Claude Nougaro, le parcours du cœur battant, Christian Laborde
Claude Nougaro, le parcours du cœur battant, Editions Hors-Collection, février 2014, 192 pages, 29,90 €
Ecrivain(s): Christian Laborde
« Que la vie soit feu d’artifice
Et la mort feu de paille… »
Dix ans déjà. Au Casino du sang, le roi de la plaquette, c’était lui, disait-il dans le souffle malicieux d’un ultime texte aux jeux de mots poignants. Mais c’est raté, Claude. Quoi ? La mort, à la fin de ce satané « concert du pancréateur » – triomphe à guichets fermés – ne vous a pas laissé coi. Oui, dix ans après, cette voix de mousses et d’entrailles, cette voix des galets bleus de l’âme, chante encore dans nos mémoires, où elle s’est installée à demeure, parmi les grands convoyeurs d’infini que sont Brel, Brassens, Ferré ou celle qu’il aimait tant et qui l’aimait tant, Edith Piaf.
La drague douce est une drogue dure. Et Christian Laborde sait de quoi il parle. Sait de qui il parle : lui, son « frère de race mentale » dixit Nougaro himself, nous offre un splendide album-hommage pour saluer « l’homme aux semelles de swing », le « gascon d’Honolulu », le « Yasser Arafat du blues ». Ecrire sur Nougaro, c’est être condamné sans doute à l’épique, tant il y a du héros dans cet immense petit homme, qui malaxe dans la rocaille toulousaine de sa langue unique, le jazz et la java, les tambours du Brésil et les jolies cymbales des femmes, Dave Brubeck, Mohammed Ali, Jacques Audiberti…
Truffé d’anecdotes savoureuses, le livre lève avec lui toute l’effervescence d’une époque, où la chanson, la littérature, l’art, prenaient aux tripes et tenaient au corps. Définitivement. C’était celle du Lapin agile, celle des « patrouilles » interlopes dans les nuits parisiennes depuis son atelier de l’avenue Junot, celle des tournées générales où l’on chante comme on boit… Christian Laborde restitue ce « parcours du cœur battant » avec l’inventivité qu’on lui connaît depuis L’Os de Dionysos. Pas de temps mort, ici ça fonce à tempo ouvert, comme dans ses précédents livres consacrés à son ami, comme dans les tours de pédaliers des coureurs cyclistes qu’il vénère. L’écriture sonne, résonne, bastonne, vise dans le lard pour redonner aux mots leur propre viande « façon jambon d’York ». Faire mieux qu’une simple évocation de papier : redonner chair, redonner corps, redonner voix à l’ami magnifique qui entre alors en scène, et les poursuites s’allument, il va chanter encore sa « ballade occitane ».
De superbes photos agrémentent le texte, clichés d’amis, de voyage, de concerts, portraits d’artistes ou instantanés personnels, ainsi que des dessins de Claude Nougaro, avec leur tracé proche de ceux d’un Cocteau qu’il aimait tant. Ce sont aussi de nombreux documents de première main, des lettres de proches (Cécile, sa fille…), des témoignages poétiques (voir le long acrostiche que le poète toulousain Serge Pey lui consacre), musicaux (Maurice Vander, Bernard Lubat, André Minvielle, Art Mengo, Richard Galliano, Francis Lassus…) ou amicaux (Catherine Deneuve…). L’ensemble compose un splendide volume où le cœur bat, le sien, le nôtre, comme un coq devant une pendule.
Alors, oui, dansons sur lui, dansons sur lui le soir de nos fiançailles.
Dansons sur lui, jusqu’au jour de nos funérailles.
Frédéric Aribit
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