Charles Baudelaire, Théophile Gautier
Charles Baudelaire. Septembre 2013. 118 p. 6,10 €
Ecrivain(s): Théophile Gautier Edition: Rivages poche
La lecture de ce petit fascicule ne peut qu’emporter et l’adhésion et l’enthousiasme du lecteur. Théophile Gautier montre un double mérite dans cette œuvre.
Tout d’abord, bien sûr, être le premier à écrire un grand texte sur Baudelaire. Pour nous, lecteurs d’aujourd’hui, ce petit livre s’ajoute à la montagne de textes, analyses, exégèses, biographies qui se sont accumulés sur Charles Baudelaire depuis 150 ans. Mais en fait, c’est bien le premier chronologiquement que nous avons là dans les mains. Un développement du discours funèbre que Gautier ne prononça pas au cimetière Montparnasse le 2 septembre 1867, quand l’auteur des Fleurs du mal fut porté en terre en présence de quelques personnes, de quelques amis.
Et le second mérite – pas le moindre – rendre au plus tôt à Baudelaire la place qui lui appartient, la première parmi les poètes ! Gautier n’a pas attendu la mort de Baudelaire pour le faire, ce qui rehausse encore l’intelligence de sa lecture. Depuis la parution des Fleurs, Gautier n’a cessé de dire son admiration pour l’œuvre et son auteur, alors que les imbéciles déchainaient leur fiel – par Figaro interposé entre autres – contre le recueil qui allait bouleverser à jamais la poésie française ! Baudelaire ne s’y trompa guère en dédiant ses « Fleurs » à Gautier, au « poète impeccable ».
On comprend vite le lien puissant qui unit les deux hommes aussitôt qu’on approche leurs écrits : tous deux partagent la certitude que « l’artifice » est la source de la beauté, pas la nature. On est loin – déjà – des romantiques !
« Il n’y a rien de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme se pauvre nature. – L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. »
Théophile Gautier a trouvé en Baudelaire l’illustration parfaite de ses aspirations propres. Il a trouvé en Baudelaire ce que lui-même n’avait pu ou su créer.
C’est donc un hommage magnifique que ce petit opus. Et tout y séduit le lecteur baudelairien, y compris les touchantes maladresses, inexactitudes, naïvetés. Nous avons derrière nous des sommes de connaissances et de travaux baudelairiens. Gautier est le premier défricheur et il ne faut pas en attendre une parole d’expert. C’est ce qui émeut et attache ici : une apologie vibrante et impressionniste du verbe baudelairien, loin de l’analyse critique ou de la thèse universitaire.
Et puis comment ne pas sursauter de conviction quand Gautier énonce quelques fulgurances magnifiques sur le poète des « Fleurs du Mal » ? Qu’on en juge :
« Baudelaire était d’une nature subtile, compliquée, raisonneuse et plus philosophique que ne l’est en général celle des poètes. L’esthétique de son art l’occupait beaucoup ; »
Ou encore ces lignes géniales :
« … toute cette gamme de couleurs exaspérées poussées au degré le plus intense, qui correspondent à l’automne, au coucher du soleil, à la maturité des fruits, et à la dernière heure des civilisations. »
Et pour finir, ce propos saisissant sur l’art de Baudelaire :
« Baudelaire a pour nous cet avantage ; il peut être mauvais, mais il n’est jamais commun. Ses fautes sont originales comme ses qualités, et, là même où il déplaît, il l’a voulu ainsi d’après une esthétique particulière et un raisonnement longtemps débattu. »
Lire le premier texte dédié à la grandeur de Charles Baudelaire est en soi un moment littéraire. Mais y trouver – en plus – un éclairage pénétrant et pertinent sur son œuvre rend ce petit livre fascinant.
Leon-Marc Levy
VL3
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