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Carnets d’un fou - XXXV Décembre 2015, par Michel Host

Ecrit par Michel Host le 11.02.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Carnets d’un fou - XXXV Décembre 2015, par Michel Host

 

« En France, on les appelle les ténors du parti. Ils chantent faux pour la plupart. Que leur chant s’élève et la foule se bouche les oreilles. Les militants les écoutent à genoux refoulant leurs larmes dans leurs gorges nouées d’émotion. Ceux du parti adverse entonnent alors leurs hymnes et leurs ritournelles. Leurs partisans s’époumonent et hurlent leur joie d’en découdre. Cacophonie ! Charivari ! Cela n’est rien qu’une campagne électorale », Maxime du Touret de Loisne, dit Le Béthunois (1942- ?), Lexique des Mots Hardis ou Trompeurs, Éditions de Festubert.

 

# À la suite du massacre parisien du vendredi 13 novembre, nous arrive la deuxième catastrophe. Elle est à effet lent et progressif. Dans la puissante chronique romanesco-véridique qui fera l’essentiel de ce Carnet de décembre, le lecteur qui a encore la patience de me suivre sera tenu informé de ses développements, soubresauts, convulsions et conséquences rapprochées, voire lointaines.

Le 6/XII

 

# Chronique de la IIe Catastrophe, ch. I.

Les élections régionales, ou comme Alice suivit le lapin blanc. C’était hier et fort distrayant. Élections. Alice – le nouveau peuple – était invitée à glisser son bulletin dans l’urne située au fond du terrier du Lapin Blanc. Mais tout était différent. Alice ne portait plus cette mignonne jupe de vichy où affleurait un fin petit pantalon de dentelle amidonnée, non, elle était en haillons, amaigrie par la faim, sans travail, sans un sou et n’osait plus visiter la galerie marchande tant elle avait honte et savait ne rien pouvoir s’offrir. Elle était pourtant aux trousses du Lapin Blanc, président de tous les lapins, qui venait de se faire un nouvel ami en la personne de Gattazou-le-Renard, alias On-s’en-met-plein-les-poches-et-on-file-aux-Seychelles. Il était donc fort content. Souvent, tel le Chat alicien, entre les branchages de ses jardins élyséens, il montrait son visage rond et rieur à la foule lapinesque sans laisser voir son corps boudiné de notaire de la campagne. Il avait aussi invité la foule des lapins, devenus les sans-dents à force de ne ronger que cailloux et racines, à participer au « premier tour » des élections. Sa seule inquiétude était qu’ils fussent trop épuisés pour se rendre dans le terrier du Lapin Blanc. Le choix, pour présider aux destinées des Treize Provinces, était entre les troupes du Grand Âne Hi-Han, celles du Loup Hou-Hou-le-Gris, lui aussi grand ami de Gattazou, et celles enfin des lionnes Marinette et de sa nièce, l’accorte Marinon, l’une ayant son logis en la province septentrionale, l’autre en la province méridionale. Les partisans de Hi-Han, de Hou-Hou-le-Gris, mais aussi Gattazou en personne, avaient abondamment compissé et conchié les lionnes et tous les territoires qu’elles fréquentaient d’ordinaire, au prétexte qu’elles avaient de méchantes pensées et qu’elles conduiraient les Treize-Provinces à une ruine plus définitive que celle dans laquelle, tous les trois, ils l’avaient plongée depuis une bonne trentaine d’années. Les lionnes étaient furieuses, les trois Fossoyeurs Masqués aussi, les lapins désespérés, tourneboulés et perclus d’angoisses, car on les tirait comme des lapins précisément, à la kalachnikov de préférence – une nouveauté ! – sans que pour autant les calibres 12 du fisc fussent entièrement silencieux ni que leur fussent venus les moyens de se nourrir et de payer les loyers de leurs terriers. Alice ne savait à qui donner sa voix. Elle se résolut à déposer dans l’urne la carte blanche sur laquelle elle avait pensé écrire sa demande de visa pour le Pays des Merveilles. Sur ce, tout le monde attendit les résultats du vote.

Le 8/XII

 

Le chat de Tzvetan Todorov. Dans les derniers Cahiers de Science & Vie (janvier 2016), le sémiologue au beau visage lumineux et aux yeux clairs comme l’eau des sources se prête à un bref entretien, on ne peut plus de saison, dont le sujet est la « barbarie ». Il nous rappelle le sens étymologique du terme « barbare » et son évolution dans divers champs sémantiques, dont celui de la pulsion violente irraisonnée qui peut affecter tout un chacun et jusqu’à l’homme le plus retenu et éduqué. Il encadre aussi cette réalité dans une pertinente définition : « Être barbare, c’est nier l’humanité d’autrui ». Me frappe aussi la photo où apparaît le magnifique animal qu’il tient dans ses bras – son chat. Magnifique ? Le qualificatif est pauvre. Hiératique, devrai-je dire. Sage lui aussi. Impérial et paisible. Une sorte d’Hadrien que rien n’atteindra puisqu’il est dans les bras de la Sagesse, et, comme tout chat bien né, parce qu’il se sait aimé et caressé, avec sa place dans la maison et dans le cosmos. Le regard est fier et sans agressivité, sans crainte aucune, sans rien de ce qui induit les petitesses qui conduisent à la barbarie.

Le 9/XII

# Chronique de la IIe Catastrophe, ch. II.

Résultats du premier tour des élections régionales, ou comme Alice et tous les lapins furent plongés dans la surprise, l’expectative et la confusion, avec les premières et curieuses conséquences du vote des lapins.

Il fut annoncé que rien n’était fait et qu’il fallait craindre le pire, car les lionnes avaient pris une nette avance en voix sur tous les autres prétendants à la victoire. Des provinces entières étaient menacées de périr sous leurs griffes ou d’épidémies nouvelles en comparaison desquelles la peste, le scorbut, le choléra et le virus Ébola n’étaient que rougeole des enfants et cors au pied des grand-mères ! Nos petits lapins étaient en grand danger, ils ne comprenaient rien à rien. Heureusement, on pouvait tout espérer du second tour. Il suffirait de les remettre dans le droit chemin, ces marmots sans cervelle, ces petits imbéciles qui risquaient de se jeter dans la gueule des lionnes, et avec eux l’éminent personnel politique qu’ils représentaient depuis tant d’années.

On voulut en appeler au Lapin Blanc, que l’on n’entendait ni ne voyait plus. Il était trop occupé avec les marins de La Royale à regarder s’envoler ses avions chargés de bombes du pont de son unique porte-avions, à examiner ses canons pointés vers l’Orient lointain et compliqué, puis à recevoir les deux cents rois et empereurs de l’Univers qu’il pressait de cesser d’enfumer l’atmosphère, car c’était une mauvaise habitude qui empestait les poumons de tout le monde et conduirait à la catastrophe ultimement définitive ou définitivement ultime.

Le Loup-Hou-Hou et l’Âne Hi-Han, tous leurs amis auxquels se joignirent le Lièvre de Décembre (fils naturel du Lièvre de Mars) avec le Chapelier fou et divers autres personnages de moindre rang, se réunirent en un lieu secret de la capitale afin de prendre le taureau par les cornes, c’est-à-dire les petits lapins aux oreilles, pour qu’ils écoutassent leurs sages décisions. Il fut en effet décidé ce qui suit : partout où les lionnes montraient leurs crocs féroces, on s’unirait en une ligue transitoire qui devrait avoir toutes les apparences d’une union éternelle et sacrée. Aux quelques lapins qui suivaient encore les uns et les autres on enjoindrait de voter pour ces listes-cocktails au nom de l’union sacrée, et ce en dépit du fait que l’on n’avait su jusqu’alors que se haïr et s’entredévorer. Il y eut un grain de sable néanmoins : le Loup Hou-Hou, les lionnes ne l’effrayant pas autant qu’il le laissait paraître, refusa de retirer ses propres listes là où elles devançaient celles de l’Âne Hi-han. Ce dernier dut se soumettre. Ainsi fut fait. Un dernier conseil fut pris auprès de l’oncle Jonathan, qui du fond de sa tombe daigna répondre ceci : « Faites comme vous l’entendez, les amis, mais sachez que décapités par le gros ou le petit bout, les œufs à la coque mélangés ne font qu’omelette exécrable ». On pensait par ce stratagème mettre enfin les lionnes hors d’état de capturer les provinces, calcul risqué mais arithmétiquement logique. Des lapins militants se soumirent sans bouger une oreille, d’autres se révoltèrent, crièrent au suicide du parti ânier et qu’ils se sentaient trahis. Un Surlapin, chefaillon d’une lointaine province, refusa de se soumettre aux ordres de la ligue éphémère et ne retira pas sa liste personnelle, pensant devoir être représenté, fût-ce minoritairement, dans l’assemblée régionale future et devoir cela à ses lapins électeurs. Ce chefaillon fut déclaré hérétique et relaps, on le brûlerait à la première occasion. Le Chapelier fou, changeant de métier, enfonça les clous de son propre cercueil en déclarant que les lionnes, si elles devaient gagner ce deuxième tour, conduiraient la nation lapine à la guerre civile. Les plus intelligents des lapins comprirent que les lapins noirs du territoire (il y en avait quelques-uns) seraient cause que les lapins blancs les combattraient, étant convaincus que certains lapins noirs et d’autres gris (de la variété Merah-Coulibaly…) les abattraient à la kalachnikov… Les lapins noirs et gris devaient donc être protégés des agressions de certains lapins blancs. Le Lièvre de décembre, Bartolomé-du-Haut-Perchoir, épargné dans ce combat car sa petite troupe avait gagné la deuxième position dans l’obscure empoignade autour de la ville capitale, devait affronter au second tour Dame Le Loir de Sainte-Pécresse, depuis toujours du parti adverse et honni : il déclara avec beaucoup d’enflure qu’elle n’avait d’yeux que pour les lapins blancs, qu’il assimila à une « race », absurdité notoire car les races avaient de longtemps été déclarées obsolètes par la Science Lupercaliène et zoologico-asine. On se battrait donc comme chiens et chats ici, et, là-bas – « Embrassons-nous Folleville ! » – on ferait ligue et alliance, main dans la main, contre les lionnes. Nul n’y entendait goutte. Alice, se demandant si on ne se moquait pas dans les grandes largeurs du vote lapinesque, quitta le terrier en courant. Se retournant pour jeter un dernier coup d’œil sur le Pays des Merveilles, elle vit que Le Chapelier fou et le Lièvre de décembre tentaient d’introduire de force Mme Le Loir de Sainte-Pécresse dans la machine à café (il n’y a pas de théières en ce pays-ci !) du Palais Bonbon ou Assemblée Lapinale. Dame Le Loir se débattait comme une folle et hurlait qu’elle leur intenterait un procès en diffamation et pour tentative de meurtre en réunion. Restait à attendre qu’on votât pour le second tour et les résultats de ce vote. On attendit, car on ne pouvait faire autrement.

Le 11/XII

 

# Chronique de la IIe Catastrophe, ch. III.

Résultats du second tour des élections régionales, où Alice et tous les lapins furent plongés dans les délires des victoires apparentes et de la démocratie de théâtre.

Grand lapin, pour tromper son attente, avait présidé la conférence ultime des pays enfumeurs de l’univers, où il crut avoir triomphé en recueillant l’adhésion de 190 nations à un cadre de résolutionsnon contraignantes, remises à cinq ans et précédées du versement de fortes sommes par les pays dits riches aux pays dits pauvres, dont les dirigeants mettent en lieu sûr – leur banque, leur coffre-fort, leur poche – cette manne miraculeuse sans obligation autre que de ne rien faire et d’attendre la distribution suivante. Grand Lapin Blanc montra son visage de Chat élyséen et fit un beau discours de clôture pour célébrer ce Surplace qu’il qualifia d’Avancée historique. Il était satisfait et on ne le revit plus de la journée. On le crut reparti visiter ses canons pointés sur l’Orient lointain et vraiment compliqué, ou tombé dans quelque rêverie au sujet de sa prochaine réélection, dans moins de deux années.

La ligue des Loups et des Ânes fonctionna à merveille. Marinette et Marinon, fort déçues, furent battues à plates-coutures et à deux doigts de se voir changées en carpettes pour salons d’écuries ânières et d’antres de loups gris. En ces salons, on se gratulait et congratulait avec enthousiasme. Les lionnes, quoique à la tête de près de sept millions de lapins, ne gouverneraient aucune province (leur ami, le Hibou Philipottin, premier conseiller de Marinette, en faisait des yeux plus ronds que des soucoupes), et n’auraient toujours que trois députés à l’Assemblée Lapinale avec leurs yeux pour pleurer. Alice, qui par prudence ou perplexité avait glissé une autre carte blanche dans l’urne, se demandait si tout cela avait un sens, d’autant plus que la belle alliance des Loups et des Ânes commençait à se fissurer. En s’embrassant dans les salons on se mordillait déjà aux oreilles, le premier sang coulait. Les ânes, amers de ne plus posséder que cinq régions et d’avoir vendu leurs électeurs à l’ennemi de toujours en de certains endroits où leur défection des privait désormais pour six ans de toute représentation aux conseils de provinces, se demandaient s’ils avaient judicieusement guidé leurs lapins, lesquels, il faut le dire, étaient peu enclins à la désobéissance. Beaucoup de petits lapins, sensibles aux leçons, les avaient suivis qui pour les uns maintenaient qu’on avait fait pour le mieux, pour les autres qu’on avait vendu leurs voix pour peaux de lionnes qui furent peau de lapin. Des regrets venaient à beaucoup, qui virent que le Surlapin indiscipliné, même s’il n’avait pas vaincu, avait conservé une représentation non négligeable au conseil de région. Avait-on si bien fait, n’étant que des herbivores, de vouloir dévorer des lionnes ? Chez les Loups ce n’était guère mieux : on régnait désormais sur sept provinces, quoique avec une forte et gênante représentation du parti des lionnes (elles se promettaient de repartir au combat), et on n’avait guère progressé soi-même, ni en voix ni en assurance : déjà on se reprochait de s’être divisé en pactisant avec l’ennemi, qui le restait, en jouant l’union des carpes et des lapins. Un fait les consolait quelque peu, c’était que Dame Le Loir de Sainte-Pécresse, loin de se laisser fourrer dans la machine à café du Palais Bonbon, s’était fort bien tirée d’affaire en envoyant Bartolomé du Haut-Perchoir dans les orties, lui tirant de sous les fesses le siège circumcitadin de l’Île-de-France sur lequel il avait cru poser son séant pour six années. Il en fut si marri qu’il ne fit qu’une brève et contrite apparition aux lucarnes merveilleuses, les mêmes par lesquelles chaque soir se déversent sur tous les lapins ordres, contrordres, conseils et recommandation de bonne conduite ! Déjà il lui était reproché, comme cause probable de son échec à peu de voix près, d’avoir accusé son adversaire, qui par ailleurs n’avait jamais rien prétendu de tel, d’être l’exclusive défenderesse des lapins de « race blanche », ce que certains lapins blancs de son parti, avec d’autres du parti adverse, avaient entendu comme « nous ne méritons d’être défendus contre rien ni par personne, nous sommes indéfendables »… On avait donc changé de camp une fois de plus, et cela avait suffi. Plus tard, M. du Haut-Perchoir fit une déclaration solennelle, croyant racheter le peu d’honneur qui lui restait : « Je descendrai demain de mon perchoir et remettrai ma démission à mes amis asiniens de l’Assemblée Lapinale, tenant d’eux ma légitimité, et notamment au Grand Lapin Roux, un ami de toujours, qui me fera savoir si je suis digne ou indigne de reprendre la fonction ». On éclata de rire chez tous les lapins, comprenant que M. du Haut-Perchoir n’avait aucune intention de rompre la chaîne d’or qui le reliait à son barreau de bambou et qu’il y remonterait donc à coup sûr.

Alice fuyait maintenant à toutes jambes le Pays des Merveilles, pays des Fous en vérité, qui déjà se promettaient de délicieuses empoignades pour les élections futures, celles, nationales, où l’on choisirait le nouveau Président des lapins, qui pourrait être le même ou tout aussi bien un loup muni de longues oreilles, voire Le Loup Hou-Hou en personne, afin que l’on pût poursuivre les querelles qui amusaient tout le monde, enrichissaient les riches, appauvrissaient les pauvres dont on avait cessé de parler durant la moitié de ce mois de décembre. Elle se demandait qui étaient ces lapins, ces loups, ces ânes, ces chapeliers, ces loirs, ces lièvres, et qui elle était elle-même à la fin des fins. Le Grand Lapin, sous son masque de félin, daigna lui apparaître alors à travers les branchages de son jardin de l’Élysée, et lui déclarer ceci, qu’il tenait d’ailleurs d’une Duchesse familière des lieux : « Soyez ce que vous voudriez avoir l’air d’être ; ou pour parler plus simplement : Ne vous imaginez pas être différente de ce qu’il eût pu sembler à autrui que vous fussiez ou eussiez pu être en restant identique à ce que vous fûtes sans jamais paraître autre que vous n’étiez avant d’être devenue ce que vous êtes » [¤]. Alice, épouvantée, courut quatre fois plus vite, se disant : « Tant d’intelligence épuisera tous ces fous ! Moi, ils m’ont tuée ! ». Gattazou la suivait, glapissant et criant : « Attends-moi, Alice ! Attends-moi ! Ils me feront crever de rire ».

[¤] Alice au Pays des Merveilles. Chapitre de L’Histoire de la Tortue Fantaisie.

Le 14/XII

 

Écrire ? Le mois qui vient de s’écouler m’a rendu malade au point de ne pouvoir rien écrire de plus et d’autre que cette mince chronique électorale et les quelques notations qui l’accompagnent. Lire, écouter quoi que ce soit qui n’eût pas de rapport avec les événements récents me fut impossible. Sommeil plus difficile qu’à l’ordinaire, accentuation des symptômes divers de mes maux quotidiens… Les cent trente assassinés des boulevards et salles de spectacle parisiens, aujourd’hui montés au chiffre de 133 ou 135, car depuis lors certains blessés (parmi plus de 300) sont décédés, m’ont démontré cette perversité intrinsèque de l’homme à laquelle il m’arrivait de ne faire que semblant de croire. Elle m’est aujourd’hui certitude absolue. Je n’aurai même plus besoin de jouer les cyniques.

L’homme n’a de respect ni pour lui-même ni pour autrui. De la haine et peu d’amour. Celui qui l’a créé (pour ceux que ces fables distraient) manque de cervelle ou a fort mal fait son travail. Dans les deux cas, manquant à la perfection, selon saint Anselme, il ne peut avoir d’existence. Je n’entends plus chanter moines dans leurs stalles et croyants sur les tapis de prière sans une grande envie de rire. Naïfs jouets d’une illusion ou hypocrites consommés… Ils sont parfois les deux à la fois. Ils n’ont pas plus de cervelle que celui qu’ils imaginent être leur créateur.

Ils sont aussi « électeurs ». Nous venons d’assister à un spectacle faussement démocratique et répugnant : la vente à l’encan de voix populaires au nom d’une morale supérieure dont n’ont pas été énoncés ni démontrés, en la circonstance, les vices absolus qu’elle était censée combattre ; on s’est vendu à son ennemi de toujours au nom d’une vertu non définie, on a pesé sur les consciences, on les a abusées avec ou sans leur accord. On s’est substitué à la conscience de chacun, tacitement considérée comme insuffisante ou égarée. On a guidé le troupeau à la manière brutale des prêtres. Ce fut un tour de passe-passe. Certains électeurs s’y sont prêtés, d’autres non, beaucoup sont furieux d’avoir ainsi été manipulés, victimes des prestidigitateurs (deux nuits d’écoute des radios diverses m’en ont convaincu). Les plus furieux pensent que l’on a ainsi préservé ces « places », ces « fonctions » lucratives, ces « prébendes » et « avantages » dont jouissent les politiciens de profession, tous privilégiés dont la principale raison d’être est de faire carrière et fortune. Ils sont nombreux, c’est bien connu, avec M. Bartolone à leur tête, à s’opposer à ce qu’un œil public interroge leur patrimoine, la fortune qu’ils se roulent entre leurs pattes à la manière des bousiers. Après s’être agité, particularisé, avoir fait mine de fronder, on revient à l’ombre d’un président menteur, d’un perchoir protecteur, voire aux douceurs d’un cumul de fonctions… car, n’est-ce pas, mon colonel, la soupe n’est pas si mauvaisesous les toits des palais nationaux. Qu’on me pardonne la trivialité du propos. L’interrogation, selon moi et bien d’autres, se porte directement sur l’essence démocratique d’une telle démocratie et d’un vote tel celui-là.

J’ai eu recours au médecin Lewis Carroll et aux soins de son infirmière Alice pour surmonter une très ancienne maladie, l’écœurement, traverser ces quatre semaines et supporter cette palinodie. Je leur rends infiniment grâce, pense à les laisser veiller sur ma convalescence et à avoir recours à eux dès que j’en ressentirai le besoin.

Cela ne saurait tarder. Pas une semaine que ces confrontations ont eu lieu, et déjà on a oublié une nation pour moitié désespérée, en grand péril moral et économique avec plus de 10% de chômeurs : dans les « états-majors » – quelle dérision que cette martiale dénomination pour des troufions grimés en officiers ! –, comme auparavant, on ne se préoccupe plus que de la répartition des restes de l’orgie, de proposer des emplâtres dont les effets éventuels sont prévus à cinq ans (l’apprentissage !), de prendre les places prometteuses dans des élections « primaires » susceptibles de vous mener à la présidence. Pas l’ombre d’un projet rassembleur, énergique, décisif, éclairant… Ils ne peuvent. Ils n’ont ni le souffle, ni l’âme, ni le cœur, ni la vision. Leur médiocrité aveugle le monde. « Le changement c’est pour plus tard… c’est à dire pour jamais ! » Aux tribunes, aux antennes des radios, comme on n’a vraiment rien à dire, rien même à critiquer, on continue de battre à la tapette à mouches les peaux des lionnes – ne va-t-on pas, sans qu’il en coûte rien aux calomniateurs, jusqu’à les assimiler à Daesch ? –, lionnes que l’on croit évincées et assez humiliées pour que le peuple, humilié lui aussi, ne pense plus à désirer encore leur protection. Quoi qu’il arrive, il est si facile de le duper. Ceux que j’ai appelés « les Loups Hou-Hou » sont aux aguets. Leurs dents sont aiguisées, leur médiocrité au moins égale, leurs idées sans portée, sans visée autre que l’enrichissement des plus riches, hormis celle de reconquérir non le pouvoir (ils ne savent qu’en faire, au fond) mais les places.

Le 18/XII

 

# En attendant, me reviennent les observations un brin cyniques d’Octave Mirbeau au sujet de « l’électeur » : « Les moutons vont à l’abattoir, ils ne disent rien, eux, ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir ce droit ».

Le 19/XII

# Recru de crimes, palinodies, reculades, lâchetés, nouvelles effarantes, je les oublie pour le moment. Ne plus penser qu’aux probables heureux moments qui s’approchent. Noël et la crèche, cela suffit aux enfants que des bêtes stupides n’élèvent pas. Ils s’émerveilleront, je l’ai dit il y a peu. À trois ou quatre ans il n’est pas bon d’entrer dans la misère humaine et la désillusion. N’y pas croire soi-même n’est pas un argument pour en priver les petits. Les belles légendes ne font pas croyance, foi ni religion. Ils ont tout le temps d’apprendre cette leçon, ou de la refuser. C’est aussi cela, la liberté : ne pas peser outre mesure sur les consciences, ouvrir aux choix futurs. Les temps de la haine et des fanatismes ne sont jamais si éloignés qu’on ne finisse par les rencontrer.

Demain soir, nous avons cette chance inouïe, nous écouterons de belles musiques, boirons champagne et vins délectables, rirons, ouvrirons des paquets enrubannés, nous régalerons de quelques mets amoureusement préparés, embrasserons les enfants, les amis. Oui, c’est une chance, une tradition aussi. La réouverture de la vie.

Après-demain, j’enverrai ce message :

VŒUX

pour 2016, et après…

 

LE FIL-DE-FÉRISTE

 

C’est l’artiste des rues qui parfois

Mitraillé tombe sur le trottoir

À Paris et ailleurs notre foi

En la vie refleurit chaque soir

 

Le sang coule au théâtre aux terrasses

Et rôdent les amis de la mort

Dans leurs têtes pourrit la disgrâce

Sans pensée ni l’ombre d’un remords

 

Ils assassinent sous l’étendard

D’une religion sans foi ni loi

Drogués par une haine sans fard

Et la chimérique idée de soi

 

Comme au temps du Vieux de la Montagne

De l’Autre ils ne veulent rien savoir

Leur crâne vide s’emplit de hargne

Et ne peut au-delà concevoir

 

Le sang coule aux trottoirs aux ruisseaux

Tranché le fil du fil-de-fériste

Nous le renouerons – tristes bourreaux –

Nos fêtes ne seront jamais tristes

 

La charogne empeste les houris

De votre paradis Le prophète

Vous a bernés et Allah aussi

Dès ce jour nous fêtons notre fête

 

Nous dansons et rions avec filles

Et garçons Nous célébrons la vie

C’est notre être-au-monde – pauvres billes ! –

Et vous déjà : néant et oubli

 

En souvenir des assassinés des 11 janvier et 13 novembre de cette année

En hommage aux vivants

M. H. Le 21/XII/2015

 

« Homme de grand chemin… Je regarde ma vie

Où tant d’ombre s’embrume »

Toussaint Médine Shangô, D’Abraham, vol. III

 

Au bout du tunnel, un rai de lumière ? À Lens, ex-ville minière du Pas-de-Calais, les « responsables » musulmans locaux se sont proposés pour monter la garde autour de l’église durant la célébration de la messe de minuit. Les catholiques ont accepté puis applaudi leurs gardiens à la sortie de la cérémonie. Ce qui fut dit fut fait. On applaudit – moi le premier – à cette amorce timide d’un « vivre-ensemble » qui ne doit pas se changer en ce monstre appelé le « mourir-ensemble ». Le même élan se serait produit en la ville de Béziers, dont le maire (de la droite extrême) se serait moqué. Si la chose est vérifiée, ma question est : comment un responsable politique qui ne souhaite (dit-on) que la paix et la concorde dans son pays peut-il se contredire à ce point ? Par ailleurs, je n’oublie rien des finalités de l’islam, qui sont la conquête islamo-idéologique totale de la planète, ce que savent les plus savants, ce qu’ignorent peut-être les musulmans les plus disposés à la paix des consciences. Le bout du tunnel n’est donc pas atteint. Enfin, en Corse (dont le Conseil régional est aujourd’hui dirigé par les seuls Corses et bon nombre d’ex-nationalistes), il se passe des choses d’un tout autre ordre, problèmes que je pense aborder au mois de janvier.

Le 27/XII

# À RIGOLADE HOUSE

La maison assume ses frais de fonctionnement, rémunère ses hôtesses d’accueil, paye patente et impôts dont MM. Sapin et Macron lui tiennent l’implacable comptabilité. Elle rouvre donc ses portes, il fallait s’y attendre. Nous espérons le retour d’une clientèle nombreuse qu’elle s’efforcera de faire rire autant que faire se pourra.

Brève conversation avec le Djihadiste :

– Moi : Comment t’appelles-tu ?

– Lui : Le Vengeur Mosqué.

– Moi : Que veux-tu ?

– Lui : Par Allah le Miséricordieux, te tuer.

– Moi : Par Dieu, que t’ai-je fait ? De quoi tiens-tu à te venger ?

– Lui (hurlant de rage) : De ce que tu n’es pas pareil à moi, et du fait que tu ne crois pas en la miséricorde d’Allah ! (Il me porte un violent coup de couteau).

– Moi : Ah, je meurs… Allah, fais-moi miséricorde ! Porte-moi secours !

– Le Vengeur Mosqué : Crève, chien d’incrédule laïcard ! Porc hypocrite ! Mécréant !

– Moi (avant le dernier soupir) : Approche, que je te baise la joue gauche, ô croyant admirable.

– Madame D., notre première cliente, sa coupe de Dom Pérignon à la main : Brève conversation, en effet !

– Moi : C’était fatal !

– Elle : Je ne sais pas si je la trouve vraiment amusante, votre histoire…

– Moi : Moi non plus. Buvons, chère amie je vous en prie.

LES DÉFINITIONS-ÉCLAIR :

CADAVRE. Image de l’égalité. Penser qu’on en sera un diminue la fébrilité.

CALME. Principale vertu des idiots et des indifférents.

CHANT. Plaisir ou tourment extrême. Il ne tolère que la perfection.

CHAT. Admirable animal. On le tuera peut-être. Jamais on ne le réduira en esclavage.

CHRÉTIENS. Les premiers furent jugés comestibles, les lions les croquèrent. Les suivants passèrent pour indigestes. Naquit alors l’idée de la laïcité.

COÏT. Instant d’égarement engendrant un acte irréfléchi en vue de plaisirs surfaits et/ou décevants.

CONSCIENCE. « – La conscience, mon cher, est un de ces bâtons que chacun prend pour battre son voisin, et dont il ne se sert jamais pour lui » (H. de Balzac).

CONSEILLEURS. Les derniers perfectionnements de l’informatique fiscale en ont aussi fait des payeurs.

CRITIQUE. Premier ennemi de l’artiste. Son incompétence garantit sa pérennité. Ne tolère pas d’être critiqué. Seule la tombe le délivrera de cette cruelle contradiction.

CROIX. Porter la sienne suffit au bonheur de chacun. Reste la question : pourquoi tant de nos contemporains veulent que nous portions aussi la leur ?

CROYANT. Comme l’enfant que l’on endort, il ne peut se passer de la fable ou du conte merveilleux qu’on lui conte à la nuit tombante. Qu’on lui expose que la fable est stupide, absurde le conte, le voilà qui se change en fou furieux.

[Pour complément d’information, voir : Petit vocabulaire de survie, par Michel Host, Ed. Hermann, 2012]

 

Fin du Carnet XXXV - décembre 2015

 

Michel Host

 

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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005