Ce que j’appelle jaune, Marie Simon
Ce que j’appelle jaune, janvier 2016, 204 pages, 18 €
Ecrivain(s): Marie Simon Edition: Léo Scheer
On n’a pas idée du courage qu’il faut parfois pour écrire un livre. Il serait si simple de renoncer, de retourner à la vie comme elle va, au métro, aux plateaux télé, à la boxe ordinaire des jours qui passent. Laissez tomber, conseil d’ami, on vous le serine si souvent. Mais vous vous obstinez, vous tenez bon. Et sueur, larmes, nuits blanches, le livre enfin se fait. Et vous voilà délivré.
De délivrance en effet, il est beaucoup question avec Marie Simon. Car c’est tout un incendie qui couve, jaune, en ce fétu de paille : fœtus omniscient qui raconte la mère qui le porte, jaune d’œuf plus bavard qu’une poule et qui, de chapitre en chapitre, invente celle qui s’appellera Maman, l’accompagne durant les quelques mois de gestation commune, l’abrite dans sa tendresse utérine des violences infinies du monde. Et la libère finalement des nombreux traumatismes qui grossissaient en elle depuis sa propre enfance, en la faisant à son tour, bébé démiurge, advenir à elle-même. Juste retour des choses : les cris, et puis l’écrit.
La sévérité d’une mère, la désertion des pères – le sien, puis celui de l’enfant à naître, échappé aux quatre vents –, les ratages précédents et l’absence d’amour surtout, ce mot coquille vide auquel elle a cru une fois au moins, pour son malheur, c’était avant l’enfant, et c’était un autre homme, retrouvé pendu. Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare, pour un tracteur en plastique et des chocolats chauds.
Jaune, donc. Jaune, l’éclaboussure de lumière vive au bout du tunnel. Jaunes, les cheveux de Maman et la couleur des revanches claires. Jaunes, les poches vidées de bile et l’apaisement d’être, enfin. Loin du simple exercice de style qu’on aurait pu craindre et qui aurait viré à l’artifice, l’écriture, ombilicale, s’exhale au contraire en un long souffle tendu qui court de l’enfant à la mère, de la mère à l’enfant. Et de l’un à l’autre, la focale se déplace, sans peur des redites, des ressassements liquides entre deux êtres qui se cherchent et s’engendrent réciproquement et isolément. Et qui vivent chacun leurs deux vies à la fois. Ainsi de cette partie centrale du livre, où passe deux fois une chanson de Lykke Li. Ainsi aussi de ces trouvailles poétiques qui, pour dire la laideur adulte et la lâcheté des hommes, renouent avec la langue d’enfance, celle où le monde se crée par pur jeu.
Un roman ? Si le genre littéraire est le sexe des livres, il serait grand temps d’innover au moment de leur enregistrement à l’état civil. Il n’est sans doute pas nécessaire non plus d’insister, comme en 4e de couverture, sur la métaphore du processus de l’écriture (« le bébé anime la mère comme le verbe donne naissance à l’écrivain ») qui alourdit inutilement le très beau livre de Marie Simon d’un cliché dans lequel il verse si peu.
Car l’essentiel ici est dans le ventre. S’écrit dans le ventre. Dans la viande du ventre : sa peau, sa chair, son muscle, ses nerfs, son sang. Il n’y a de conception qu’immaculée… et « immaculante ». Telle est la révélation de ce livre original et troublant à plus d’un titre, une fois qu’on a franchi la ligne de ce qu’elle appelle jaune.
Frédéric Aribit
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