Carnets secrets, Archibald d’Handrax (par Gilles Banderier)
Carnets secrets, Archibald d’Handrax, Rivages Poche, janvier 2022, Préface Bernard Quiriny, 168 pages, 7 €
Edition: Rivages poche
Dans le Portrait du baron d’Handrax, publié parallèlement, Bernard Quiriny a noté le goût de son excentrique ami pour les recueils d’aphorismes, dont il possédait une collection : « C’est un art difficile, le livre d’aphorismes. Il faut qu’ils soient bons ; mais en même temps, il faut que certains soient en fait assez plats, pour que les meilleurs prennent du relief par contraste. Alors, paradoxalement, vous aurez dans les mains un meilleur recueil que si tous avaient culminé, car aucun ne serait ressorti, et le livre aurait paru moins bon » (p.88).
L’aphorisme est, en effet, un genre littéraire paradoxal : d’une part, bien qu’il se caractérise par sa brièveté et donc sa rapidité d’exécution, il est – de même que la nouvelle – plus difficile à réussir qu’un texte nettement plus long. D’autre part, l’aphorisme n’acquiert sa pleine mesure, son plein rayonnement, qu’au milieu de ses semblables, parmi un recueil où la présence d’autres aphorismes mettra en valeur son génie propre ou, au contraire, sa platitude et ses allures de lieu commun fourbu.
Bernard Quiriny avait observé dans le Portrait que « le Baron avait toujours mille idées de livres à écrire, mais n’écrivait jamais rien », non sans ajouter qu’il « avait tout de même commencé quelques livres, et les avait parfois menés jusqu’à un stade avancé. Je doutai cependant qu’il pût aboutir un jour au point final » (p.77). Le lecteur évitera à ce stade de faire preuve d’un scepticisme de mauvais aloi en suggérant que le baron d’Handrax n’a jamais existé ailleurs que dans l’imagination de l’éditeur.
À sa mort, il fallut bien s’atteler au tri de ses papiers. Bernard Quiriny et le fils du défunt furent stupéfaits par la quantité de documents en tous genres accumulés par Archibald d’Handrax, anti-moderne par excellence, au cours d’une existence bien remplie. Au milieu de nombreux projets plus inaboutis les uns que les autres, témoignant d’une curiosité sans cesse en éveil, à défaut d’une saine méthode, ils découvrirent des Carnets secrets, aussi achevés que ce genre d’écrit peut raisonnablement l’être. Ils évoquent Alphonse Allais, Francis Dac, Cami, Jacques Tati, Raymond Devos ou Michel Houellebecq (« Né en 2036 et mort en 2099, Morris H. est le premier homme dans l’histoire à n’avoir jamais rien vu, touché ni senti quoi que ce soit qui fût naturel de toute sa vie », p.111) ; mettent en scène un univers absurde, désagréablement proche du nôtre ; un monde à l’envers, non-euclidien, comme la géométrie du même nom. Certains aphorismes pourraient se prévaloir d’une portée politique (« Il faut qu’ils ne soient plus rien que des porte-monnaie vivants, qu’ils n’appartiennent à aucune communauté que la clientèle mondiale, que rien ne les empêche d’être sept jours sur sept des consommateurs. Leurs habitudes, leurs traditions, ce qui occupe leur temps sans qu’ils dépensent, il faut le couper, l’anéantir », p.106), mais peut-être serait-ce attendre d’eux un sérieux dont ils ne se soucient pas.
Gilles Banderier
Bernard Quiriny est l’auteur de nombreux ouvrages, dont : Contes carnivores (2008), Une collection très particulière (2012), L’affaire Mayerling (2017), Portrait du baron d’Handrax (2022).
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