Chez Zola, Valentine Del Moral
Chez Zola, septembre 2015, 219 pages, 18 €
Ecrivain(s): Valentine Del Moral Edition: Editions de Fallois
« A Emile… qui n’(est peut-être) pas mécontent des avancées de ma fantasque entreprise », écrit Valentine Del Moral, en excipit de son livre. On peut en effet le supposer, en refermant ce livre réjouissant, roboratif et, mine de mine, informatif et utile à plus d’un titre. C’est un travail sérieux, qui, pour autant ne ruisselle pas de cette prétention littéraire, si abondante, hélas, du type : tout ce qui va révolutionner les connaissances sur l’œuvre de Zola. Ce n’est pas l’objectif. Diplômée de muséologie, l’auteur « ouvre un » Zola ; celui de sa quotidienneté, les deux pieds dans la terre et les bâtiments (car c’est un homme de lieux), donc, en partie de ce Médan, « le train, la seine, une île, un bateau, le plein air, la gourmandise, l’amitié », qui joue un rôle premier, dans l’œuvre et sa genèse. Très haut lieu littéraire et intellectuel du coup (peut-être plus, toutefois, « stigmates littéraires » que réalité), en même temps que lieu banal et chaleureux de l’humain de tous les jours. C’est cette double entrée – si précieuse – que réussit pleinement à nous donner ce livre.
« Vie quotidienne à Médan » pourrait en être le titre. Comme il existe une collection très bienvenue, de ces regards sur les périodes historiques, via le jour après jour, d’inégale qualité, parmi lesquelles se glissent d’authentiques pépites, ce Zola chez lui pourrait inaugurer toute une collection.
Zola habite – présence charnelle, particulièrement vivante, déclinée sur sa vie entière – ces pages, qu’on lit à grandes lampées gourmandes : « Assez grand pour l’époque, 1,70 mètre, la tête ronde, les cheveux en brosse, une voix basse, modulée qui peut monter dans les aigus, un zézaiement que Léon Daudet, plus tard, qualifiera de vénitien… ». « Quelque chose en nous, de Zola », on en porte tous. N’est-il pas dans le cœur culturel, littéraire, politique, de chacun. Alors, on aime, nous aussi, à toquer à la porte de Médan ; savoir, qui il rencontre, dans les peintres, les écrivains de son temps, quels sont les habitués, les amis de premier plan, ceux de plus loin ; ceux, qui seront fidèles, et ceux qui abandonneront le navire, au moment de l’Affaire Dreyfus. Connaître ses journées comme baignées de la lumière des Impressionnistes, ses goûts, ses repas – quel gastronome ! – sa ménagerie et son amitié pour les bêtes ; le suivre en canotage sur la Seine, et être dans un tableau de Renoir ou de Bazille. Entrer sur la pointe des pieds, dans ses amours, sa double vie, la constance d’Alexandrine, Jeanne et les deux enfants. Visiter – sans jamais ressentir cette lassitude un peu scolaire qui nous accompagne parfois en arpentant les châteaux – ce curieux Médan, de bric et de broc, avec ses tours « Nana » et « Germinal », ouvertes de façon si moderne sur la nature, et regorgeant de cette « bricabrocomanie qui étonne ». On y sent le bourgeois, son besoin de s’ancrer dans une société neuve, d’« avoir », au sens moins péjoratif que de nos jours, car fortement mâtiné d’« être », de protéger, d’anticiper, plus que d’accumuler. En Août 1878, il écrit à Flaubert : « j’ai acheté une maison, une cabane à lapins, entre Poissy et Triel, dans un trou charmant au bord de la Seine ; neuf mille francs, je vous dis le prix, pour que vous n’ayez pas trop de respect. La littérature a payé ce modeste asile champêtre ».
L’époque s’invite aussi, nous montrant un Zola à bicyclette, et – mieux – féru et avec quel talent de photographie : il posséda une bonne dizaine d’appareils et prit plus de six mille clichés ! Et puis, évidemment l’Histoire, avec l’Affaire Dreyfus, dont le livre nous fait, certes, un récit bien utile, entrecoupé d’extraits de textes, et surtout, marbré finement de la trajectoire des Zola et de quelques amis proches, au début, simplement émus, avant que d’être ébranlés : « je ne sais pas ce que je vais faire, mais je sais que je ferai quelque chose (nov 97) ». Itinéraire d’un engagement, s’il en fût. Médan demeura le lieu de ces années-cause. C’est à Paris, pourtant, qu’il écrivit en un jour et deux nuits, ce texte – 6 colonnes dans L’Aurore, dont le titre d’origine Lettre à Monsieur Felix Faure, président de la République devint J’accuse. Zola condamné ; hué (Déroulède : hors de France !), exilé à Londres, recherché. Puis revenu en France, alors qu’à Médan, prise d’assaut par les journalistes et les opposants, les « excréments arrivent dans les enveloppes, avec les portraits de Zola, les yeux crevés ». Du prix des engagements de cette époque si proche… leçons…
Livre attachant. Livre important ; un prisme de plus dans la connaissance de cet homme immense, nous livrant quelque chose de lui, de son temps, de ses lieux, de ses amis, qui ressemblerait presque à une main qu’on pose sur une épaule, un soir de fin d’été, en bord de Seine. Un moment fragile et précieux d’un temps retrouvé que nous croyions perdu.
Martine L Petauton
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