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Chemins ouvrant, Yves Bonnefoy, Gérard Titus-Carmel

Ecrit par Didier Ayres le 24.05.14 dans La Une CED, Les Chroniques

Chemins ouvrant, Yves Bonnefoy, Gérard Titus-Carmel

 

Chemins ouvrant, Yves Bonnefoy, Gérard Titus-Carmel, éd. L’atelier contemporain, mars 2014, 150 pages, 20 €

 

Chemins ouvrant ou Le livre choral

Réfléchir. Oui, le mot me vient à l’esprit pour résumer en quoi ces Chemins ouvrant, le livre qu’Yves Bonnefoy et Gérard Titus-Carmel publient aux éditions de L’Atelier contemporain, rassemble des voix différentes et pousse à l’intellection ou à l’introspection, en tous cas à un plaisir intérieur, que seul réfléchir procure parfois. Par rapport à Y. Bonnefoy, je ne dirai sans doute rien de vraiment nouveau sur les dessins et gravures dont la reproduction permet de voir le chemin – ouvrant ? – du peintre, depuis des collages jusqu’à des travaux en technique mixte, parfois sur des supports de calque. Parce que la peinture comme art libéral se place au-dessus – ou au-dehors ? – de la fabrication de l’exégèse – même si ergoter constitue un bien pour l’avancée de la sociologie de l’art. Cependant, laissez-moi évoquer l’écho que fait si bien sentir Yves Bonnefoy, du passage des années sur le travail du peintre.

Car j’ai quitté Gérard Titus-Carmel avec ses Nielles, qu’il exposait chez une amie commune, et bien avant encore depuis les reproductions du livre de Derrida, La Vérité en peinture, de dessins à la mine de plomb très secs et dépouillés. Je le retrouve ici avec diverses séries d’aquatinte, ou de crayon gras et d’acrylique sur calques qui illustrent des poèmes de Bonnefoy. Compagnonnage très sensible et très net, pour ce livre tout à fait choral. Je résume mon premier contact par des impressions matissiennes au sujet des papiers découpés, variations colorées et presque joyeuses qui sonnent comme de merveilleuses feuillées, des sortes de feuillées d’herbes, si je puis dire, pour employer cette métaphore whitmanienne. L’entrelacs des textes et des œuvres peintes, les références de chacun – le peintre et le poète – pour l’œuvre de l’autre, constitue un ouvrage dense et charnu.

Mais, mon œil ne s’est pas arrêté là, et puisque j’ai parlé d’écho et de réflexion, je crois que le mot peut être compris des deux manières : lumière qui se réfléchit sur l’œuvre, sujet narcissique en quelque sorte qu’autorise la position de spectateur ou de lecteur, et aussi, activité de la pensée, le goût noble chez Spinoza. Force des images et du langage pour rapprocher les dessins et les œuvres dessinées, avec ce long texte de Bonnefoy sur les Feuillées de Titus-Carmel – que certains appellent Titus tout simplement. Texte en huit parties pour lesquelles j’ai inventé des titres pour en parler ici. Ainsi : fin du langage, rapprochement du dessin et de l’écriture, les couleurs, le travail du temps, le passé, la pensée, la transcendance et le beau, et pour finir la dissertation. On me permettra cette petite entorse académique, pour m’accorder un peu de licence poétique afin de bien saisir en quoi ce livre est intéressant. Je cite : Les dessins de Titus-Carmel confirment ce « tout est langage et le langage n’est rien, si ce n’est sa propre vacuité » dont l’au-delà du moderne a fait sa pensée nihiliste.

On voit ainsi la hauteur de vue à laquelle nous convie le poète. Il cherche à nous instruire sur la capacité du langage et de l’impossible, et cela justement, en parlant de la peinture, l’art qui est peut-être sourd, qui n’émet aucun son, qui est pure vision. Je dis cela à dessein parce que j’ai eu tout de suite à l’esprit l’amplitude chorale de l’ouvrage, qui donne même parfois dans la mise en abyme – et d’ailleurs ce n’est pas innocent car le peintre Titus est aussi poète. Citons-le : Et ces mots qu’on prête à Claude Monet – « Je ne peins pas l’arbre qui se trouve devant moi, mais seulement l’espace qui me sépare de lui » – comment ne me revenaient-ils pas à ces instants à la mémoire ? Ces réflexions en ciseaux laissent bien entendre la réflexion générale sur la question de la représentation – et peut-être sa mise en crise. Ainsi un livre qui a plusieurs voix – dont celle de Marik Froidefont qui vient nourrir l’ouvrage, et qui signe une préface –, est bien utile pour saisir la polyphonie des mouvements et du style de l’écriture du peintre et du poète conjugués.

Je dirai ainsi pour conclure que l’on apprend aussi beaucoup du témoignage de Gérard Titus-Carmel, qui fait part d’éléments biographiques dans Un lieu de ce monde. En effet on y voit l’apprentissage du peintre, qui dans les gelées et les froidures du Jardin des Plantes en hiver, copie, apprend et continue son travail, sous la férule sans doute d’un professeur de l’école Boulle, si je ne me trompe, apprentissage qui laisse beaucoup entendre la sensibilité du peintre envers la chose qui peint. Permettez-moi de citer une dernière fois Yves Bonnefoy qui, dans L’Art de manier la gomme, écrit de grandes idées substantielles que je livre à votre attention : En bref, n’y-a-t-il pas, au plus intime du travail de l’artiste autant que de celui du penseur, bien autre chose que deux intérêts parallèles – l’un pour la beauté ou ses formes substitutives, l’autre pour la vérité – mais une expérience commune ?

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.