Cercles intérieurs, Thibault Biscarrat (par Didier Ayres)
Cercles intérieurs, Thibault Biscarrat, éditions Conspiration, janvier 2023, 70 pages, 9 €
Le sur-poème
Il y a bien plus que de la littérature dans ce recueil de poèmes de Thibault Biscarrat, car ses textes s’appuient sur une vie spirituelle dense et qui ouvre le poème à une espèce de « sur-poème », un poème du poème. Livre appuyé quant à lui sur Ibn Arabi, sur Thérèse d’Avila ou Jean-de-la-croix, en tout cas sur des textes fondateurs de la haute spiritualité humaine. Et cette sphère de l’intellection intuitive, si je puis dire, se conjugue en ajoutant au monde matériel l’univers de la pensée – et de la croyance. Ici, Noé, la Genèse, le Cantique des cantiques.
Je suis le secret des secrets, je suis la fin et l’origine. Mon souffle sculpte la voix des prophètes, je sculpte le chant de l’aède, des poètes. Le poème est une prophétie qui s’incarne à chaque instant. Le poème se dirige vers mon âme. Je connais les secrets, les mystères.
Cela dit, cette poésie ne se paralyse pas devant ce traitement métaphorique – comme dans la prière où il faut surmonter tout esprit logique –, mais agrandit les perceptions spatiales et temporelles, le hic et nunc, le lieu où arrive le poème, dont il est le fils, dont il est l’issue. Question de l’endroit, beaucoup, de la demeure, vrai isotope du lieu, mais surtout lieu de l’esprit en sa topographie abstraite. Ici, des lieux profonds, incarnés par des voix de l’Esprit – comme on le dit devant le tentateur : L’homme ne vivra point de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Matthieu 4:4). Royaume intérieur, sans vraie fin (puisqu’il y a rédemption), mais mystère.
Les hommes ont transcrit en vain ma pensée : je suis la Torah, l’Évangile et le Coran. Je suis le dire de Dante et de Al-Mutanabbi. Je suis l’embrasement, la gloire de Lautréamont et d’Arthur Rimbaud. J’irrigue le sang des poètes. Je suis le Livre qui jamais ne s’achève, écrit dans toutes les langues et qui s’adresse à tous les hommes.
En ce qui concerne le style, je dirais que nous sommes dans la mélopée, dans la rhapsodie, dans un lyrisme un peu heurté, comme butant sur des angles de la pensée du poète, des attaques, des traits appuyés qui sont des traits de l’âme. En dernier lieu, disons aussi que le champ lexical de la nature ici, se comprend comme une création faite de créatures, sujets à un Dieu Pantocrator. De ce fait, il me semble que l’on se trouve dans le champ hölderlinien de la poésie, une poésie ascendante, habitation du monde via l’extase que procure la nature, la nature divinisée, sublime. L’ivresse de l’amant du Cantique.
Didier Ayres
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