Choix de poèmes, William Butler Yeats (par Murielle Compère-Demarcy)
Choix de poèmes, éditions Petra, août 2018, édition bilingue, trad. anglais Claude-Raphaël Samama, 140 pages, 16 €
Ecrivain(s): William Butler Yeats
Cette nouvelle traduction française de poésies de William Butler Yeats par Claude-Raphaël Samama – après les restitutions françaises antérieures proposées par Fréchet (Aubier), Cazamian (Aubier), Bonnefoy (Gallimard), Briat (Seuil), Masson (Verdier) – se penche sur la part humaniste, sentimentale et réflexive de l’œuvre de l’écrivain irlandais, plutôt que sur celle ésotérique ou politique. Un lyrisme personnel s’exprime dans ces textes poétiques à la voix émouvante et désabusée, retenant l’attention du lecteur touché par l’expression de faits, d’états sentimentaux que le poète a pu lui-même expérimenter. Les textes de Yeats choisis par Claude-Raphaël Samama évoquent la guerre, les déceptions sentimentales, l’impossibilité de l’amour, la tentation de la résignation face à la bêtise ou le dépit amoureux, la sagesse acquise avec l’âge, la mort rêvée ou méditée, etc. La relativisation du sentiment amoureux revient murmurer au destinataire (lecteur, lectrice, Je, Tu, Nous) : « Ne donne jamais ton cœur » ou « Surtout n’aime pas trop longtemps » : Ma douce amie, que ton amour ne dure :/ Moi j’ai aimé trop et trop longtemps.
L’âge octroie à l’homme plus expérimenté une raison d’« être furieux » face aux aléas de la vie quotidienne, aux affres de l’Histoire, à « l’injustice des cieux »,nul esprit vivant, même celui « se disant heureux et sans faille », ne trouvant « une fin digne de son commencement ».
N’allons cependant pas penser que la poésie de celui qui fut aussi un dramaturge et un essayiste soit teintée de pessimisme. Certes Les oiseaux blancs (The White birds) sont ces flammes en vol qui continuent inlassablement de transporter « une tristesse qui semble ne pas vouloir mourir » et qui traversent le ciel de nos vies errantes (semblables à La Chanson d’Aengus l’Errant), mais leur présence ne cesse d’activer le feu volé par le poète, par la grâce et l’action desquelles « le feu de la comète qui ne fait que passer » souffle sur l’incandescence du Langage seul bâtisseur des vrais voyages dont nous sommes les « oiseaux blancs »qui « flottent sur l’écume de la mer ». Des phares guident nos déroutes (Antigone, la ville de Troie, La douleur d’amour, Les oiseaux blancs, la Mémoire (Memory), La rose du monde, une Princesse d’Orient éprise du « grand Salomon »,« la sainte ville deByzance »), depuis la mythique destinée des Hommes voués à leur avancée cyclique (Les quatre âges de l’Homme) comme à leurs dérives odysséennes ouvertes sur l’espoir d’un Retour à l’Ithaque originelle, ou en perpétuelle partance (navigation éternelle) vers les ors perdus de Byzance. Secoués de « glace »brûlante (l’oxymore employé par le poète accentue la profondeur du gouffre entrouvert par la destinée humaine), « les cieux »traversent jusqu’à nos brûlures intérieures et jettent notre propre « spectre »,« tout nu sur les routes », dans le Paradis glacé où la Mémoire, l’imagination et le cœur cherchent nos raisons de vivre comme vivre demeure quête incessante, inachevée. La poésie amarre notre barque ballotée entre ciel et abîme, entre espoirs et insatisfactions ; donne sens à notre inquiétude « sans rime ni raison ». Quelque chose du spleen baudelairien, du pessimisme de Pessoa traverse ces poèmes de Yeats, qui restent singuliers par le flux de l’inquiétude flamboyante qui les touchent.
Empreinte de classicisme, remuée en même temps par une onde laissant sourdre à l’oreille absolue de notre œil qui écoute Le bruit des galets sur le rivage / Sous la vague qui reflue, la traduction de Claude-Raphaël Samama fait entendre dans cette poésie de Yeats toute la poésie de l’aube quand elle avance : installée simplement, rythmant un attelage et son scintillement / Sur le poitrail de chevaux sur la brume (TheDawn). Le livre refermé, nous poursuivons encore notre voyage en espérant, ainsi que le chante le poète William Butler Yeats : Were we only white birds (…), buoyed out on the foam / of the sea ! ; ainsi que le traduit l’interprète Claude-Raphaël Samama : être seulement des oiseaux blancs (…), qui flotteraient(…) / sur l’écume de la mer…
Murielle Compère-Demarcy
Claude-Raphaël Samama est l’auteur de nombreux ouvrages en sciences humaines, de nouvelles, de recueils poétiques et de textes parus en revue. Il entretient une longue familiarité avec l’œuvre de W. B. Yeats et ce livre s’en veut l’écho. Son intérêt pour l’anglais l’a également amené à écrire dans cette langue Around circles, Autour des cercles, publié en 1999.
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