Chasseur de Ciel, Marion Fontana (par Philippe Leuckx)
Chasseur de Ciel, La Chambre d’échos, juin 2020, 110 pages, 14 €
Ecrivain(s): Marion Fontana
Voilà pour la jeune auteure l’aventure d’un deuxième livre. Bref ouvrage, qui tient moins du genre romanesque que d’une réflexion onirique voire ésotérique sur l’existence confrontée aux espaces, ciel, terre, nuage. Les personnages ont peu de consistance voire de chair. Il y a bien Martha, sans description physique qui, passionnée de moto, tient à l’adresse des motards un bar de montagne, bien situé devant la chaîne des monts. Il y a deux personnages assez étranges : le chasseur de ciel, qui enfile sa moto en quête de ciel, d’errance, de découverte. Il y a la figure connue mais ici transversale et n’apparaissant qu’aux deux tiers du livre, du Roi Pêcheur, comme en retrait, hospitalisé, puis en convalescence, vieil homme fatigué.
Si certains livres gardent des qualités certaines surtout en fonction de l’intrigue, nous dirons qu’ici tout l’intérêt tient à l’écriture, maîtrisée, à la réflexion, élaborée, plus qu’à l’enchaînement d’événements. En effet, on est comme dans un temps distendu où apparaît sur la route ferme le chasseur. Nulle époque précise, nulle année, nulle précision.
Le livre recèle une étrangeté, tissée d’une écriture très poétique qui fascine le lecteur, ralentit sa vision, l’interpelle. Nous sommes peut-être ces motards lancés sur la route de la vie, qui dialoguent, coupés par la vitesse et leur casque, en quête d’un ciel étrange à lire, à découvrir. C’est sans doute à une « chasse allégorique » que nous sommes invités, lecteurs, à une lecture même de notre propre condition ; en cela, le livre rejoint d’autres livres munis d’une tension commune, réservés à un petit réseau de connaisseurs qui puissent en apprécier le suc : je songe notamment à ces ouvrages de pure quête existentielle que sont Le Désert des Tartares, ou Le Maître d’heure du regretté Claude Faraggi.
On doit donc comprendre que ce qui nous est relaté compte moins que ce qui nous est suggéré au fil des pages, des descriptions, puisque tout événement est forcément intérieur, intime, une « chasse » mystérieuse, à laquelle le lecteur ne saisit que ce qu’il veut bien défendre comme sens. Le lecteur désorienté gardera du récit ses inflexions d’écriture, ses brefs chapitres, ses haltes, ses paysages. Peut-être avons-nous vécu nous-mêmes, en certains de nos rêves, les pans de réalité brute que la jeune auteure assume sous nos pas. Le rêve étant certes une matière inépuisable de rêverie et d’imaginaire, comme nous l’a appris superbement Bachelard. Les thèmes d’exploration de notre terre, du ciel, des routes montagneuses ou des expéditions sous terre, nourrissent un livre particulièrement désarmant pour qui donne à la fiction ses arêtes sûres de narration et de personnage, comme si le lecteur s’empêtrait dans un terrain vague et mouvant.
Nous gardons du premier livre le même regard mystérieux, la même atmosphère hors temps présent, et sans doute une plus grande prégnance sur l’imaginaire du lecteur. Pour être un peu moins réussi, Chasseur de ciel n’en demeure pas moins une tentative intéressante de dire le monde intérieur quand on est un jeune écrivain et qu’on souhaite rompre avec les attaches traditionnelles du genre romanesque : en cela, le pari tient la route.
Un auteur à suivre pour son étrange univers.
Philippe Leuckx
Marion Fontana fait des études de lettres et d’espagnol. Elle s’investit dans le Mouvement d’éducation Populaire. Elle vit aujourd’hui dans les Monts du Lyonnais. Elle est l’auteure de deux livres, Derrière le portail vert (2017) et Le Chasseur de Ciel (2020), tous deux publiés à La Chambre d’échos.
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