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Carnets d’un fou, XXXVI - Janvier 2016, par Michel Host

Ecrit par Michel Host le 15.03.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Carnets d’un fou, XXXVI - Janvier 2016, par Michel Host

 

« Dès qu’un homme cesse d’emplir son estomac il ne peut plus penser, être vertueux, avoir de grandes conceptions, s’élever à l’idéal. – Et il n’a pas besoin de penser pour manger. Si l’on ne mangeait pas, on ne penserait pas, mais l’on peut manger sans qu’il soit nécessaire pour cela de penser. – Cela ne prouve-t-il pas quelque chose ? Que la raison ne gouverne pas le monde ? », Jules Laforgue. Mélanges posthumes, Pensées et paradoxes, Au Mercure de France, MCMXXIII.

 

# Le premier mois de l’année est entamé de près de quinze jours par mon silence. Il fut imprévisible, imposé par quelque microbe malin qui en voulait à ma peau. Elle est dure, elle a résisté, mais cette fois le vent du boulet a failli me décoiffer. Passons. Ce vide ne sera pas long à combler car mes capacités de bavardage sont, je crois, illimitées.

# J’ouvre le bal par deux réjouissantes nouvelles mortuaires. Le dessinateur nul du quotidien Le Monde, M. Plantu, vient d’être déclaré en état d’encéphalogramme plat, soit de mort clinique indubitable. Son trait est mou, son humour inconsistant, son fiel sirop de miel. Même lorsqu’il brocarde notre président Hollande, ce qui devrait me réjouir, j’ai envie de pleurer. Il sera gardé au journal cependant à titre de momie.

La seconde nouvelle concerne M. Alain Jouffroy (*), décédé vers le 25 décembre de l’année dernière. Il vécut longtemps, assez pour ne fatiguer personne. Il écrivit quelques recueils de poésie contemporaine, rencontra André Breton, ce qui n’a jamais été compliqué. Surtout il japonisa terriblement, au point de déposer ses réserves spermatiques dans l’intime intimité d’un bon millier de Japonaises : cela me fut confirmé par lui-même, un soir, en Bourgogne, où je le rencontrai chez un peintre local. À l’entendre, je fus persuadé que les mil e tre conquêtes de Don Juan ne furent qu’espiègleries des âges anciens en comparaison des siennes. Cela dit, comptons ses traits d’une misogynie monumentale, un narcissisme pyramidal – il ne parla ce soir-là que de lui-même, des rencontres illustres qu’il avait faites, des hautes capacités de sa personne dans les domaines les plus variés. Comme tant d’autres, la plus simple courtoisie n’était pas son fort. Je ne le revis jamais. La nouvelle de son départ définitif pour l’au-delà ne me fit ni chaud ni froid. Et presque, elle ne me déplut pas. Je dois être moins bon que je me l’imagine parfois. Et qu’on me pardonne cette manie de prêter importance à la qualité humaine de nos « grands hommes ».

(*) Ayant relu certains de mes anciens Carnets, j’ai compris que ne de parler d’autrui que par allusions et initiales n’est pas la meilleure méthode. Pourquoi craindre de blesser le crétin, « l’homme à la face de canard » qu’affronta Lautréamont ? Lui vouer un respect de façade est indigne. Je change donc mon fusil d’épaule avant de passer l’arme à gauche.

Le 12/I/16

 

Aveu et regrets. Mes Carnets de l’année 2015 débordent d’une préoccupation de l’islam qui confine à l’obsession. Je l’avais bien vu et m’en étais facilement exonéré auprès de mes lecteurs que j’ai certainement lassés. J’ai eu conscience de cet excès, et mon éditeur londonien me l’a signalé et presque reproché. Une excuse cependant : un massacre dû à l’islam furieux en janvier (11 morts), un second massacre de citoyens en novembre, dû à la même tendance religieuse (près de 145 morts, et de très nombreux blessés). Une année ourlée de sang telle un linceul ! La haute couture de l’islamisme. Que ces tueries aveugles s’effectuent au cri de « Allah est le plus grand ! » n’engage pas à ignorer ce fondement religieux intolérant et mortifère, apparemment toléré par les musulmans de France puisqu’ils ne protestent qu’à bas bruit et presque encouragés par nos Robots de la politique, qui se bouchent les oreilles, se voilent la face, ne nomment rien ni personne par le nom qui lui revient et ne supportent pas que l’on porte la moindre critique à l’endroit du Prophète et de son livre soi-disant révélé, le Coran. Cela agace, qu’on me l’accorde. Mais je vais faire un effort !

On lira donc ici (en ce mois de janvier) mes dernières (ou presque dernières) lamentations et complaintes se référant au monde d’Allah et à ses merveilles. Puis, je lâcherai cet os (ou presque). On ne peut être chien à ce point !

Au cours de cette année 2016, je pense recentrer mes préoccupations sur la littérature et l’écriture. Jules Laforgue, un grand ignoré, par exemple mérite que l’on s’y arrête. Ses convictions et pensées quant aux femmes, l’appréciation qu’il porte sur les poètes de son temps… cela ne manque pas d’intérêt. Nous irons donc loger quelque temps chez Jules Laforgue. Puis nous verrons où déménager.

Le 13/I/16

 

# Aux antennes radios, que j’écoute la nuit, commencent à parvenir nombreuses, chorales, les plaintes des adversaires de l’état d’exception et des mesures de défense qui rendent prioritaires les forces de l’ordre dans le combat contre le terrorisme aveugle qui nous frappe… Certes, la chose est sérieuse, et elle dérange bien souvent de paisibles citoyens soupçonnés à tort. Mais quoi, pour une fois que ce gouvernement mû par les vents dominants de l’électoralisme et la quête de la bonne place se décide à quelques mesures énergiques (et provisoires, notons-le), faut-il tant gémir ? Nous avons eu plus de 140 assassinés par de lointains disciples du prophète, des dizaines de grands blessés : en faut-il cent de plus, cinq cents de plus, mille… pour que l’on se calme et prenne la mesure du péril ? Croit-on que les messagers de la mort attendront le nihil obstat réglementaire de nos juges aussi lents que tatillons pour appuyer à nouveau sur la gâchette de leurs armes ?

Des événements de la nuit du 31 décembre, à Cologne et dans d’autres villes allemandes et nordiques, ceci : à ce jour, plus de 540 plaintes de femmes molestées, violentées, certaines violées en pleine rue, dans les grandes gares – par de récents immigrés dit-on – ont été déposées. Les autorités ont d’abord cherché à minimiser et à nier ces réalités. L’affaire est trop proche et peu claire. Remise à plus tard, donc, de la discussion.

M. Jérôme Cahuzac, escroc financier de la gauche, coule des jours paisibles dans sa bonne ville de Villeneuve-sur-Lot, quand tous ceux que les socialistes considèrent comme leurs rivaux sont régulièrement traînés dans les locaux des « pôles financiers » ou en justice par des juges que personne n’osera déclarer de parti-pris. Le procès, dit-on, devait avoir lieu en février. On s’étonne du discrédit porté aujourd’hui sur les politiciens et leur soi-disant politiques !

Le 14/I/16

 

Le Sens ? – Qu’importent les miracles du champ physique, que la neuvième planète soit pistée dans l’espace, que les « trous noirs » s’éclairent comme les tunnels du périphérique… Ce que je cherche, c’est LE SENS. Le sens de tout cela, le sens de ma présence ici, pour un temps si bref. Sens de ces masses d’hommes et de bêtes : guillotine, haine, tueries et couteaux des bouchers ! Macbeth n’en trouvait aucun (*), et le « récit de la vie », il le voyait écrit par « un idiot ». Bruit et fureur ! Je suis d’accord, sauf sur ce point que l’idiot (Yahvé, le Dieu Trine, Allah) n’a jamais existé que dans la rêverie désirante et désespérée des humains pour la bonne raison qu’ils ne supportent pas de se savoir seuls au monde.

(*) La vie […] : une fable

Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,

Et qui ne signifie rien, Macbeth, V, 5.

Saint-Anselme, père de l’Église (*), prétendait que Dieu ne pouvait être s’il n’était « parfait ». Il s’est tant éloigné de nous que percevoir sa perfection nous est devenu impossible, et nous sommes, nous, ses créatures, si imparfaites, qu’il ne peut donc être. Pourquoi sinon nous aurait-il interdit de le connaître ? Nous tournons avec les toupies du cosmos. Jamais nous ne verrons le soleil s’éteindre dans les cinq milliards d’années calculées par les astronomes ! – Jamais saint-Anselme n’a eu de plus chaud disciple que moi.

(*) Église. Superstructure de domination des consciences élevée sur le rêve divin et la frustration.

Quant à Jules Laforgue, il avait aussi son idée : « Rien ne dépend de moi, tout est écrit, je me laisse aller. – Je suis un brin dherbe dans un torrent qui roule des quartiers de rocs, des arbres, des troupeaux, des toitures, etc Je suis l’atome dans l’infini, l’atome dans l’éternel, le soupir dans l’ouragan déchaîné, une force équivalente à un souffle dans les puissances formidablement brutales du mécanisme universel. – Je ne suis rien. – Je me laisse porter, – rien ne m’étonne » (Op. cit.).

Le 21/I/16

 

Le Monde de ce 20 janvier revient sur la nuit de la saint-Sylvestre, en gare de Cologne, dans un article intitulé La nuit des chasseurs. Trois jeunes femmes témoignent de ce qu’elles ne furent que des « proies » traquées par des groupes d’hommes récemment arrivés du Maghreb et du Moyen-Orient. Elles furent terrorisées, encerclées, violentées et violées pour quelques-unes. Les plaintes déposées atteignent le nombre de 776. La « correspondante de guerre » décrit la situation de Lisa, cette nuit-là : « … des dizaines de mains se saisissent de son corps, lui pressent les fesses, les seins, le cou, le visage, tentent de s’introduire sous la veste, se glissent entre ses jambes ». De la même victime : « Une masse compacte d’hommes bruns, entre 20 et 30 ans… Des dizaines d’hommes au regard allumé et intrusif. Des hommes qui d’emblée nous ont encerclées en nous scannant, sans la moindre retenue. Comme s’ils nous déshabillaient, nous évaluaient, nous soupesaient ». « Cette salissure, cet irrespect ! Une sensation atroce ». À raison, ces jeunes femmes se trouvent trahies dans la générosité allemande. « Les filles sont devenues du gibier ». « J’avais peur d’être entraînée dans un coin et violée. Et je me disais que la presse n’en parlerait même pas puisqu’il s’agissait d’immigrés et qu’ils sont systématiquement protégés ».

Tout est dit. L’homme qui nous arrive se réduit lui-même à son immaîtrisable animalité, ou qu’on le déclare d’emblée irresponsable et qu’on l’enferme. L’Allemagne connaît le prix de l’accueil : ce prix, c’est la contrainte et le mépris pour les femmes. Nous savons : pour le bédouin à peine dégrossi quoique portant l’habit européen, toute fille, toute femme qui sort seule de chez elle est une putain et plus sûrement encore si elle se vêt elle aussi à l’européenne. Être libre, laisser à peine deviner ses formes, cela confirme le jugement sans appel. Le cerveau du bédouin n’est pas équipé pour penser l’Autre, à quelque niveau que ce soit. Dans les cités du Paris hors les murs… aucune femme seule dans une brasserie, un café. Comme la chèvre, elle doit vivre cloîtrée, au râtelier et au foin. Pure discrimination que nul ne semble apercevoir. Il est vrai que le voyage vers ces lieux désormais sans noms, appelés 93, 94… est assez dépourvu de charmes pour que le bourgeois, le Robot pensif (souvent le même) évite d’y mettre les pieds.

Les rafales des kalachnikov signifient la volonté d’anéantir cette liberté, aussi belle que tout autre liberté, aussi indispensable, nos sept siècles de civilisation courtoise l’ayant souhaitée (dans la difficulté, il est vrai !), et ensuite ce désir d’un vivre-ensemble annoncé, avec le vrai, le sain de l’existence. Nos politiques se gardent bien de souffler mot de cette discrimination inversée qu’ils légitiment par les libertés de croyance et de religion. La nommer serait de l’islamophobie, du racisme, une discrimination hautement condamnable. Je ne supporte pas cette hypocrisie électorale. J’en ai honte pour nous, pour eux.

 

Statistiques dans Le Monde du 21/I. Recensement des actes antisémites en 2015 : 806. Des actes antimusulmans, la même année : 400. Quant aux actes antichrétiens, pas un mot. Cela n’intéresse pas. Ils sont pourtant de loin les plus nombreux. Tous les monothéismes ne sont pas logés à la même enseigne dans la république laïque.

Le 22/I/16

 

Chahla Chafiq, écrivaine, dès le 15 janvier, dans le même organe de presse, avait proposé cette analyse : « Ces dernières décennies, le monde dit musulman vit, à travers les propagandes islamiques une surexcitation de ces codes sexués patriarcaux que la charia entérine. En désignant la liberté sexuelle comme le point crucial de la culture occidentale, l’islamisme identifie les droits des femmes et des homosexuels comme les pires fléaux d’une « occidentalisation » qui détruirait l’identité islamique ».

 

# Politicaille française. Le désastre socio-économique français se confirme. Le président en exercice ne pourra être réélu, il n’inversera la courbe du chômage qu’au prix d’artifices coûteux, de manipulations des statistiques, de contorsions et de réformes improductives. Cela se verra comme le nez au milieu de la figure. L’ex-président, Sarko pour les intimes, nous fait aujourd’hui l’impression d’avoir ajouté le clown, le bonimenteur, le bousilleur, au porteur satisfait d’une Rolex faite pour orner le poignet d’un maquignon : il n’avait rien promis, il fit la politique des banques, des grandes fortunes, il oublia le peuple, et, avec le soutien de Bernard Henry-Lévy, apporta le chaos en Libye. Tout comme l’autre par ailleurs, qui méprise le peuple, mais a au moins a réussi à se donner une dimension combattante qui est son seul point d’appui. Les Français n’éliront ni l’un ni l’autre. Nous aurons peut-être un de ces vieillards rassurants que nous aimons tant, un faux recours providentiel, M. Alain Juppé.

Le 23/I/16

 

# On meurt chez les écrivains, à une cadence infernale. Les derniers partants :

Mme Edmonde Charles-Roux, née dans la soie, ayant vécu dans la soie, inscrite au parti des opprimés et de la misère humaine néanmoins, bourgeoise parfaite en somme, et « combattante des lettres » selon Le Monde de ce 22 janvier. Combattante ? Dans les tranchées de chez Drouant ? Sous la mitraille du caviar ? Sous les tapis de bombes glacées ? Est-ce que l’on n’exagèrerait pas un peu ? Ses livres ? Je ne sais. Pas lus. Jamais tenté.

M. Michel Tournier, écrivain et fictionniste né pour éclairer le réel au-dedans et au dehors. Amateur de mythes qu’il retourne dans la poêle de l’histoire et le faitout du roman, lesquels n’ont pas toujours l’odeur des fleurs printanières. Cela lui valut-il de ne jamais recevoir le Nobel de littérature ? C’est vraisemblable. Le Roi des aulnes est sans aucun doute l’un des plus grands romans du siècle dernier, la fable qui visite dans ses tréfonds l’un des plus grands cauchemars de notre histoire. Abel Tiffauges n’a pas quitté ma mémoire. Je vis Michel Tournier à Aix-en-Provence, de loin, il était peu accessible. Nous avions des pensées partagées : Le Monde du 20 janvier, sous la plume de Raphaëlle Leyris, le cite : « Les avorteurs sont les fils et les petits-fils des monstres d’Auschwitz » (Déclaration à Newsweek, 1989). C’est donc bien vrai, il ne méritait pas le Nobel…

Le 24/I/16

 

Menace directe. Le Monde (p.4, le 26/I) rapporte ces menaces toutes récentes proférées par l’EI (Daesch) à l’égard des Français, après les massacres du 13 novembre : « Nous avons été dans vos pays, nous allons vous massacrer dans vos maisons ». « Sachez que nous avons reçu un ordre de l’émir des croyants, de vous tuer partout où vous êtes ». – Abdelhamid Abaaoud, impliqué dans les attaques du 13 novembre, mis hors d’état de nuire par la police. C’est, dirais-je, d’une clarté coranique : cela nous est craché à la figure par les « croyants ». Qu’on ne me demande pas de ne pas voir les germes pathologiques dormant dans le grand texte de référence qui engendre de pareilles pulsions. Les croyants modérés de notre territoire restent terrés dans leur silence coutumier : on verra ce qu’ils auront à nous dire lorsque devant ou dans les écoles, les collèges, les lycées, plusieurs de leurs propres enfants tomberont sous les balles de ceux qu’ils protègent de leur silence effrayé. Je ne crains pas de dire que je suis islamohostile, c’est ma liberté de pensée et d’expression. J’en débats avec qui voudra, quand on voudra. Ils pourraient au moins se déclarer islamodubitatifs ces « modérés de la croyance » ! Nos Robots pensifs maintiennent leur hostilité à la prorogation de l’état d’exception décrété par le gouvernement. Ils ne voient sans doute que fanfaronnades dans ces menaces, guerre fleurie aux canons des kalachnikovs, promesses de feux d’artifice dans les ceintures d’explosifs des délicieux garçons qui nous aiment au point de vouloir notre extermination. Comme Voltaire, je dis « Écrasons l’infâme ! », même s’il a changé de déguisement.

 

# Dans un geste d’une ostentatoire noblesse théâtrale, Mme Christiane Taubira quitte son emploi au ministère de la Justice. Elle avait mis en cause les décisions du gouvernement français depuis l’Algérie et elle s’opposait directement aux mesures concernant la déchéance de nationalité pour les criminels agissant militairement contre nous. « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », avait dit M. Chevènement. Tardivement, elle a fait le bon choix. Elle pourra désormais s’exprimer sans bâillons. Nous allons rire, car elle a du bagout. Disons aussi qu’il est tout à son honneur d’avoir des convictions et de les défendre. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Je ne suis pas de ceux qui regretteront cette protectrice de la petite et moyenne délinquance, ni de ceux qui miauleront leur douleur de perdre cette arrogance sur deux jambes ou en vélocipède, cette ennemie d’un ordre strict pour la république, et encore moins de ceux qui aboieront leur joie aux marches du palais, dans les bureaux et les sièges de la droite haineuse et revancharde.

Le 25/I/16

 

# J’ai vu M. Alain Finkielkraut entrer sous la coupole, revêtu de son uniforme d’académicien. Il a 66 ans. On ne peut rien contre les ans, mais ceci doit en partie expliquer cela. Le costume de lézard, l’épée ridicule lui confèrent dix ans supplémentaires. Le visage est soudain celui d’un vieillard. Sa liberté de penser et de dire n’en sera pas affectée, de cela je ne doute pas un instant. La belle devise qu’il a inscrite sur l’épée ne le permet pas. Seul mon regard est troublé. Entamer le processus de sa propre momification face à quatre rangées de momies, dont certaines antisémites ! Comment un homme aussi libre peut-il volontairement entrer dans le parc zoologique, côté cages et enclos ?

Le 28/I/16

 

# À RIGOLADE HOUSE

La maison n’a jamais fermé ses portes en dépit de bruits contraires. Il fait froid, moins quatre degrés centigrades en plaine à quatre heures du matin, cinq degrés au-dessus de zéro dans Paris à neuf heures. La capitale grelotte, le Parisien ne doute pas un instant d’être assiégé par un général hiver moscovite. Les salons de Rigolade House sont bondés, l’alcool y coule comme pendant et après les temps de la prohibition.

La comtesse de Gris-Manoir en est à son cinquième bloody mary. Assise à ses côtés (la maison ne refuse personne), Cali de Montfort-l’Amaury, péripatéticienne d’excellente réputation et fort compétente.

La comtesse : Comment faites-vous, Cali ?

Cali : J’écarte les cuisses, chère comtesse.

La comtesse : C’est tout ?

Cali : Ne trouvez-vous pas que c’est suffisant ? Je les écarte… et je pense à autre chose.

La comtesse : Mais je fais ça avec le comte depuis trente ans.

Cali : Permettez que désormais je vous appelle « ma sœur ».

CONVERSATION AUTOUR d’UN CHERRY DEMI-SEC

Comte du Trottoir d’En-face : Savez-vous que M. Renzi, chef de l’État italien, a fait voiler les statues du musée du Capitole à l’occasion de la réception de son homologue iranien, M. Hassan Rohani…

Comtesse de Gris-Manoir : Mais il n’a rien pu voir, le malheureux !

Le comte : C’est ce qu’on recherchait, justement.

Cali de Montfort-l’Amaury : Ça alors ! Moi qui aimerais tant les voir ces belles statues, je n’ai jamais eu les moyens d’aller à Rome…

La comtesse : Je crois savoir que ces messieurs « de la religion » se prétendent horriblement choqués à la vue d’un corps nu et spécialement d’un sexe masculin ou féminin.

Le comte : C’est ce qu’ils prétendent, en effet.

Cali : Croyez-vous qu’ils ne branchent jamais leurs ordinateurs sur des sites pornographiques dans le secret de leurs maisons ?

La comtesse : Je n’en doute pas. Cela leur permet de penser que les femmes non voilées sont toutes des p… Pardonnez-moi Cali, mais il s’agit de moi comme de vous.

Cali : Si le sexe leur déplaît à ce point, pourquoi et comment font-ils autant d’enfants ?

Le comte : Selon moi, comme au temps de la reine Victoria, leurs femmes ne paraissent dans le lit conjugal que revêtues d’une longue chemise de nuit dans laquelle, à l’endroit idoine, est prévue une échancrure, un pertuis, quelque passage…

Cali : Eh bien, ça doit être rudement pratique ! Et quel gâchis de soie et de batiste !

La comtesse : Pour moi, plusieurs explications sont possibles. Je vous en propose deux. Soit M. Rohani, ce saint homme, appartient à la troupe de ceux qui exigent que l’on cache ce sein qu’ils désireraient tant voir. Soit il est un parfait ignorant qui ne sait que les civilisations ont, au cours du temps, divergé dans leurs appréciations de la nudité des corps, et que si on les voit marqués du péché de concupiscence à Téhéran, à Rome et à Paris ils sont l’image harmonieuse de la beauté… Mais peut-il être ignare à ce point ?

Cali : Intolérant, alors ? Il faut qu’on se soumette à sa vision étroite, à ses préceptes du VIIe siècle.

Le comte : C’est plutôt cela, chère Cali. Vous êtes dans le vrai. Et vous savez qu’ils exigent des femmes, lorsqu’elles marchent dans les rues, qu’elles soient couvertes de la tête aux pieds de longues robes noires qui dissimulent leur beauté, toutes ces courbes admirables qui nous enchantent.

La comtesse : Je me suis laissé dire que celles que l’on prend en défaut sont accusées d’impudicité, qu’on les fouette publiquement et les emmène parfois dans des geôles affreuses…

Le comte : Ils ont ainsi tout pouvoir sur les corps des femmes, et finalement sur leurs esprits. Ils les dominent, les tiennent sous leur contrôle permanent. Pour celles qui se soumettent d’enthousiasme à cette coercition, ce sont de vieilles bigotes, des esclaves qui se croient libres parce que tout cela est commandé par « la religion ».

Cali : À mon avis, ces punaises de minarets, ces complices de la vertu par le fouet, ces gardiennes des bonnes mœurs, ce sont les plus décaties, celles dont le corps est devenu informe, horrible à voir à force de loukoums et de pâtisseries orientales.

La comtesse : En attendant que M. Rohani passe à Paris, buvons de ce cherry délicieux. Je me demande ce que nous allons devoir lui dissimuler…

Cali : Moi je sais…

Tous : Quoi donc ?

Cali : La Tour Eiffel, ce priapique et métallique phallus, et l’Arc-de-Triomphe, car on entretient constamment une flamme suspecte entre ses jambes d’ancienne combattante.

LES DÉFINITIONS ÉCLAIR

DÉCISION. Se prend soit le dos au mur, soit lorsque brille l’espoir d’un profit.

DÉFAITE. Victoire morale, chez les Français notamment. Une seule est irrémédiable, la défaite amoureuse.

DÉLIT. Acte commis par une innocente victime de la société au détriment d’un individu dont la culpabilité en l’affaire sera dévoilée tôt ou tard.

DÉLUGE. Dieu prit conscience de sa première erreur, la Création. Il voulut la faire disparaître sous les eaux. Puis il eut un repentir : il mit quelques bestioles dans une arche, en compagnie de Noé. Ce fut sa seconde erreur.

DEUX. Fin de la tranquillité.

DIALECTIQUE. « Une sorte de dentier », selon Elias Canetti.

DIEU. Virtuose du fiasco.

DIFFÉRENT. Toujours pire, comme cela se vérifie si l’on prétend mettre en œuvre une politique différente.

DIRE. Désormais impossible tant les gardiens de la pensée se sont multipliés.

DISCUTER. Rendre inexpugnables des avis opposés.

DURER. Souhait d’un nombre croissant de gens qui ne cessent de se plaindre des rigueurs de leur existence.

 

Fin du Carnet XXXVI, janvier 2016

 

Michel Host

 


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005