Ce jardin d'encre, Bernard Noël
Ce jardin d’encre, poèmes publiés en français et en espagnol (traduction Sara Cohen), photographies de François Rouan (http://francoisrouan.net/), Cadastre8zéro, 2011
Ecrivain(s): Bernard Noël« à quoi bon maintenant savoir qu’un trajet n’est pas un sujet
que tout va par sauts par tournants sans qu’il y ait un but pour autant
d’ailleurs c’est toujours un contre but que cherche à promouvoir la langue
comme si elle préférait la bouche actuelle à la suivante
alors que l’espèce est indifférente à qui la perpétue
tant pis il est trop tard pour s’engager ici à mots perdus »
Chaque mot dans ce livre est un mot gagné sur la chute, sur la nuit, pour le tremblement de ce qui éclot lentement.
Ce jardin d'encre, si beau livre, livre très vivant, où les poèmes de Bernard Noël se lancent dans une étreinte avec les poèmes de Bernard Noël traduits en espagnol par Sara Cohen (douceur rythmique de cette langue que l’on murmure en se remémorant des odeurs de vieux cuir), se lancent dans une étreinte avec les images de François Rouan qui sont des figurations ouvrant sur l'abstrait – l'abstrait qu'est toute figuration lorsqu'elle est vraiment, comme ici, aperçue, forée, aperçue dans son détail et aperçue dans son mouvement, dans son mouvement avec lequel elle se confond et qui fait qu'elle semble, semble nous murmurer inlassablement Rouan, toujours presqu'identique bien qu'elle soit toujours résolument différente (le regard n'a pas le temps de s'accommoder d'abord), toujours identique jusqu'à pousser le regard à procéder de telle sorte que de nouveaux détails puissent affleurer, jusqu'à entraîner le regard au point qu'il suscite sa vision. Au point qu'il la réinvente.
Les poèmes de Bernard Noël nous y poussent. On est dans leur espace. On est dans le lieu qu'ils instaurent, lieu mental mais aussi paysage qu'ils font défiler. Faisant défiler notre mémoire, et notre imaginaire. Alors, on s'arrête. On respire. On feuillette. On regarde. On essuie mentalement ses iris. On regarde autour de soi. Et les poèmes continuent d'être ce qui nous occupe, mentalement mais aussi physiquement. Ils sont cette présence qui se dit même lorsque le livre est fermé. Lent voyage dans l'espace qu'ils dessinent, qu'ils délivrent.
Matthieu Gosztola
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