Chroniques des années d’amour et d’imposture, Christophe Fourvel (par Sylvie Zobda)
Chroniques des années d’amour et d’imposture, Médiapop Editions, mai 2019, 459 pages, 18 €
Ecrivain(s): Christophe Fourvel
Comment écrire un roman aujourd’hui ? C’est la question posée par Christophe Fourvel dans ces Chroniques des années d’amour et d’imposture.
« Longtemps, les artistes ont tenté de fabriquer de l’imaginaire avec de la réalité. Puis il y a eu Proust. Sans doute que Proust, bien avant l’internet, a proposé l’alchimie inverse : faire de la réalité à partir de l’imaginaire. Après, on connaît l’histoire […], nous en sommes à fabriquer de l’imaginaire avec de l’imaginaire. […] Nous n’avons plus que des références fictionnelles ».
L’auteur aime la fiction et propose des personnages nourris au parfum de séries télévisées (Amicalement vôtre, Mannix) et de films (ceux de Rohmer, de Woody Allen, de Buñuel, de Desplechin, des titres cultes comme Le Parrain ou la série des James Bond…) qui les entraînent tour à tour dans un roman familial à partir d’une recette allemande de pommes de terre, un générique du début légèrement décalé, des trouées comme la télévision sait nous les proposer au cœur d’une fiction, un roman d’espionnage, un non générique de fin.
Lire Christophe Fourvel c’est aimer se lover dans la dentelle fictionnelle, admirer les fils entremêlés de l’intrigue, dans l’élégance d’un travail artisanal où chaque phrase est travaillée avec précision. Sa cuisine part d’une recette qui mélange pommes de terre râpées et purée, à l’image de Julien, un auteur qui tente d’écrire un roman et d’Hector, son frère, au caractère et à la vie si différente. Peu à peu leurs histoires se lient pour faire un plat original, savoureux à souhait, saupoudré de faits balayant la période allant des années 1970 à aujourd’hui.
L’enjeu de ce roman réside dans des choix multiples. Les histoires s’imbriquent les unes dans les autres, à la façon de figures à géométrie variable. Le livre est ponctué de formules algébriques.
« Je crois que comme les mathématiciens, comme tous les naufragés volontaires du monde abstrait, je peux imaginer traverser un fleuve et me sentir comblé par une seule projection mentale ».
Le mot chronique est ici pleinement travaillé. Il s’agit autant de récits avec des personnages fictifs que d’un recueil de faits réels et de commentaires d’une actualité passée, à la façon d’une chronique journalistique dont la ligne éditoriale serait une réflexion sur l’amour et la politique. Reste à savoir où placer l’imposture dans ces deux thématiques. L’auteur propose des pistes, parfois des réponses définitives.
« Un président capable d’être à la fois l’économiste, le philosophe, l’humain, l’écologiste dont un pays a besoin est une imposture ».
Incontestablement Christophe Fourvel s’amuse. Il nous donne des rendez-vous à des pages importantes, un peu comme dans un roman où l’on est le héros. Il nous perd par une déstructuration temporelle totale de la narration. Il fait une critique de son propre roman en proposant des parties où les personnages s’étonnent du contenu :
« Markus, le poinçonneur des lilas scandinave… C’est quoi ce type, qu’est-ce qu’il fout là ? Qu’est-ce qu’il apporte à notre histoire ? Et puis le titre aussi, la recette de pommes de terre des Fritz…, Die klösse, j’avoue que je ne comprends pas bien ».
Surtout, il nous amuse. Son manifeste du groupe Octobre, rappel décalé à la Prévert, écrit par Hector et ses amis bien avinés est un bon exemple de moments jouissifs à souhait. L’humour traverse le roman.
Chroniques des années d’amour et d’imposture est au final un livre qui invite le lecteur à sortir des routes trop tranquilles par son incontestable originalité et la richesse d’un point de vue sur le monde contemporain.
Sylvie Zobda
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