Comme une feuille de thé à Shikoku Sur les chemins sacrés du Japon, Marie-Edith Laval
Comme une feuille de thé à Shikoku Sur les chemins sacrés du Japon, mai 2015, 288 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Marie-Edith Laval Edition: Le PasseurIl y a dans la vie des moments qui en changent le cours, mais nous ne nous en apercevons pas tout de suite. C’est lorsque nous prenons conscience des conséquences que nous faisons le lien avec le point de départ. Ainsi, pour Marie-Edith Laval, l’idée d’un pèlerinage sur le chemin des 88 temples de Shikoku est née lors d’une « rencontre hasardeuse » avec un pèlerin japonais sur le chemin de… Compostelle. Elle ne savait pas alors qu’elle vivrait une aventure peu commune qui changerait ou à tout le moins conforterait sa philosophie de la vie. Un an plus tard la voyageuse fait ses premiers pas sur le sol japonais, dans l’été brûlant, s’équipe des indispensables accessoires du pèlerin, et se lance. Les premiers pas dans ce pays inconnu sont hésitants, la barrière de la langue n’arrange rien, pas plus que les codes de cette société, de ce pays dépaysant, ce « fascinant pays couvert de paradoxes ». Les arrivées aux premiers temples lui permettent de se familiariser avec un rituel précis et répétitif, sorte de fil rouge tout au long du parcours, ainsi que l’astreinte quotidienne de l’écriture. Nous suivons facilement Marie-Edit Laval dans ce récit bien documenté. Elle nous donne des informations et ses impressions sur les paysages, les rencontres, les autres, les échanges, les coutumes, l’accueil d’une voyageuse, les joies et les peines d’une marcheuse.
Très vite, au-delà du cheminement et des contingences matérielles, la voyageuse se pose des questions plus existentielles, se demande pourquoi elle se retrouve sur ce chemin, quel sens donner à ce moment particulier. Elle nous fait part de ses réflexions et des raisons qui l’ont poussée à tenter cette aventure : le refus du monde d’aujourd’hui, le souhait « d’être ardemment vivante » et de « se vivre pleinement ». Le besoin « d’effacer son ignorance » en « allant voir ». Le sentiment qu’il faut parfois « lâcher prise », se « désencombrer psychiquement », se « déchôser ». Regarder, sentir, écouter, trouver le bon rapport au réel. Elle fait souvent référence aux illustres voyageurs qui l’ont précédée (Bouvier, White…) pour l’aider dans sa propre démarche.
La marche – parfois la marche douloureuse – semble être le bon moyen pour se « déchôser ». La marche et la solitude, la « solitude choisie » (même si ça n’est pas évident sur ce genre de chemin, très fréquenté). Comme celui de Compostelle, le chemin des 88 temples de Shikoku peut entraîner le marcheur sur un chemin « spirituel ». C’est le thème principal de ce récit : pour Marie-Édith, l’itinéraire devient de plus en plus intérieur, introspectif, spirituel. Le voyage apprend de la vie, la vie apprend du voyage. On le sait : le voyage est souvent l’occasion d’une rencontre avec soi-même, la découverte ou la confirmation d’une autre voie, voire d’une philosophie de la vie. C’est bien sûr le cas pour Marie-Edith Laval. Au fil du temps et du chemin, la voyageuse comprend ce qu’elle ne veut plus vivre, et pourquoi. Il ne lui reste plus qu’à trouver comment et que faire de « cette tentation lancinante et permanente de faire de ma vie un voyage ininterrompu ». Quelques réponses : prendre le temps, ne pas trop penser, ressentir, être en éveil, prendre conscience de la « pleine présence à ce qui est là, sous mes yeux, à cet instant ». Au bout de la route l’auteure et la voyageuses concluent que « le Paradis c’est ici et maintenant ! Et cette porte n’est jamais fermée ». Le voyage n’est jamais une fin en soi mais « une avancée considérable vers (les) terres intérieures » vers « un nouveau chemin qui s’ouvre ».
Ce récit est-il celui d’un cheminement ? D’une expérience spirituelle ? D’une recherche d’une philosophie de la vie ? D’une randonnée un peu audacieuse ? Le chemin vers le bonheur, la liberté ? Un peu de tout ça. Assurément un récit qui troublera les lecteurs un peu casaniers qui n’imaginent pas comment le « vrai » voyage peut modifier nos certitudes, transformer nos façons de voir et de penser, comment une tranche de vie en marche peut (re)donner confiance sur le chemin de la vie.
Lionel Bedin
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