Championnes, Lorraine Kaltenbach, Clémentine Portier-Kaltenbach
Championnes, octobre 2015, 192 pages, 35 €
Ecrivain(s): Clémentine Portier-Kaltenbach et Lorraine Kaltenbach Edition: Flammarion
Des sentiments mêlés. C’est ce que l’on ressent en fermant ce livre attrayant, à la présentation très soignée, révélateur de certains destins trop ignorés, et riche en illustrations recherchées et peu connues.
Premier contact : très favorable. En sept chapitres – « vétérantes » (néologisme hardi auquel on aurait volontiers substitué « pionnières »), femmes du monde, filles du peuple, enfants de la balle, touche-à-tout, discriminées, militantes –, les deux auteurs – ou faut-il dire auteures ? – tressent vingt-neuf biographies, et fixent le processus du long combat mené par les femmes pour affirmer leur légitimité pleine et entière à vivre le sport de compétition, ce domaine si longtemps identifié comme quasi exclusivement « masculin ». Elles rendent ainsi hommage à des athlètes méconnues, aux fortes personnalités, qui ont fait contre vents et marées progresser la bonne course et changer la place et le statut du sexe présumé faible dans un univers pour le moins misogyne.
Les textes fournissent souvent d’intéressantes précisions – on pense à Camille Crespin du Gast, Hélène Dutrieu, Bessie Coleman. On se félicite que soient mises en valeur la cycliste italienne Alfonsina Strada – nom prédestiné – ; la sauteuse en hauteur Gretel Bergmann interdite des Jeux Olympiques de Berlin 1936 par les nazis ; ou la japonaise Keiko Fukuda à laquelle fut décerné le rare « 10ème dan » des judokas – elle avait alors 98 ans.
Une analyse plus poussée laisse ensuite l’impression que pour construire la démonstration, on a choisi de tirer le fil jusqu’à l’extrême – laissant notamment de côté une Suzanne Lenglen première « Diva » du tennis, les américaines Wilma Rudolph (athlétisme) et Billie Jean King (tennis, l’une de celles qui ont le plus fait bouger les choses), la nageuse australienne Dawn Fraser, la gymnaste Nadia Comaneci, la navigatrice anglaise Ellen MacArthur ; pour faire place à Albertine Lapensée « la fille miracle du hockey sur glace » dont on s’aperçoit qu’elle ne s’aligna que de façon fort éphémère (dans sa seule 18ème année), Polly Fairclough-Burns qui aurait été « championne du monde de boxe » en 1900 et aurait livré en 1913 un « combat » [?] à l’ancien champion du monde poids lourd Tommy Burns avant de l’épouser, ou Evguenia Shakhovskaya, première pilote de chasse, peut-on vraiment ici parler de « sport » ?
Peu à peu se fait jour l’impression qu’une fenêtre de tir a été choisie par un tandem auquel initialement le monde sportif était étranger, sinon « terra incognita ». Que les notes et le suggestif et méritoire appareil bibliographique ne fassent référence ni au Grand livre du sport féminin (Françoise et Serge Laget, Jean-Paul Mazot, FMT éditions, 1982), ni aux solides et plus récentes notices disséminées dans les trois tomes du Dictionnaire universel des créatrices (Editions des femmes, 2013), n’est certes pas rédhibitoire. En revanche, comment ne pas être sidéré en lisant qu’en 1928 l’allemande Lina Radke bat le record du monde du marathon en 2 heures 16 minutes 18 secondes (à l’époque la distance n’était pas ouverte aux femmes et un tel niveau de performance ne sera atteint par la britannique Paula Radcliffe qu’au début du XXIe siècle) ; ou qu’en 1932, à Los Angeles, Babe Didrikson gagne le 80 mètres haies olympique en « 11 minutes et 8 secondes » (sic) qui aurait convenu tout au plus à un escargot lancé à folle allure sur la cendrée (lire en réalité : 11"7/10) ; ou en découvrant avec amusement une photographie jusqu’alors inconnue – et pour cause – du baron Karl Drais posant devant un vélocipède de type Michaux (mis au point entre 1861 et 1868) alors que ce personnage était dûment décédé à Karlsruhe le 10 décembre 18…51.
Pourtant, dans l’ensemble, l’iconographie est plus qu’intéressante. Et l’on conclut, malgré les remarques précédentes, en se réjouissant qu’un fin de compte ce double regard original renouvelle un sujet aussi sensible de la trop lente évolution de nos sociétés.
Jean Durry
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