourmis autour de leur reine, tous les cloportes du pouvoir. Et tout en bas, le peuple qui subit, court en tous sens pour trouver de l’eau et de quoi bouffer, et en prend plein la gueule pour pas un rond quand il a l’impudence de se révolter.
Cela pour la vitrine. Car derrière dans les coulisses, c’est une autre pièce de théâtre qui se joue. Ubuesque et mortifère. Pétrole, bauxite, or, diamants, uranium, fer, bois et j’en passe sont les enjeux de cette partie de poker diligentée par les intérêts géopolitiques et stratégiques de l’Occident qui manipulent les dictateurs, dans ce cas Guinéens, comme autant de marionnettes mégalomanes aimantées par les boussoles du pouvoir absolu et les détournements de fonds juteux. Pertes et profits personnels sur fond de perversité meurtrière. Et des deux côtés, que le peuple nous foute la paix et crève en silence. L’Occident – dont la sulfureuse Françafrique – laisse ainsi commettre l’irréparable au nom du sacrosaint capitalisme libéral. Il l’alimente à manœuvres comptées, quitte à sortir ensuite les kleenex de la bien-pensance pleurnicharde. Voir les génocides et massacres en huis clos du Burundi en 1972, du Rwanda en 1994, de Conakry en 2009, du Congo (2) depuis 1996 pour évoquer les principaux, sans parler des crimes coloniaux commis par l’armée allemande entre 1904 et 1908 sur les Hereros et les Nama ou ceux de la France au Cameroun dans les années 50 ou encore de la Belgique au Congo.
Georges Simenon écrivit dans A la recherche de l’homme nu : « l’Afrique vous parle et elle vous dit merde ». Christian Lestavel nous montre plutôt qu’on n’en a rien à foutre de ce qu’elle a à nous dire. On ne l’écoute même pas, mais on s’en sert et on collabore à son démembrement. Le massacre de Conakry, nous dit-il, est « le résultat de l’un de mes échecs… ». Soit. Prenons note de ce mea culpa somme toute quelque peu putassier. Après tout, toute action provoquant une réaction et bien que son implication soit anodine, il n’y a pas laissé sa peau. Ce massacre aurait-il pu être évité ? Je ne crois pas au vu de la poudrière africaine, dont, en tant qu’Occidentaux, nous ne pouvons appréhender que les marges et très superficiellement les drames et les morts. Une dictature ne survit que par la répression et la peur concomitante qu’elle nourrit et engendre et surtout, parce qu’elle est fomentée, soutenue et entretenue par les technocrates en col blanc occidentaux à l’externe et à l’interne par les cadres dirigeants du pays concerné. Ainsi va l’Afrique « qui a pour principaux ennemis ses propres fils, ceux qui revendiquent des changements fondamentaux pour leur propre pays mais ne connaissent que l’Europe ou les États-Unis » et dont la plupart finissent gangrénés par la corruption… Mais aussi inconfortable soit-il pour lui de l’admettre, d’une certaine manière Christian Lestavel a collaboré à ce sinistre événement. Il fut l’un des grains de sable de la machine. Agent infiltré, autrement dit un barbouze du renseignement et plus simplement une taupe aguerrie et talentueuse au service de nos institutions, il a répondu à l’invite du gouvernement guinéen qui craignait qu’un attentat mette un terme à la longue agonie de son président autocrate et moribond, Lansana Conté, dernier et fragile rempart contre un chaos redouté par l’Occident. Cette mort subite risquait de provoquer un AVC du business de la Françafrique, dans ce cas en Guinée, qui de toute façon, a bien eu lieu.
Entre écoutes, businessmen interlopes (Dominique Sanchez), footballeurs recyclés (Ibrahima Camara surnommé Capi ou Lansana Keita dit Gaucher), magouilles, fausses sociétés financières, sorciers blancs, ventes d’armes, fonds secrets, jeux d’influence, bakchichs et cadeaux, restaurants et résidences de luxe, on assiste au ballet monstrueux du mensonge et de la trahison organisés, sous couvert de lutte pour la démocratie et ce, avec l’aval du gouvernement français (Sarkozy), les services secrets français chapeautant l’opération. De fait, Christian Lestavel transmet à ses supérieurs tous les renseignements qu’il glane sur les conjurés qui roulent d’abord et avant tout pour eux, écartant soigneusement de leur complot les opposants doux rêveurs – dont Moussa Kourouma – qui, eux, croient à la plausibilité de la démocratie en Guinée. « Tout ce que je vais découvrir à propos de ces personnes sur le territoire français devra être transmis à la DCRG puis à la DGSE avant même que vous ne puissiez l’exploiter en Guinée. Je vous remettrai les documents en main propre – (je me marre !) – après l’aval du service » dit-il au ministre de la sécurité, Moussa Sampil. Finalement, les conjurés seront arrêtés, le vieux lion mourra de sa belle mort et une junte militaire conduite par Dadis Camara prendra le pouvoir, écrivant, parmi d’autres, dans le livre de ses records d’abomination, le massacre de Conakry. Quelques années plus tard, une fois Dadis Camara exfiltré vers le Burkina Faso, certains de ces putschistes occuperont des postes dans les gouvernements suivants ou dans l’opposition, dans les affaires et pour certains, seront impliqués dans des scandales financiers.
Oui, le livre est bien écrit. Le première partie (la description du massacre) témoigne d’un talent littéraire certain, la seconde est plus journalistique car plus factuelle. Oui, ce qu’il raconte est éminemment intéressant et instructif. Oui, c’est un témoignage de première main sur les horreurs mal connues de la Françafrique. Oui, ce livre est riche en enseignements. Mais je n’oublie pas la personnalité ambiguë de son auteur, méchamment machiavélique pour avoir été un spécialiste en infiltration haut de gamme, avec matos et équipe de pointe, qui a pu surnager durant des décennies dans cette fange infecte sans se faire buter. J’aurais envie de lui demander : à quel prix ? Il me fait penser à tous ces hommes vieillissants qui après avoir couru la gueuse sur tous les continents et éculé toutes les tromperies, ne bandent plus et endossent alors l’habit du grand-père archétypal que tout le monde aimerait avoir. Lorsque ce dernier raconte sa vie tumultueuse à ses petits-enfants, il en fait une épopée digne du Petit Prince. Foutaise que tout cela ! Personne ne peut vérifier ses dires, sauf lui. « Je vis, nous dit l’auteur, dans un univers parallèle où je peux tout écouter sans chercher à comprendre les motifs qui proviennent souvent d’ordres émis ou de jeux de pouvoir ». Il y a des romantismes aventuriers qui se digèrent très mal, d’autant plus quand la tragédie des uns se convertit en royalties pour les autres, fonds de commerce éditorial très tendance actuellement. J’aurais sans doute plus d’indulgence pour cet homme, acteur de son époque, si à l’aune de sa lucidité quelque peu et à juste titre désenchantée, il avait joué de son droit à la désobéissance civile. Dire non à tout ce merdier, refuser d’y tremper les mains… propres. L’attrait émoustillant de l’aventure à n’importe quel prix sans doute, de celle qui vous donne la certitude d’échapper à la vie morne du civil lambda. Vu sa profession, il est clair que ses responsabilités sont tout autres que celles de mon boulanger de quartier. Oui, je serais sans doute plus indulgente s’il avait écrit ce livre dans l’urgence de ce massacre, et non une fois les victimes blanchies par les vers, et s’il avait joué son rôle de lanceur d’alerte, même de manière anonyme. Mais bon… comme nous le rappelle l’article de Sylvain Courage (3) dans le Nouvel Observateur, tout cela a permis, entre autres choses, à Bolloré l’Africain de devenir en 2011 manager du port de Conakry, sur lequel il lorgnait depuis 2008, pour une durée de vingt-cinq ans et d’ajouter ainsi une pièce maîtresse à son empire.
La Guinée a souffert et souffre encore aujourd’hui. Les Guinéens ont leur part de responsabilité, tout comme les Occidentaux qui ne sont pas les uniques responsables et coupables du désastre africain. Loin s’en faut ! On en appelle souvent au droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, bien que l’on en soit incapable en ce qui concerne le nôtre. On aimerait y croire. Aujourd’hui, les Guinéens changent de maître et bradent leur destin non plus au plus offrant mais au plus riche. Ils ne sont malheureusement pas les seuls. Son nouveau président, Alpha Condé (4), s’en frotte les mains. La Chinafrique a remplacé la Françafrique (5).
Mélanie Talcott
1) La Guinée fut sous administration coloniale française de 1891 à 1958, date à laquelle elle devint indépendante sous la présidence de Sékou Touré.
3) Guinée, Bolloré, Sarkozy, l’embarrassante affaire du port de Conakry. .
4) Guinée : le menu très économique d’Alpha Condé en Chine, 24 nov. 2016. Alpha Condé fait les yeux doux à Pékin
5) La France écrasée par la Chinafrique.
Vidéo et autres articles
et celui-ci qui est assez drôle : http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2004.bah_s&part=87444
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