Collusion, Stuart Neville
Collusion, Trad. anglais par Fabienne Duvigneau, septembre 2012, 375 p. 22 €
Ecrivain(s): Stuart Neville Edition: Rivages/Thriller
Avec les fantômes de Belfast, Stuart Neville nous avait plongés au cœur des ténèbres. Des ténèbres de la haine, de la violence, de la rancune, de la guerre civile irlandaise. Collusion mettant de nouveau en scène le fascinant personnage de Gerry Fegan, on pouvait s’attendre à un deuxième voyage plus sombre que la nuit. Or, par-delà la noirceur, ou plus exactement transcendant la noirceur, ce deuxième roman, cette « suite », frappe surtout par sa tonalité et son style baroques. Baroque, au sens où on peut employer ce qualificatif pour les westerns italiens, ceux de Sergio Leone par exemple.
Le Bon, la Brute, le Truand. Trois termes qui s’appliquent presque parfaitement aux trois personnages – tous masculins – qui émergent de cette nouvelle excursion dans l’Irlande des haines récentes.
Jack Lennon, le père éperdu et paumé qui n’a d’autre obsession que de retrouver sa petite fille Ellen dont il est privé et qui court les pires dangers. Gerry Fegan bien sûr – en personnage secondaire ce qui constitue une surprise – enfoncé jusqu‘à la folie dans la culpabilité et la quête de rédemption. Et « le Voyageur », tueur fou, grand nettoyeur presque robotisé, chargé de liquider, entre autres, les deux êtres que justement les deux précédents veulent à tout prix protéger.
Ce personnage de bête à tuer, sorte de clone satanique de Gerry Fegan, en remet une couche sur le flamboiement baroque. En plus de Leone, on a droit à Tarantino. C’est reservoir dogs ou pulp fiction !
La veine western est évidente jusque dans le style :
« Tu es Gerry Fegan, de Belfast, dit Packie Doyle.
- Le Gerry Fegan, ajouta Frankie Doyle. »
Et toute la deuxième partie du livre semble constituer un scénario éternel de western : Fegan est hanté par des souvenirs de scènes passées en flashes back. Le Voyageur n’a qu’une obsession, rencontrer Gerry Fegan et se mesurer à lui, savoir enfin s’il est à la hauteur du mythe que Fegan représente. Le duel s’annonce et aura bien lieu.
« Il voulait savoir s’il pouvait battre Gerry Fegan. (…) Si les flics n’attrapaient pas Fegan avant. Il allait tenter le coup. Que le plus fort gagne, et voilà tout. »
Neville a donc ici privilégié le roman d’action, s’éloignant ainsi de la tension psycholologique des « fantômes de Belfast ». Et le choix – même si on peut regretter la force des « Fantômes » - s’avère plutôt réussi : on se prend jusqu’au bout dans une histoire haletante, violente et qui finit dans la noirceur absolue. Bien sûr, comment en serait-il autrement avec Neville ?
L’Irlande de la guerre civile tient un bel écrivain noir. Car, elle est toujours la toile de fond terrible de la narration. « Collusion » dit le titre : c’est celle qui tricote le réseau infernal des bandes qui se sont constituées au fil de la terreur des années noires et qui n’ont plus grand-chose à voir avec des « idéaux » :
« - Dans tous les coins, dans tous les sens, répéta-t-il. On n’en connaîtra jamais les dessous. Les petites choses et les plus grandes. Les loyalistes qui fournissaient de faux DVDs et des plaquettes d’ectasy aux républicains. Les républicains qui fourguaient du diesel trafiqué et de la vodka de contrebande aux loyalistes. Tout ça nourri par la haine, sous couvert de se battre pour une putain de cause alors qu’ils ne faisaient que s’enrichir mutuellement. »
D’un roman sur l’expiation et le destin, Neville est passé à un roman d’aventure policière. Un règlement de comptes à OK Corral dans la brume de Belfast.
Si vous n’avez pas encore lu Neville, lisez donc Les fantômes de Belfast , c’est un chef-d’œuvre. Collusion ? Pourquoi pas ? Au moins vous saurez le destin de Gerry Fegan ce qui en soi mérite le détour !
Léon-Marc Levy
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