Chez Temporel, Célébration d’André Hardellet, Patrick Cloux (par Philippe Leuckx)
Chez Temporel, Célébration d’André Hardellet, Patrick Cloux, éditions Le Temps qu’il fait, mai 2021, 168 pages, 18 €
Patrick Cloux est de ces fervents de l’auteur du Temps incertain, dans le sillage de Doisneau et du réalisme poétique. Quel bonheur de redécouvrir cet auteur, fêté par Breton, Françoise Lefèvre et bien d’autres, qui mourut jeune, en 1974. C’est un écrivain marginal, des terrains vagues, des vagabondages insolites, des maraudes de l’essentiel. Chasseurs I et II sont des merveilles : répertoires de définitions poétiques, textes en prose, nouvelles. Il figurait sous le numéro 5000 dans la Collection Livres de Poche, avec une belle illustration de Magritte en couverture. Il faut lire lentement André, ses pépites, laisser décanter ses merveilles. Nourri aux littératures de l’étrange où Lewis Caroll, Mac Orlan, Nerval, occupent les hautes marges, Hardellet est un « passeur » insolite de temps et paysages qui n’existent presque plus que sous la dictée de ses trouvailles. Le styliste concis a enfermé dans ses phrases-bocaux les secrets, arcanes et mystères des lieux traversés. De la foire du Trône aux champs de courses de Vincennes, en passant par les lieux très vagues de ses nombreuses enfances, le poète des Chasseurs sait, ô combien, épeler la vie cachée des choses qui ne vibrent plus, fonds de greniers ou de ruisselets, coffres éventés, fourrures mitées mais dont le parfum reste encore longtemps comme une trace impayable.
Comme Dhôtel, Fargue, Supervielle, Bachelard, Carco, le poète de la rue Beaubourg est l’un des rares poètes à avoir ficelé un tel univers où l’on aime à se perdre, à s’égarer dans les hauts massifs de l’imaginaire. Il suffit d’un parloir d’une très ancienne école, d’un boudoir reculé, d’un refuge d’abeilles ou d’herbes hautes. Notre André n’a pas son pareil pour croquer ses définitions poétiques dans ses fameux répertoires. C’est le poète des lisières, des pas amortis, des refuges d’ombres, des placards embaumés, des vergers insoupçonnés. Le maître pur de l’insolite, le cavalier des rêves. Avec ce poète, il y a sauvegarde du passé, comme si l’on franchissait les miroirs du temps. Avec ce poète, lire devient un jeu initiatique où le meilleur est à découvrir, halte après halte, dans le fourreau des rêves.
L’essayiste nous plonge dans le milieu amical d’André, ses potes, ses relations : André Vers, René Fallet, Robert Doisneau, les amateurs comme lui d’argot parisien comme Boudard, Simonin. C’est la même bande qui se retrouve aussi bien à Robinson pour la bringue ou à Bobino pour y écouter le copain Brassens. André se retrouve aussi chez le chanteur sétois, impasse Florimont. André n’a pas quitté son 44 rue Beaubourg ni les décors conservés de sa mère disparue. À traverser Paris et sa banlieue de long en large, à creuser son univers, Temporel, l’auteur de chansonnettes, le fou de Paris, place une à une les pièces de son monde mental, ce que révèleront bien sûr ses Chasseurs. Cloux analyse finement les assises d’un tel univers : Le Pont de Charenton chanté par Montero ; les baguenaudes fécondes ; la fréquentation des Mac Orlan et Cendrars.
Mais pas de carrière, selon Cloux, pour un écrivain de cet ordre : pas de « gros volume » qui puisse d’emblée accueillir ce nom. André Hardellet a peu publié et encore, avec des écarts assez longs : un recueil en 1954, un autre en 1960, de longs silences. Peu de reconnaissance officielle, mis à part le prix des Deux-Magots de la fin (1973). D’ailleurs, sa rencontre avec la débutante Françoise Lefèvre exprime bien sa désolation de ne pas être reconnu. Son amie, vingt-quatre ans près sa mort, publiera un récit émouvant de leur rencontre de juillet 1974.
L’essai de Cloux vaut pour l’accompagnement fervent d’un poète aimé, d’un romancier qui fit vibrer Gracq, d’un Parisien comme il en est peu.
Philippe Leuckx
Patrick Cloux, né en 1952, est l’auteur de chroniques : Un domaine sous le vent ; L’odeur des platanes ; Marcher à l’estime ; Le grand Ordinaire.
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