Chemins, Michèle Lesbre
Chemins, février 2015, 142 pages, 16 €
Ecrivain(s): Michèle Lesbre Edition: Sabine Wespieser
Un voyage dans le temps, un retour vers le passé, non pas un aller simple, tournant le dos à l’avenir, mais un aller-retour, une plongée au sens propre dans un passé lointain puisque ce billet de voyage s’écrit au fil de l’eau pour la narratrice – au fil d’un canal pour sa plus grande part –, sur une péniche.
Conviée à ouvrir la nouvelle maison de ses amis de toujours, et sur un signe : un passant lisant sous un réverbère le livre fétiche de son père – qu’elle a peu connu – la narratrice – l’auteur – décide de se mettre en quête de cet « intime étranger ». Ouverte à tout ce qui dans le paysage fait écho à son paysage intérieur, le fil du temps se confond avec le fil du voyage, au fil des rencontres, des haltes. Elle y croise des personnes imprévues et « enlève » même un chien qui vient spontanément à elle.
Sa première rencontre est une gardienne de vaches : « Nous sommes restées quelques instants silencieuses, puis elle m’a demandé si j’étais perdue et cela m’a fait rire, ce n’était pas complètement faux, j’étais un peu perdue, mais pas comme elle l’entendait, je l’étais dans les jours à venir, que j’avais du mal à mettre en perspective » (p.27).
Dans le compartiment de chemin de fer, le duo heureux d’une fillette et de son père la frappe soudain, image tellement insupportable que « tout (lui) semblait faux » (p.41).
Elle vit aussi une idylle de passage avec un éclusier, faux voyageur : « Je ne pensais pas qu’il mentait, ce qu’il inventait de sa vie me touchait parce qu’il me le donnait, peut-être ce qu’il y avait de plus intime en lui, et j’aimais qu’il me le confie (…) » (p.63-64).
Arrivée à la maison inconnue de ses amis, elle décide d’abord de ne pas y pénétrer mais de rester dans le jardin. C’est là qu’un chien vient à elle, et l’adopte. Cette maison fait revivre en elle le souvenir de l’ancienne demeure où ils se réunissaient dans leurs jeunes années et où l’amour l’avait surprise : « (…) je décidai pourtant de trouver d’abord une cabine téléphonique afin de joindre Martin. C’était étrange, cette soudaine urgence, alors que nous n’étions plus proches depuis longtemps, très longtemps même, mais l’idée d’un danger m’envahissait, un sentiment de perte, de grand désert dans lequel nous nous étions tous dispersés. Ce jardin me parlait de ça, de ce qui se transforme, de ce qui se perd, de ce qui manque sans que nous y prêtions attention, ou alors trop tard » (p.74).
Elle décide alors de pousser son voyage, après être allée ouvrir la maison, jusqu’au village des vacances de son enfance, chez ses grands-parents : « (…) ou encore ce retour imprévu à R. et peut-être au lieu dit “Le Pommier” qui me troublait et m’attirait lui aussi, comme si, soudain, il me fallait mettre de l’ordre dans toutes ces images qui me hantaient depuis des années, des images enfouies dans le silence» (p.40).
Une fois de plus, le passé fait résurgence, sourdant ou éclatant en fleurs de souvenirs enfouis, qu’elle croyait perdus. Elle se souvient avoir tenté de raccrocher le fil de la vie de ses parents désunis au sien, il y a des années de cela : « Je vivais dans le rêve de mon père, mais sans guide, sans pouvoir marcher sur ses pas, sur leurs pas » (p.84).
Elle va tenter la même expérience, dans la maison de vacances d’enfance. Lorsque la marinière lui demande ce qu’elle revient faire à R., elle lui répond : « Retrouver ce que j’ai peur de ne pas reconnaître » (p.96).
En effet, la maison de vacances est devenue le siège d’une association. On lui propose de la visiter : « Je savais que je descendais les escaliers pour la dernière fois, mais tous les absents se précipitaient dans mes pas (…) Je ne voyais pas la fontaine et j’espérais qu’un autre jardin l’avait adoptée, qu’un autre jardin ressemblait au disparu, qu’il y aurait toujours, quelque part, un jardin semblable à celui qui n’existait plus et que je voyais pourtant » (p.134-135).
Fructueuse, la quête de l’autre, des autres, de soi ? En pluie, les souvenirs se sont donné cours. Mais pas n’importe où, n’importe quand : au moment où la narratrice avait rendez-vous avec eux. Et avec laréconciliation : deux photos séparées de ses parents, près d’elle :
« Lorsque la photographie de mon père est apparue sur sa table de nuit – celle de sa mère –, je n’ai posé aucune question, je pensais qu’elle avait sans doute besoin de lui pour poursuivre un chemin, celui qu’ils n’avaient jamais trouvé ensemble.
C’est sans doute ce même chemin sur lequel ils m’accompagnent » (p.143).
Anne Morin
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