Cité perdue, Marie-Bénédicte Loze, Lyonel Trouillot (par France Burghelle-Rey)
Cité perdue, Marie-Bénédicte Loze, Lyonel Trouillot, éditions Bruno Doucey, mars 2019, 80 pages, 14 €
Ecrivain(s): Lyonel Trouillot
A l’orée du Printemps des poètes, Bruno Doucey publie un recueil écrit à quatre mains par le grand écrivain haïtien Lyonel Trouillot et une jeune française qui signe son premier ouvrage ; celui-ci est accompagné de très beaux dessins d’Ernest Pignon-Ernest. Le poète fait partie des écrivains de son pays qui ont fait le choix de rester vivre à Port-au-Prince. Le voici sans doute inspiré par son pays que l’on sait en détresse.
Après deux exergues d’Aragon et Davertige, dans lesquels revient trois fois l’idée d’amour, le livre s’ouvre sur un texte en prose qui sera unique et qui parle d’un conte sans le nommer où de la haine naîtra « la beauté des recommencements ». Plus qu’un pari, cette expression annonce le thème du chant proposé. Et cela, malgré l’incipit du premier poème qui convie le lecteur à une triste aventure humaine :
Derrière la muraille des faux-semblants
La haine,
Le mensonge,
L’absurde leçon de choses des langues retournées.
Puis la question se pose à la fois des causes et du « tribut » à payer à cette honte des poings levés, des dos tournés, des « portes closes », auxquels le premier dessin d’Ernest Pignon-Ernest répond par une main dressée vers le ciel, doigts écartés, symbole de don et de paix.
Avec le poème éponyme du titre où la Cité est comparée à un cercueil, s’amorce l’espoir évoqué dans les dernières pages du recueil quand des remparts sont érigés contre la violence de la nature. Le texte suivant confirme cette réaction à la décadence :
Hier, les mains artisanales du scribe et du maçon
Nous ouvrirent les passages qui lient
plaines et montagnes
Et élevèrent nos chants à hauteur d’idéal.
Mais la déploration n’est pas achevée et il faut décrire cet état de mort avant de redire que l’avenir pourra renouer avec un passé édénique ? La nouvelle main d’Ernest Pignon-Ernest posée alors entre deux seins est une promesse de fécondité et de renaissance.
La liste des horreurs vécues dans la Cité perdue n’est cependant pas finie, et au mitan du livre des hoquets sous forme de substantifs apparaissent comme autant de cris de dégoût :
Voici crevasses et oripeaux
Voici razzias et fondrières
Empalement… Chaînes… bris… Sacs…
Saccage…
La nature saccagée, la servitude des femmes, l’enfant vaincu comme son père, tout est « défaite » et « désespoir ». Dans cette Cité haïtienne d’un pays en détresse, archétype même de toute ville en guerre, se trouve « la main de la misère et les yeux de la faim ».
Des poèmes courts en vers libres de mètres variés avec chacun leur structure, et dans lesquels le travail des sons contribue à un certain lyrisme, expriment ce besoin de liberté et de révolte au même titre que la main nue de la victime qu’il faut lever encore vers le ciel. Une double page de mains dessinées dans leur union – l’une tient serré le poignet qui soutient l’autre – intervient après cet acmé de la douleur. Le poète peut alors écrire :
Gloire aux mains généreuses
Qui jettent piécettes et vieilles casaques
Et retournent à leur fête
Mais ce mot Gloire mis trois fois en anaphore résonne rétroactivement de façon ironique lorsqu’on lit ensuite : « Le sourire, côté face, a tourné au rictus ». De violents regrets s’expriment encore jusqu’à l’avant-dernier dessin : une main tirant une corde solide qui n’est autre que le symbole de la force toujours vive et fière devant l’avenir.
Enfin s’ouvre le chant d’un credo « Je veux croire à la paume ouverte », que confirmeront, à la clôture du recueil, deux mains ouvertes, symbole d’amour et de non-violence, en attente du meilleur.
Les poèmes de la fin sont une ode à l’humanité résiliente et pleine, après les épreuves, d’une joie retrouvée. Des verbes d’action annoncent au futur la mimesis enfin possible aux vainqueurs qui revivent :
Nous peindrons des soleils aux teintes orangées,
Et des lunes légères comme un rire d’enfant
Alors, comme le premier vers d’un péan, peuvent sonner ces mots : « Voici enfin le temps des passeurs de lumière ».
France Burghelle Rey
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