Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Patryck Froissart)
Carnets secrets du Boischaut, mai 2022, 275 pages, 19 €
Ecrivain(s): Catherine Dutigny Edition: Editions Maurice Nadeau
Sur un village rural ordinaire du Berry profond plane dans les années cinquante la menace diffuse et permanente de la révélation d’une vérité fort dérangeante pour les uns ou les autres du rôle qu’aurait joué un membre de la communauté villageoise quant à la dénonciation calomnieuse de collaboration avec les Allemands, au moment de l’épuration, du mari de Marthe, la propriétaire d’une exploitation agricole dont les terres sont avidement convoitées par certains de ses voisins. Ledit époux, dont l’innocence ne sera reconnue qu’après qu’il aura été fusillé, avait le tort, pour nombre de villageois, d’être Alsacien, donc étranger à la région, marqué comme proche des Teutons par son fort accent germanique, et d’avoir marié, à la place d’Untel qui ne l’aura pas digéré, la belle et riche Marthe.
L’auteure prend prétexte, de manière amusante, de la nature sensible de cette tragédie dont les l’identité des antagonistes ne doit pas être publiquement dévoilée pour mettre en place un jeu de tiroirs narratifs. Ainsi l’histoire aurait été portée à la connaissance de l’instituteur local par l’acteur principal, le cantonnier Jules. Le maître d’école l’aurait consignée, en changeant les noms, dans des carnets secrets (d’où le titre du livre) qu’il aurait confiés à sa sœur, libraire, avant de mourir, avec consigne de ne les céder qu’à une personne de confiance pour une éventuelle publication vingt ans après le propre décès de la libraire. Cette personne de confiance est la narratrice qui emprunte son JE à l’auteure.
Le sceau du secret est ainsi constitué de plusieurs couches.
La chappe de plomb imposée sur cette affaire nauséabonde est d’autant plus pesante que le nom du dénonciateur, ou de la dénonciatrice, est l’objet de supputations hasardeuses et contradictoires, et que des accusations réciproques circulent sous les jupes et les manteaux.
Certains cependant recherchent la lumière.
Parmi eux, Jules, le cantonnier…
Or, une nuit, au juste moment des douze coups, Jules, de retour du bistrot où il a ingurgité maintes goulées, se retrouve face à une scène fantastique : sur le faîte d’un toit, surgissant des cheminées voisines, apparaissent les silhouettes flottantes de la veuve et de personnalités locales qui vont devenir les principaux personnages du roman. L’apparition serait due, selon le narrateur primaire, à la décapitation, exécutée le jour même, d’un coq sans doute un peu démoniaque…
Encore sous le coup de l’ébahissement, revenant de l’évanouissement dans lequel il a plongé après avoir écouté involontairement la dispute à laquelle se sont livrés les acteurs fantomatiques avant de disparaître, voilà Jules nez à museau avec Arsène, le chat du vétérinaire, qui se met à… lui parler.
Jules et Arsène sympathisent, se causent. Jules raconte l’affaire à son nouvel ami.
Et puis, plus tard :
« Arsène, je te confie une mission difficile, voire impossible ! Tu vas devoir, toi aussi, mener une enquête…
Arsène bomba le poitrail. Son heure était venue ! Les premiers accords d’Arsenic blues retentirent dans ses oreilles et la trogne de l’inspecteur Bourrel envahit son cerveau ».
Et voilà notre Arsène promu co-enquêteur.
Une sacrée paire de détectives qui se met en piste !
Tout au long de l’enquête, Chat va, Chat vient, Chat fouine, Chat vire par-ci, Chat loupe un détail par-là, Chat rogne ailleurs un élément inopportun, Chat cale sur une fausse piste, Chat hue silencieusement tel protagoniste, Chat rit, varie dans ses hypothèses, têtu, Chat mêle et Chat maille les fils pouvant mener à la révélation, Chat rue dans les brancards, oui, Chat râle chaque fois que Jules se verse un verre de trop, et, tenez-vous bien, quand il le faut, pour faire avancer l’intrigue, Chat lit un petit message : ch’est tout Chat, l’Arsène.
Quant à Jules, s’il est convaincu d’être le maître du jeu, il doit le plus souvent au flair de Chat d’avancer dans ses investigations.
L’auteure, comme il se doit dans un polar, fantastique de surcroît, entretient la tension, retient l’attention, jusqu’à la chute finale, avec un remarquable sens du suspense, mêlant l’invraisemblable et le prétendu réel, le conte à la Marcel Aymé et un contexte historique dûment documenté, le comique et le tragique, la cocasserie et l’affirmation, sourcils de Chat froncés, du plus grand sérieux.
Le tout s’inscrit dans une atmosphère rurale du milieu du vingtième siècle, en un clos narratif où la modernité recouvre une survivance encore parfois vivace des superstitions ancestrales, où, au sein de communautés de villageois liés entre eux depuis des siècles par un destin commun, existent des rivalités, des jalousies, des détestations dominées par un sentiment majoritairement partagé : le rejet de l’étranger.
Ici, l’invraisemblable est vrai. L’étrange est banal. Tout est possible. Et on feint d’y croire. Et on finit par y croire.
Bizarre !
Vous avez dit « bizarre ? »
Et le fait que le prénom de l’auteure commence par « Cat » ? Simple coïncidence ? Allons, laissez-moi rire !
Et riez avec moi à la lecture de ce bon roman du terroir !
Patryck Froissart
Catherine Dutigny, née à Paris en 1949, est auteure de romans, contes et nouvelles. Elle rejoint en 2012 La Cause Littéraire dont elle devient rédactrice et membre du comité de direction. Elle anime un atelier d’écriture dans le Val-de-Marne.
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