Coffret de 3 romans de David Foenkinos, Gallimard Coll. Folio
Le potentiel érotique de ma femme (2004, 179 p.), La délicatesse (2009, 210 p.), Nos séparations (2008, 218 p.), 20,70 € le coffret
Ecrivain(s): David Foenkinos Edition: Folio (Gallimard)Le potentiel érotique de ma femme (2004, 179 p.), La délicatesse (2009, 210 p.), Nos séparations (2008, 218 p.), 20,70 € le coffret
Lorsqu’un lecteur découvre un écrivain sur un ensemble de trois volumes qu’il lit d’affilée avec un plaisir qui ne faiblit pas jusqu’à la dernière ligne du troisième, on peut affirmer, indéniablement, qu’une immédiate et permanente empathie s’est installée entre eux.
Pourquoi ? Comment ? Quelle est la recette ?
Foenkinos est un romancier malicieux, qui vous entourloupe dans ses histoires dont l’originalité tient au fait qu’elles se fondent à la fois, paradoxe habile, sur l’imbrication d’une série de faits courants marquant la vie quotidienne du couple et de situations des plus inattendues accompagnées de réflexions et commentaires des plus surprenants (au sens propre de l’adjectif) frôlant parfois l’ubuesque le plus débridé. Ainsi, quand le présumé cocu s’interroge sur le cinq à sept de son épouse :
« Dans le mensonge et dans la vérité, les femmes sont fascinantes. Brigitte avait donc des courses à faire et puis, en fin d’après-midi, de cinq heures à sept heures, elle verrait son frère. [Son frère] avait bon dos : qu’est-ce qu’elle pouvait faire avec lui un samedi après-midi ? Non, ce n’était pas possible, personne ne voyait son frère ce jour-là. Les frères, ça se voit surtout le mardi midi. Alors le sang d’Hector fit plusieurs tours (au passage, il battait déjà le dicton). Il entrait de plein fouet dans le sursaut de dignité que tout cocu connaît bien… » (Le potentiel érotique de ma femme).
Foenkinos est aussi un romancier impertinent, qui vous détourne sans cesse du courant de l’intrigue vers les méandres adjacents de la pensée faussement naïve d’un narrateur et vous y enfile avec une créativité débordante des perles époustouflantes ayant des airs de brèves de comptoirs. Ainsi la scène classique de la première rencontre, que l’auteur situe, évidemment, banalement dans la rue :
« Nathalie et François se sont rencontrés dans la rue. C’est toujours délicat un homme qui aborde une femme […] Quand un homme vient voir une inconnue, c’est pour lui dire de jolies choses. Existe-t-il, ce kamikaze masculin qui arrêterait une femme pour asséner : “Comment faites-vous pour porter ces chaussures ? Vos orteils sont comme dans un goulag. C’est une honte, vous êtes la Staline de vos pieds !” Qui pourrait dire ça ? » (La délicatesse).
Ou la relation de cette autre rencontre, à laquelle repense le narrateur, qui s’est produite quelque temps avant, au cours d’une soirée, évidemment, et, vulgairement, dans une cuisine, dans un cercle d’invités ne se connaissant pas où il a eu le coup de foudre pour une des filles lui faisant face :
« J’ai pensé : la prochaine fois que je tombe amoureux, je prends aussi le numéro de la fille d’à côté (on ne sait jamais : je suis peut-être destiné à ne rencontrer que les femmes qui sont juste à côté des femmes de ma vie) » (Nos séparations).
Peut-on ne pas s’ébaubir à découvrir ces notes de bas de page, illustration drôle de la relation que feint d’entretenir l’auteur avec ses personnages, comme si… ceux-ci n’étaient pas ses propres créatures ?
1. C’est étrange de s’appeler Alice et de travailler dans une pharmacie. En général, les Alice travaillent dans des librairies ou des agences de voyages.
2. A ce stade, on peut s’interroger : s’appelait-elle vraiment Alice ? (La délicatesse).
Foenkinos est définitivement le romancier des comparaisons incongrues, des rapprochements d’hurluberlu, des « comme si » qui vous décontenancent, vous désarçonnent et vous éberluent, vous laissent un instant perplexe, bouche bée, sourcils froncés, avant qu’une subite et irrépressible bouffée de rire ne manque de vous faire sauter le livre des mains, comme si… avait jailli de la page brusquement l’auteur déguisé en trublion soufflant tous azimuts dans une trompette… comme si…
« Ah, non, désolée, je ne peux pas. Je vais au théâtre ! dit Nathalie comme si elle annonçait la naissance d’un enfant vert » (La délicatesse).
« Il arrivait fréquemment que je prenne en charge nos ébats, et j’aimais alors tenir sa nuque comme s’il s’agissait de son cœur » (Nos séparations).
« Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité » (La délicatesse).
Ne nous y trompons pas pourtant ! Sous l’apparente absurdité de telle réplique, sous l’immédiate irrationalité de telle intrusion, sous le burlesque affiché de telle association d’idées coule un flux constant de tendresse, de détresse, de lucidité qui irrigue la narration et lui donne cette puissante tonalité tragi-comique qui est celle, fondamentalement, de toute relation amoureuse.
Car Foenkinos est le romancier du pire et du meilleur de la vie de couple.
« Nous sommes allés chez Ikea, et nous nous sommes disputés chez Ikea. Dans ce grand magasin, ils devraient embaucher un conseiller conjugal. Car s’il existe un endroit où le cœur des couples se révèle, c’est bien là » (Nos séparations).
Un plein coffret de « délicatesses » littéraires à offrir…
Patryck Froissart
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