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Cherchez la femme, Alice Ferney

Ecrit par Sophie Galabru 30.10.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Babel (Actes Sud), Roman

Cherchez la femme. Réédition 10/2014. 702 p. 11 €

Ecrivain(s): Alice Ferney Edition: Babel (Actes Sud)

Cherchez la femme, Alice Ferney

 

A travers un récit transgénérationnel décliné selon deux grandes histoires d’amour, Alice Ferney entreprend un vaste roman et une analyse psychologique du couple, de ses débuts à son délitement. Racontant l’histoire de Serge Korol à partir de la seconde moitié du livre, l’auteur déploie d’abord patiemment celle de ses parents, de leur rencontre, des motivations secrètes, sous-tendu par un principe psychanalytique bien connu : le passé de nos aïeux, et de nos parents pèse de toute sa force sur notre éducation, notre enfance, nos projets, nos désirs, et nos choix.

Dès lors, Alice Ferney revient sur cette première intrigue amoureuse, celle des parents de Serge : Nina Javorsky, fille et petite-fille de mineurs polonais et Vladimir Korol ingénieur de la mine. A travers les lignes, l’auteur entend moins décrire le présent des protagonistes pour ce qu’il est que pour le résultat de facteurs conjugués dont il résulte : nulle vérité romanesque à l’œuvre, mais le décryptage du mensonge romantique à partir du passé des êtres et des désirs qu’il sécrète. La rencontre tend donc vers sa décomposition en éléments simples : désir de s’élever socialement pour Nina Javorsky, désir de transformer un simple désir charnel en un coup de foudre pour Vladimir Korol. L’amour et le couple naissent plus souvent qu’on ne veut bien le dire de ces ingrédients dont on souhaite se cacher la simplicité :

« Accepter en soi l’instinct sexuel, sans gêne ni effroi, n’était pas de sa génération. Il était né en 1932 : il transforma le désir en sentiment » (p.15).

Derrière ces analyses qui constituent le véritable fil rouge de l’auteur, on pourrait vouloir opposer la complexité du désir indépendamment de son analyse psychologique, ou bien encore arguer de sa richesse suffisante à la matière romanesque, refuser la continuelle décomposition psychologique des sentiments. Contre le parti pris unique de ce roman conduisant souvent à l’évaporation du désir et de l’amour par la reconduction à ses facteurs sociologiques ou familiaux, il faut pourtant concéder qu’Alice Ferney sait donner à lire quelques belles sentences qui parviennent à relever nos regrets :

« Mais Dieu sait où mènent les commencements lorsque leur légèreté nous fait honte » (p.15), « Elle faisait la découverte de l’immense sollicitude qui jaillit comme une fontaine dans le temps de la séduction et la terre du désir » (p.26).

L’auteur parvient dans un équilibre fragile à dévoiler les secrets des amants qui se rencontrent, flatterie d’une jeune fille, envie de possession d’un homme, promesses et premières déceptions, cruel décalage entre les parades amoureuses et la vie quotidienne, elle parvient en outre à bien décrire l’enfermement des femmes dans des mariages où les hommes supportent difficilement leur indépendance possible, voire leur réussite sociale, sans pour autant accabler ces hommes, ni les juger unilatéralement. Ferney parvient à produire de belles disputes de couple où l’on arrive à comprendre hommes et femmes, comme à accabler chacun d’eux.

La psychanalyse des personnages excuse-t-elle ces derniers ? L’intrigue romanesque est parfois devancée, voire désamorcée par l’étude psycho-sociologique « Il ne le savait pas et réclamait de l’exceptionnel dont ensuite il faudrait qu’il se débarrassât ! Comment Marianne aurait-elle eu l’idée de cette machinerie intérieure qui mélange l’imposture et l’amour ? » (p.288) mais en outre, nous pouvons nous demander si la trop grande compréhension de ceux-ci dans le référencement constant à leur enfance et leur adolescence ne contribue pas à diminuer la responsabilité laissée à la volonté et à la nouveauté propre des vies. Par d’autres aspects, le livre semble exalter la part essentielle de la volonté et de la connaissance authentique de soi à travers le personnage de Marianne, l’épouse de Serge. Elle seule ne semble pas arrimée à son histoire mais parvient à se créer avec courage, manifestant des désirs propres, menant une sincère recherche du sens de la vie, tout à l’inverse de Serge Korol, déterminé par ses antécédents familiaux, condamné à ne choisir le présent qu’en vue du passé qu’il répare et non du futur à accomplir.

Comme dans La conversation amoureuse (2000), Alice Ferney en revient à sa question la plus intéressante, que ce roman élude en cherchant à lui offrir une réponse « étudiée » : dans l’amour,quelque chose se passe, mais quoi ?

 

Sophie Galabru

 


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A propos de l'écrivain

Alice Ferney

 

Remarquée à la sortie de Grâce et dénuement qui obtient le prix Culture et Bibliothèque pour tous en 1997, Alice Ferney s’est imposée sur la scène littéraire française dans les années 2000. Diplômée d’une école de commerce et docteur en économie, cette mère de famille partage son temps entre l’écriture et l’enseignement à l’université d’Orléans. Ses ouvrages, de facture souvent classique, interrogent la féminité, l’amour et les relations entre hommes et femmes, comme dans La Conversation amoureuse ou Les Autres.

 

A propos du rédacteur

Sophie Galabru

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Rédactrice

Sophie Galabru est agrégée et docteure en philosophie. Ses recherches portent notamment sur la phénoménologie (en particulier l’œuvre d’Emmanuel Levinas), la philosophie du temps et de la narration.