Casal ventoso, Fredrik Ekelund
Casal ventoso (Casal ventoso, 2005), éd. Gaïa, 2015, trad. suédois Philippe Bouquet, 206 pages, 19 €
Ecrivain(s): Fredrik Ekelund
Le monde du polar est un monde très ancré dans la géographie, à chaque auteur sa ville ou son coin de pays, à chaque détective sa ville, son climat… L’édition met même en avant des « écoles » de polar en fonction de cette géographie, pas toujours très pertinente en terme de style ou de genre. Ainsi du polar américain, anglais, italien, espagnol ou scandinave. Effet de mode ou vraie identité littéraire ? Sans doute un peu des deux. En tout cas cela fonctionne bien sur les tables des libraires et dans la critique littéraire, et donc de l’édition. Depuis quelques années les pays du nord ont le vent en poupe en la matière et tout éditeur un peu important se doit d’avoir dans son catalogue son ou ses auteurs de noir du nord.
Fredrik Ekelund est un de ceux-là. Alors que la filière suédoise pouvait sembler s’épuiser, les éditions Gaïa se sont attachées à nous le faire découvrir à travers les enquêtes de l’inspecteur Hjalle Lindström et de sa co-équipière et compagne Monica Gren. Leur base est le port de Malmö, tout au sud de la Suède, à un bras de mer et un pont autoroutier du Danemark et de Copenhague. Une agglomération qui rassemble quelques 560.000 habitants…
C’est dans cette ville qu’on retrouve un « homme d’affaires » découpé chez lui à la hache, une seringue plantée dans un œil… Un homme d’affaires connu de la police mais sur lequel rien n’a jamais pu être prouvé… Alors que l’enquête progresse, Hjalle reçoit des courriers très personnels d’un inconnu, anonyme, qui semble bien le connaître, trop bien. Qui connaît même cette part de son passé que le policier préfère laisser de côté, au moins en partie. Passé de musique dans les années soixante. De musique mais aussi de drogue. Entre l’affaire en cours et ces courriers étranges, de plus en plus inquiétants, les liens se tissent… Mais que fait donc la police aujourd’hui ? Qu’a-t-elle fait par le passé ? A-t-elle seulement vu la drogue et ses trafics s’installer année après année, avec son cortège de victimes ? Visiblement pas. C’est en tout cas ce qu’affirme l’auteur des lettres qui semble connaître son sujet.
Sous la pression d’une menace diffuse, singulièrement imprécise et équivoque, l’enquête nous emmène dans le sud de l’Espagne, à Malaga, et à Rio de Janeiro, dans un monde où la richesse qui ne se cache pas semble presque au-dessus de tout soupçon.
Au-delà de cette réalité contemporaine, Casal Ventoso, qui est un quartier de Lisbonne, haut lieu de la misère et de la drogue (nous vous laisserons découvrir le lien entre Lisbonne et Malmö…), nous plonge dans l’histoire de ces années soixante, pour beaucoup fondatrices de notre présent et où nos sociétés changeaient si vite, balayant le monde ancien au rythme des Stones, des Byrds, des Animals, de Led Zeppelin et de bien d’autres. Un monde qui rêvait de société du loisir, qui a en quelques décennies fait croître côte à côte misère désespérante et richesse indécente, telle cette favela de Rio, Roçinha, qui jouxte un riche quartier d’écoles privées où les chauffeurs attendent les enfants de leurs maîtres.
Un polar adroitement rythmé, qui sait questionner le présent comme le passé, qui laisse aussi la place aux émotions des personnages, sans pour autant dévier de son récit. Le lecteur s’y laisse rapidement prendre, avec un brin de nostalgie musicale et ce qu’il faut d’humour et d’ironie pour ne pas être que dans une simple « dénonciation » sociale. Une vraie réussite qui donne envie de remonter le temps et de découvrir les précédents volumes de Fredrik Ekelund, Le garçon dans le chêne, et Blueberry Hill(chez Gaïa et en folio policier). En attendant la suite déjà parue en Suède en 2012 : Joggarna.
Nous serions aussi curieux de pouvoir découvrir l’autre part de l’œuvre de Fredrik Ekelund, dont la littérature policière n’est qu’un aspect : une quinzaine d’autres titres sont publiés en Suède, dont quelques-uns portent sur le football (un Sambafotboll sur le Brésil et un Fotbol Karnevalen sur l’Italie). Il y a également quelques traductions du danois, du français (sur Roland Barthes et sur August Strindberg), de l’espagnol (le chilien Jorge Calvo, inconnu chez nous) ou du portugais (les brésiliens Reynaldo Valinho Alvarez et Milton Hatoum). Une autre voix suédoise à indéniablement découvrir plus avant (nous ne la qualifierons pas de nouvelle, le premier volume publié de l’auteur remontant à 1984 !).
Visiblement, la Suède n’a pas fini de nous surprendre et de nous épater en matière de littérature, noire ou pas.
Marc Ossorguine
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