Cette nuit-là, Gila Lustiger
Cette nuit-là, janvier 2013, 236 pages, 19 €
Ecrivain(s): Gila Lustiger Edition: Stock
C’est un roman à deux voix : celle de Lisa et de Tania, deux sœurs. Lisa est célibataire, toujours prompte à signer toutes sortes de pétitions sur Internet. C’est une indignée permanente, une révoltée de tous les instants. Elle pratique la fuite dans la vie comme art de l’esquive et collectionne les amants jusqu’à l’étourdissement censé la soulager. Tania est la battante de la famille Bergmann : elle a divorcé d’un économiste célèbre, a épousé un autre homme passablement effacé, Denis. Elle est cadre supérieure dans une banque d’affaires.
Au début du roman, ces deux sœurs veillent leur oncle, décédé d’un cancer. La place qu’occupe cet oncle serait presque celle d’un père de substitution ; il était générateur de regrets, de non-dits a priori nombreux : « Un bref instant, elle (Lisa) aurait presque accouru dans la chambre – lui avait-elle seulement dit qu’elle l’aimait ? – (…) et elle avait décidé, non sans une pointe d’amère ironie, d’ajouter à la longue liste des occasions ratées et des gestes abandonnés celle des mots omis par négligence (ou délicatesse) qui lui semblait parfois plus longue que la liste des choses vécues ».
Des interrogations sont exprimées par les sœurs sur le bien-fondé de leurs conduites sentimentales ; ainsi Tania justifie-t-elle son divorce d’avec Michael, l’économiste : « Il était aussi douillet, égocentrique et vaniteux. Honnêtement, c’était si grave que ça ? lui avait un jour demandé son oncle d’un ton ironique ».
Pour Lisa, son oncle exerçait aussi un magistère moral, elle est rassurée lorsque sa sœur Tania se fait l’écho des appréciations portées par l’oncle Paul : « Elles se demandaient si Tania avait oui ou non été amoureuse de Michael, si Lisa était oui ou non capable de séduire des hommes, si Tania n’aurait pas mieux fait de rester aux Etats-Unis, et si elle avait tout recommencé à zéro avec une ardoise flambant neuf ». C’est ce que disait l’oncle, ce qui conforte les deux sœurs dans l’évaluation de leurs vies respectives. Pourtant, cette exposition des deux vies de Tania et de Lisa tourne à vide ; elle ne dégage aucune complicité et ne convainc pratiquement jamais le lecteur. Peut-être la romancière s’est-elle fourvoyée en choisissant l’oncle comme source du deuil. On ne sent jamais se dégager d’émotions véritables ou de sentiments spontanés, le moindre commencement de sincérité. Tout semble provoqué par des ressentiments, des compensations mesquines repérées dans les vies des deux sœurs. Autant dire que ce roman échoue en grande partie à atteindre l’objectif fixé au départ : une empathie pour les personnages et leur deuil que l’on n’éprouve jamais.
Stéphane Bret
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