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Clapotille, Laurent Pépin (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 18.11.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Contes

Clapotille, Laurent Pépin, Éditions Fables Fertiles, juillet 2024, 125 pages, 17,50 €

Clapotille, Laurent Pépin (par Catherine Dutigny)

 

Clapotille clôt une trilogie commencée par Monstrueuse féerie et L’angelus des ogres.

Une trilogie écrite sous le sceau du conte, oscillant entre le merveilleux et l’horreur. Laurent Pépin, tout au long de ces trois opuscules, crée une atmosphère oniroïde dans laquelle se déroule un échange particulier entre le narrateur du livre et le lecteur, qui n’est pas sans rappeler la relation hypnotique. Son choix formel est sans doute lié à son activité en tant que psychologue clinicien et à sa connaissance de la fonction du conte en tant que modalité d’accomplissement du désir au même titre que le rêve, la fantaisie éveillée ou le cauchemar.

Un conte n’est-il pas également le moyen de proposer une figuration d’un dérèglement ou d’une crise psychique pour déboucher sur les voies de son dépassement ?

Les trois ouvrages de Laurent Pépin forment bien plus qu’un conte moderne. Ils explorent des profondeurs psychiques, et plus particulièrement dans Clapotille, les affres d’une enfance brisée, celle du père putatif, et le fragile espoir de guérison à travers la relation fantasmatique entre ce père en souffrance et sa fille imaginaire, tout droit sortie des limbes. Ils sont également l’occasion pour lui de dénoncer les pratiques des hôpitaux psychiatriques où le patient est devenu un enjeu à une hypothétique réinsertion sociale (L’angelus des ogres) et où rêver devient un délit et inaugure le règne de la « pensée filtrée » (Clapotille). « Ceux qu’on appelait déjà Les Briseurs de Rêves s’infiltraient dans tous les débats, les réunions publiques donnaient lieu à des règlements de compte. Le rêve, la littérature, la musique, les arts, les phénomènes météorologiques susceptibles d’éveiller l’émerveillement étaient considérés comme des délits qui mettaient en danger la santé publique » (p.26).

Clapotille, cette enfant née d’un esprit tourmenté, d’un dessin dans la neige, prend forme et vie dans l’imaginaire du narrateur, un psychologue clinicien hanté par ses propres Monstres comme l’Homme-bête, le Taxidermiste, le Démuni, le Monstre de la caverne, ou encore l’Amour-en-famille. Elle n’est pas seulement une fille habitée par son géniteur, mais une guérisseuse onirique, un être éthéré capable de fabriquer des rêves et de les insuffler aux enfants, de faire fuir les cauchemars et de canaliser l’amour dans un simple baiser sur le front pour apaiser les terreurs de son père. Ce dernier, marqué par la maltraitance de son enfance, craint la répétition de ce traumatisme sur sa fille. Ses Démons, ses Voix, lui soufflent de la figer dans cet état d’enfance éternelle. L’enfant chimérique s’interroge : « Ils sont de plus en plus nombreux, les Monstres. Comme s’ils mutaient constamment ou faisaient des petits. Maman dit que si ça continue, je ne pourrai pas rester vivre avec papa. Le problème, c’est qu’il n’y a rien pour moi, dans le monde des autres. Et je suis la seule à pouvoir le soigner ».

Mais Clapotille grandit, voire s’émancipe et vient le temps où ses propres désirs prennent forme, où sa sexualité s’éveille au hasard de sa rencontre avec un jeune garçon, Antonin, lui aussi sorti des limbes. Son père aura-t-il le courage et sera-t-il apte à accepter cette transformation et si oui, en brisant l’emprise qu’il exerce sur elle, lui accordera-t-il, avec ce qu’il lui reste de capacité à aimer, la liberté à laquelle elle aspire et dont lui-même a tant besoin pour guérir ?

Le récit se distingue par sa capacité à transformer une relation père-fille imaginaire en une métaphore puissante de la résilience humaine. Laurent Pépin propose des chemins pour transcender une crise psychique, tout en laissant une part de mystère qui pousse le lecteur à interroger sa propre part d’ombre. La complexité et la richesse de cette œuvre invitent chaque lecteur à une introspection délicate, dans un style littéraire qui, bien que subtil et poétique, demande une immersion complète. Le style poétique et onirique entraîne le lecteur dans un voyage où le lâcher-prise est essentiel, sa prose exige en effet que l’on s’abandonne à cette atmosphère étrange et fascinante. Elle nous invite à réfléchir sur nos propres démons et sur la possibilité de rédemption.

Ce n’est pas une trilogie qui se lit, mais une trilogie qui se vit, qui résonne avec des peurs primales, « des souvenirs cassés » pour reprendre l’expression de l’auteur, des désirs intimes, et dont Clapotille est la perle « merveilleusement » enchâssée.

 

Catherine Dutigny

 

Laurent Pépin est psychologue clinicien de profession et écrivain. Diplômé de l’Université Rennes 2, il est devenu psychologue à l’âge de 30 ans après avoir exercé plusieurs emplois, dont celui d’aide-soignant en EHPAD. Les éditions Fables Fertiles ont publié ses trois romans : Monstrueuse féérie (en 2022), L’angélus des ogres (en 2023), et Clapotille (en 2024).



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A propos du rédacteur

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


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