Cinq femmes chinoises, Chantal Pelletier
Cinq femmes chinoises, janvier 2013, 130 p. 14,90 €
Ecrivain(s): Chantal Pelletier Edition: Joelle Losfeld
Projet du plus grand intérêt : écrire sur la Chine actuelle, ce géant en devenir, ce dragon flamboyant, qu'on regarde tous. Le faire, par la face - moitié du ciel ; les femmes, sur plusieurs générations. Entrer dans cet univers, non de l'intérieur de l'empire du milieu, mais, d'ici – regard occidental, qui décline, mine de rien, une connaissance intime de cette planète étrange, interdite, encore...
La Chine et ses femmes habitent des rayons entiers de littérature occidentale. On a tous été nourris des superbes personnages de Pearl Buck, bien sûr ! D'Han Suyin, et, de la magnifique petite tailleuse échappant, par Balzac, à la Révolution Culturelle, via l'écriture serrée de Dai Sijie, auteur franco chinois.
On était loin, dans l'ancienne Chine, loin, encore, au temps de Mao.
Ici, on est maintenant, et le premier choc du livre, c'est un croisement, un carambolage monstre entre ce qui se passe, et ce qu'on se représente de ce pays. Son gigantisme, géographique, démographique, certes ; cette immense et incessante fourmilière ; ces richesses fulgurantes et ostentatoires, oui. Cet « avoir » qui ne cesse de remplacer l'« être » de Confucius, on le voit jour après jour dans tous les documentaires... ce modèle à l'occidental, dans ce qu'il a de pire, cachant des pans entiers de territoires au rythme demeuré ancien et pauvre... on croyait mesurer. Ce livre propose un voyage au plus près d'une réalité qui n'était pour nous, qu'estompée. C'est, du coup, un coup de poing réussi, au plexus occidental, celui qui croit tout savoir...
Cinq femmes ; qui s'enchaînent l'une à l'autre par les liens familiaux, amicaux, professionnels. Point de vue repris, chaque fois, autrement – un chapitre, une femme, sur la même tranche d'histoire personnelle (à la manière de l'ondulation du dragon des fêtes), éclairée, sobrement - petits membres de phrases coupant comme autant de lames, par les grands faits de la Chine contemporaine : la Grande Famine, la Révolution Culturelle, Tien An Men, le SRAS, la rétrocession de Hong Kong... Ainsi, Xiu, la première des cinq, revivant 68 : « des ombres casquettées aboient, deux coups de fusil claquent, trouent de rouge la veste du père qui tombe face contre terre, comme serti dans la boue »... et la gamine, d'être renvoyée de son école de gymnastique, comme faisant partie « d'une famille de traîtres ».
Les femmes de Chantal Pelletier ne pleurent pas. Silencieuses, souvent dures, elles avancent, elles encaissent et elles fuient, ailleurs. D'abord, quittant la campagne miteuse et encore misérable, pour les quartiers pauvres des villes – Shanghai et son exode rural continu. Pékin, le nord, comme un autre pays ; Hong Kong, autour des années de la rétrocession, un pont entre deux mondes - l'événement- symbolique du livre ? de cette Chine-là. L'occident, enfin, où l'on émigre, où l'on réussit, grâce à l'argent facile ; où l'on s'intègre ? Ça...
Femmes qui survivent en s'envolant sans cesse, qui se protègent en étant de nulle part. Xiu, encore : « sans crainte, la tête froide, elle s'envole, laisse derrière elle la brume qui s'effiloche, les odeurs de poisson, les ivrognes, les fusillés. Elle, qui n'était personne, est peut-être quelqu'un ». Elles existent, ou cherchent à le faire, jouant des coudes. Les hommes, tous, machistes et exploiteurs, ne sont pas si loin de ceux de « La terre chinoise » de Buck. Hommes et femmes ; deux mondes, vivant chacun, à part, et dont les contacts sont d'une dureté d'acier. On sent, que le chemin de ces chinoises passe par un changement massif de leurs « moitiés ». Ce n'est visiblement pas encore à l'ordre du jour. La chaîne des femmes continue ; Baoying : « elle s'est tenu debout pour que sa fille grimpe sur ses épaules... » ; un programme de vie, en soi...
Comme sinistres et durs ilots conservateurs et répressifs, surnagent ça et là, des rapides pour le moment infranchissables, dans un pays où existe encore la peine capitale : l'homosexualité, la parité socio économique, les droits familiaux de la femme...
A coup d'écriture ciselée, ne cherchant pas l'effet bruyant, d'une précision d'horloger, Chantal Pelletier nous offre en un petit livre serré, qui va sans cesse au cœur, une entrée d'aujourd'hui, en Grande Chine, par celles qui la font, et la subissent, hélas, encore...
Martine L. Petauton
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