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Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, Gilles Paris (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx 05.03.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Flammarion

Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, janvier 2021, 224 pages, 19 €

Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Flammarion

Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, Gilles Paris (par Philippe Leuckx)

 

Voilà un récit qui, d’emblée, aligne les pires tracas et les bouffées de vie. Gilles Paris, à plus de soixante ans, et huit romans et nouvelles, décide d’évoquer les affres d’une adolescence, l’incompréhension par son père, les difficultés aussi d’aimer quand on est différent.

Traversant huit dépressions sur une trentaine d’années, l’auteur décrit, par le menu, ces saisons où il a dû composer avec le mal, renaître dans ses activités et auprès de son entourage. Père exclu, absent, éloigné, il reste à Gilles ces êtres proches, son mari Laurent, sa sœur Geneviève, sa mère.

Le départ de sa mère par la Covid-19, la sénilité de son père ont peut-être attisé l’écriture de ce livre, bouleversant, nu, dense, jamais racoleur, toujours juste.

Et pourtant, son cœur, à force d’être bousculé par les hospitalisations, aurait pu flancher. Une rare énergie de rescousse et de secours est là pour l’enjoindre, chaque fois, à rebondir. Le récit s’articule autour de ces nombreuses hospitalisations, à Paris, en province, à Montpellier, et autour de ses activités.

Jeune, la vingtaine, Gilles est un vrai noctambule, amateur de boîtes, personnage marginal d’un Paris nocturne à la Modiano, où il s’agit de faire la fête. Les excès, les amours, la cocaïne font le reste. Le trauma des coups violents portés par son propre père, décidé à le tuer, semble avoir poursuivi notre auteur jusqu’ici.

Et pourtant, quel amour de la vie, des voyages, quand, a contrario, il a dû, plusieurs années, se couper du monde, vivre au milieu de plus atteints que lui, fous, désespérés, dépressifs. Bien sûr, les souvenirs d’enfance, les heurts familiaux (le père et la mère décident de se séparer – le père multipliant les maîtresses), la recherche d’un travail dans l’édition (son travail dans le service de presse de Plon, ses rencontres, avec Sagan et d’autres) occupent une large part de ce récit, structuré et habile pour nous faire entrer véritablement dans son univers. Et l’auteur ne cache en rien ses fragilités, ses faiblesses, ses défauts ni les moments d’intense désespérance, dus à la dépression, en grande partie d’origine familiale. La mère et la sœur souffrent aussi de la même pathologie.

Habitué aux antidépresseurs, aux anxiolytiques, l’auteur cerne, avec acuité, la personnalité hétérogène qui le constitue. Aucune gêne morale ne vient contrevenir ni fausser le portrait.

Intense psychologue (il est lui-même fervent de nombreuses séances de psychanalyse), Gilles Paris creuse la masse informe de son passé pour en retirer un profit, pour l’écriture certes, mais surtout pour sa reconstruction, indispensable. Un regard de moraliste, enclin à dépecer les tenants et aboutissants d’une vie, nous offre la fluidité d’aveux, toujours délestés d’a priori. Son amour de la littérature (il défend par son métier la carrière de nombre d’écrivains) le renforce dans la conception qu’il a de sa vie, qu’il aime (le chapitre final énonce toutes ses préférences et affinités). Il doit écrire, il adore écrire. Le problème : durant les dépressions, l’écriture est rigoureusement impossible, ne peut servir alors d’exutoire ou de planche de salut.

Vivre est le grand mot qui tremble au fil de ces pages : amour intense des autres, fidélité à ses proches et à ses écrivains, reconnaissance vigilante, prudente, humble de soi, toujours menacé, toujours risqué dans l’exercice même du vivre.

Le portrait de soi sert souvent de miroir, où les lecteurs peuvent se retrouver. Au fil des saisons parisiennes, à la mesure d’une existence bien remplie (et même d’aléas qui brisent), l’auteur transmet une passion de la survie, celle que tant de gens attendent de témoins et d’écrivains. Ici, la littérature joue à fond son rôle de vigile et de fanal – dans la nuit sombre des mélancolies et burn-out.

Un très beau livre, dont l’écriture fluide est remarquable de justesse.

À recommander, comme un témoignage insigne sur la maladie de soi.

 

Philippe Leuckx

 

Gilles Paris, écrivain français, né en 1959, est l’auteur de livres à succès (critique et populaire) : Autobiographie d’une Courgette Au pays des kangourous.

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A propos de l'écrivain

Gilles Paris

 

Né à Suresnes en 1959, Gilles Paris  est un écrivain français. Son premier roman, Papa et Maman sont morts (Le Seuil, 1991), a été adapté au cinéma, et le suivant, Autobiographie d’une Courgette (Plon, 2001), a été traduit en plusieurs langues et a fait l’objet de plusieurs adaptations, télévisuelle (2007) et cinématographique (2015).

 

A propos du rédacteur

Philippe Leuckx

 

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Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise

Genres : romans, poésie, essai

Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...