Clandestin, Philip Caputo
Clandestin (Crossers), traduit USA par Fabrice Pointeau, 736 p. 22 €
Ecrivain(s): Philip Caputo Edition: Le Cherche-Midi
Une épopée américaine. Avec Clandestin, Philip Caputo se plonge dans un siècle d’histoire américaine, de l’avant-veille de la première guerre mondiale au lendemain des attentats du 11 septembre. Attentats au cours desquels est décédée la femme du personnage principal du livre, Gil Castle. Elle a été « atomisée ». Son corps n’a jamais été retrouvé.
Castle ne parvient pas à se remettre de cette disparition. Il entre dans une longue phase de dépression, est à deux doigts de se suicider, mais se ravise au dernier moment, le fusil en main, pour ne pas imposer cette nouvelle épreuve à ses filles.
Finalement, il plaque son boulot de grand ponte de Wall Street (mais garde quelques millions de dollars sur son compte, ce qui sera très pratique pour la suite du roman, mais qui s’avère également une facilité scénaristique certaine…) et part s’installer en Arizona, près de la frontière mexicaine, dans une cabane située sur les terres de ses cousins.
Une nouvelle vie débute, qu’il passe entre parties de chasse avec son chien et lecture de Sénèque. Petit à petit, il retrouve goût à la vie.
Un jour, Castle découvre un Mexicain à moitié mort dans un fourré. C’est un clandestin, Miguel, qui cherchait à passer la frontière pour décrocher un travail aux Etats-Unis. En cours de chemin, il s’est fait détrousser, puis s’est retrouvé pris au milieu d’une affaire de drogues.
En secourant cet homme, Castle n’imagine pas encore qu’il a mis en branle toute une mécanique qui mêlera clandestins, barons de la drogue, équipes du FBI, agents infiltrés…
Parallèlement à Castle, on suit la vie d’un de ses ancêtres, Ben Erskine, au début du vingtième siècle. Ben est un cow-boy à l’ancienne, au coup de poing facile, engoncé dans ses principes, et qui a du mal à admettre le passage d’une époque à une autre. Le monde entre dans la modernité, mais il ne peut pas, ne veut pas s’y faire.
Tous les éléments du grand roman américain sont là (époques qui se chevauchent, dimension politique, personnages happés par l’histoire, l’histoire familiale qui rejoint celle d’un pays) mais le grand roman attendu n’est pas au rendez-vous.
Le livre souffre de quelques longueurs. 700 pages, c’est sans doute un peu trop pour ce que l’auteur a à raconter. Il a souvent besoin d’un peu trop de pages pour expliquer les choses. Il a aussi tendance à lourdement insister. Il prépare ses coups à l’avance, nous prévient deux, trois, quatre fois que quelque chose va survenir, comme s’il ne faisait pas assez confiance à ses lecteurs.
Philip Caputo aborde des thématiques chères à Cormac McCarthy (d’ailleurs la quatrième de couverture nous promet que si nous aimons le grand McCarthy, on adorera Caputo…). L’histoire de Ben se déroule à peu près à la même époque que des romans comme de Si jolis chevaux ou Méridien de sang, dans les mêmes environs, cette frontière incertaine et poreuse que certains veulent franchir, que d’autres protègent. Un monde disparaît, un autre naît. Mais force est de constater qu’à côté de Cormac McCarthy, Philip Caputo fait figure d’élève sage et appliqué. Il n’y a pas la même tension dans la phrase, la même mystique, et encore moins le souffle épique.
Les personnages sont par moments trop mièvres, trop fleur bleue. Leur psychologie manque de relief. Une fois leur comportement fixé, ils ne changent pas beaucoup. Ils ont tendance à être engoncés dans le rôle et à ne pas en dévier.
L’ensemble tient néanmoins la route pendant 500 pages. L’auteur sait faire preuve d’empathie pour ses personnages, les rend attachants. Mais toute la fin fait capoter le livre. Elle ne tient absolument pas la route. Elle manque de crédibilité. L’auteur semble l’avouer lui-même, par le biais de l’un de ses personnages, lors de l’ultime page. Comme s’il était lui-même résigné, qu’il avait conscience d’être passé à côté de quelque chose.
« Ça semble un peu, vous savez, tiré par les cheveux ».
Yann Suty
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