Chamelle, Marc Durin-Valois
Chamelle, 185 pages, 5,50 €
Ecrivain(s): Marc Durin-Valois Edition: Le Livre de Poche
Un village se meurt, quelque part en Afrique sahélienne, accablé par une sécheresse persistante, cerné par l’irrésistible avancée des sables.
Parmi les villageois se distingue un homme, Rahne, qui a fait des études, a vécu plusieurs années en ville, d’où il a dû, déjà, fuir, en y abandonnant aux factions belligérantes maison, femme et enfants dont il n’a jamais su ce qu’ils sont devenus.
Narrateur et personnage principal du roman, Rahne a refait sa vie dans son village natal avec la belle Mouna. Ils mènent là une existence humble, rurale, avec leurs trois fils, leur fille Shasha, leur maigre troupeau de chèvres, parmi lesquelles Imi, que chérit Shasha, et une chamelle, que tous appellent… Chamelle.
Vient le jour fatidique où, aux membres des quelques familles qui n’ont pas déjà pris le chemin de l’exil, s’impose ce terrible dilemme : rester au village avec la certitude d’y mourir bientôt, ou partir vers l’inconnu, au risque, selon la direction prise, de se retrouver capturés, dépouillés, tués par une des bandes innombrables de militaires, rebelles et brigands qui sillonnent les pistes en quête de proies faciles, ou de se perdre à tout jamais dans le désert et y mourir de soif.
Rahne, se fondant sur ses connaissances scolaires en géographie, décide, contre l’avis des sages de la petite communauté, de se diriger vers l’est. Seul son ami Assambo, conseillé par son épouse Salimah, lui fait confiance. Les deux familles se séparent ainsi des autres villageois, dont une petite partie choisit la route du nord, et la majorité celle du sud.
C’est là, à la lettre, la situation de départ du récit. Départ pour une longue et dramatique errance, avec les chèvres et la chamelle.
Au poids factuel des drames qui jalonnent le périple, s’ajoute, sur les épaules de Rahne, celui de la terrible interrogation, qui le taraude, de sa responsabilité quant aux faits tragiques dont sont victimes, successivement, chacun des membres de la famille d’Assambo, qui l’a choisi pour guide, et l’un après l’autre, ses propres enfants et son épouse aimée.
Contre la réussite de cette quête éperdue de l’eau qui anime la petite caravane, la nature et l’homme allient leurs forces opposantes, toutes-puissantes.
La nature est maligne – le sable, l’immensité, l’aridité, la sécheresse qui semble avancer plus vite que l’exode, le soleil, implacable – oui, la nature est hostile, inexplicablement, définitivement.
Je regarde, tout près, la boule de feu qui déjà lance vers nous ses dards brûlants. Il faut marcher vers elle. Sans faiblir, sans peur, la tête baissée, comme des hommes servant un sort auxquels ils ne comprennent rien. Pourquoi ça, pourquoi nous ? Personne ne sait, personne n’y peut rien.
L’autre ennemi, tout autant impitoyable, se manifeste tantôt sous l’image d’errants encore moins bien lotis pour qui le maigre bétail de Rahne et d’Assambo représente un ultime espoir de survie, tantôt sous la forme fantomatique de rebelles fanatiques ou de déserteurs hallucinés prêts à perpétrer les pires atrocités, tantôt sous l’apparence de militaires sans foi ni loi qui feignent d’offrir leur aide, pour mieux les dépouiller, aux hordes de misérables assoiffés sillonnant les pistes.
Arrêter de marcher, c’est la mort assurée. Continuer d’avancer, c’est espérer repousser la mort jusqu’à l’aléatoire puits salvateur.
Ici ou là, pour ne pas tous mourir, il faut sacrifier celui-ci, ou celle-là, une chèvre, un enfant… faire un choix déchirant…
Hommes, femmes, enfants, bétail, tombent comme s’abattent les mouches sur les cadavres qui jalonnent les pistes.
Seule, dans tout le cours de leur marche infernale, une oasis s’ouvre, pour une nuit, pour une nuit seulement, à Mouna et à Rahne, un havre éphémère de tendresse, une brève parenthèse d’amour, une courte escale de communion, qui sera, pour la jeune femme, le terminus.
Qu’avons-nous fait à Dieu ou aux hommes pour venir mourir dans ce lieu. Il ne faut pas dormir, Mouna […]. Au matin, Mouna ne bouge plus…
L’unique force adjuvante pour Rahne, du début jusqu’à la fin de ce périple multiplement mortel réside en la « personne » de Chamelle, qui donne son lait et porte les plus faibles… Chamelle, avec son caractère de chameau, qui forme un couple inséparable avec Rahne, un vrai couple, avec ses moments d’affection et ses phases de conflit, qui se comprend, s’épaule, et se dispute… Chamelle, qui donne légitimement son nom au roman.
Chamelle, les antérieurs entravés, se tient tout près. Pour une fois, elle ne râle ni ne grinche. Elle broute tranquillement des rameaux que je suis allé chercher en haut de l’acacia. Je peux la contempler des heures durant, cela m’apaise. Elle se doute que je l’observe. Parfois, elle tourne la tête vers moi. Puis, un peu flattée sans doute, retourne à sa mastication, le museau vers l’horizon en prenant un air de très noble indifférence.
Chamelle, ton ombre sur la dune hantera longtemps le lecteur…
Patryck Froissart
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