Carnets d’un fou, XXXIX - Avril 2016, par Michel Host
« Le Dieu nommé est un masque de nous-même. À travers l’admiration que nous lui portons, c’est nous-même que nous adorons. Fascinés par notre propre grandeur, notre bonté, notre sagesse, nous ne sommes jamais qu’un Narcisse pourrissant ».
Frédérick Tristan, L’anagramme du vide
#. Il pleut. Il pleut. Il pleut. La moelle de mes os moisit. Mon cerveau peut-être aussi. Je ne vaux pas grand-chose – Croyez bien que je ne joue pas les faux modestes ! ̶ , bientôt je ne vaudrai plus rien. C’est bien la preuve qu’Il a une dent contre moi. Qu’Il n’existe pas. S’il existait, pourquoi serait-il méchant à ce point ?
#. Pourquoi aussi cet intérêt constant pour Dieu ? Réponse : Il faut bien en vouloir à quelqu’un. Autant que ce ne soit pas à un humain qui, c’est probable, souffre tout comme moi ?
Le 2/IV/16
#. L’idée et la pensée. Sur ces notions souvent indifférenciées, voire confondues, je m’arrête un instant. La pensée naît en moi, à l’occasion d’un événement, d’une lecture, d’un spectacle… elle m’abandonne promptement ou m’accompagne, me suit. Éventuellement elle s’amplifie, s’approfondit et il se peut que j’éprouve le besoin d’en écrire brièvement ou plus longuement. Je la relie à d’autres pensées, à des lectures antérieures. Bref, elle s’installe et prolifère.
L’idée me vient, sans doute à l’occasion de quelque événement dont j’ai ou n’ai pas claire conscience. Elle s’efface très vite ou, au contraire, persiste, devenant obsessive. Elle se traduit alors (le plus souvent) par une action, la mise en œuvre de quelque travail ou d’une réalisation pratique. Être très pratique par ailleurs, ennemi de l’emploi d’une quelconque domesticité, je suis contraint de faire beaucoup à l’aide de mes mains. Les petits chariots de transport, les diables, les cordons élastiques appelés tendeurs, ou sandows, sont mes auxiliaires les plus fidèles dans ces bricolages quotidiens. Avoir les doigts occupés, je l’ai observé, apaise l’esprit, favorise la pensée.
#. Pensée de ce matin : On n’écrit que conduit par le plaisir, ou par la rage. Parfois la rage du plaisir. Parfois le plaisir de la rage. Ces Carnets en témoignent.
Le 4/IV/16
#. Petites nouvelles de ce temps (reliquat).
§. Rixes, à la barre de bois ou de fer, on se bat à la porte des collèges. Les combattants, soucieux d’appartenances à des territoires, collégiens ou non, regroupés en bandes, se blessent grièvement, parfois se poignardent… C’est sans doute ce que nos Robots nomment convivialité, vivre-ensemble et autres fadaises nées dans leurs têtes chimériques (Le M du 5/III).
§. M. Erdogan, grand sultan de Turquie, « renforce sa purge des médias d’opposition ». Emprisonnements et procès de journalistes, prise de contrôle par l’État des organes de presse (le quotidien Zaman)… Ce grand musulman démocrate ne cesse d’émerveiller le monde. Nous lui vendrons des automobiles (Le M des 6 et 7/III).
§. Mélanges
Un(e) ministre des « victimes ». « Pour quoi faire ? demande Le M du 4/III. Mme Méadel, ladite ministre, paraît s’ennuyer, ou bouder, sur son siège à l’Assemblée. Derrière elle, M. Sapin consulte sonportable. C’est qu’ils ont tout à faire, ou plutôt rien, car le nombre des victimes et des désargentés est infini.
Du même quotidien : Au sujet de l’écrivain Kamel Daoud « M. Valls dénonce le “réquisitoire” par ces intellectuels qui, “au lieu d’éclairer, de nuancer, de critiquer”, condamnent “de manière péremptoire”. Je m’attendais à tout sauf à devoir m’avouer en plein accord avec le premier ministre !
Tout un article (Le M du 4/III) consacré à ces gamines de 14 ans qui, contre la répugnance de leurs parents, se radicalisent devant les écrans et Facebook, désirent commettre des attentats en France (le pays qui les abrite, tente de les éduquer et leur permet de manger à leur faim depuis leur naissance), brûlent de porter le djilheb, se voient en mudjahidas, « ne veulent pas aller en enfer comme les mécréants » (sans doute tout ce qu’elles ont retenu de « la religion » !). Elles sont le plus souvent « sous la coupe d’un djihadiste » dont elles ignorent qu’il promet le mariage à plusieurs d’entre elles simultanément et les invite à émigrer en Syrie… Un tel bonheur ne peut se manquer ! Certaines de ces jeunes filles « se radicalisent » jusqu’à la moelle des os, chez d’autres persiste un brin de méfiance : « Ah moi je les compte plus toutes les demandes en mariage que j’ai eues (…) Si tu es promise et tout, ouais je vais me retrouver polygame avec 50 maris moi là-bas… (rires) ».
Dans le même numéro du M, bref bilan hollandais : « perte de compétitivité du pays (antérieure à son quinquennat), absence de croissance, chômage de masse (imposé par le système financier), terrorisme ». Pour ma part, je complèterais le magnifique tableau par : la désintégration industrielle, l’effritement de l’école avant son effondrement… Ajoutons-y : la ruine des agriculteurs dont le revenu est dévoré par les grandes centrales d’achat, l’impossibilité d’exporter en Russie par décret punitifhollandais, le suicide hebdomadaire de trois ou quatre d’entre eux. Sous la direction de Filochard, nos Pieds Nickelés auront bien travaillé. Cela s’apparente à une catastrophe nationale.
« En catimini » (locution d’origine grecque on ne peut mieux choisie pour ces misogynes forcenés !), la dernière hollandise aura consisté à remettre la légion d’honneur au prince Mohamed Ben Nayef – c’était le 4 mars –, ministre de l’intérieur de l’Arabie Saoudite, en raison « de ses efforts dans la région et dans le monde dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme ». Quel blagueur ce M. Hollande ! Ledit prince alimente précisément les djihadistes terroristes extrémistes qui massacrent en plein Paris. Au FN, on ne s’est pas privé de parler de « légion du déshonneur ». Le quotidien Le M a au moins l’honnêteté de ne pas nous le cacher (Le M du 8/III).
Mme Hanane Karimi, il y a deux ans : « Dans la majorité des mosquées de France, les femmes ne sont pas les bienvenues. On les présente comme des facteurs de tentation, de fitna (division) ». Réponse du CFCM : …est lancée « une opération visant à “ouvrir” cette institution aux femmes… mais aussi aux jeunes et aux convertis ». Cela « pour améliorer l’image de l’islam dans les médias » ! J’aurais pensé : pour améliorer l’islam, tout simplement ! Les médias traitent pourtant cette religion avec révérence et respect. La raison : ne choquons surtout pas, ne stigmatisons pas nos futurs électeurs. Complément : « le but est qu’à terme, les jeunes et les femmes soient associés, de façon d’abord informelle, aux instances du CFCM » Bien ! Bravo ! Espérons que cette lenteur calculée n’ouvre pas le temps d’un calcul procrastinateur (Le M du 8/III).
Mon sentiment, ma conviction : le marqueur essentiel de la civilisation est le traitement fait aux femmes. Le djihadiste leur tranche la tête et/ou les viole, puis les vend comme esclaves. Le musulman pieux les couvre de draps noirs, de torchons de couleurs et les tient dans la clôture de la maison ou de l’appartement. Le musulman paisible leur autorise la rue (notamment si elles ont passé un certain âge) et veille à ce qu’elles ne soient à l’origine d’aucun scandale. Pour un vrai progrès, il va falloir réviser la parole divine, soit le Coran, et y retrancher bien des versets. Dur ! Dur !
Le poète Adonis, dans un article récemment paru dans la revue Transfuge, est décisif : « La honte absolue de l’islam est la manière dont cette religion, encore aujourd’hui, peut-être encore plus aujourd’hui, traite les femmes, qui ne sont qu’un sexe ». Il présente sa solution : « Séparer l’État de la religion. Créer non plus des musulmans, mais des citoyens ». « Tant que la religion va de pair avec le pouvoir », écrit-il, « tant que la religion musulmane est institutionnalisée, c’est-à-dire dans la sphère publique, aucun progrès ne sera possible ».
On me pardonnera (je l’espère) de ne parler presque jamais des chrétiens. Je les connais, on voulut m’affilier à cette religion sous sa calotte catholique. Elle fut en son temps d’une effrayante misogynie, et le reste en partie. Je suis aujourd’hui un pur mécréant, un sans Dieu, mais non encore un « sans dents ». Le socialisme laïque tel qu’il se pratique aujourd’hui en hollandie voue les chrétiens aux gémonies, les traite par un silence méprisant, s’arracherait la langue plutôt que de prononcer leur nom : à ses yeux, ils sont le repoussoir de l’islam, religion privilégiée, protégée, caressée dans le sens du poil, ménagée dans ses vices les plus antirépublicains ! Notons que je ne souhaite nullement qu’on martyrise les musulmans. Il est vrai qu’avec les aristocrates, au XVIIe siècle, les catholiques romains possédaient de 30% à 50% de la terre française et du patrimoine bâti, tandis que le peuple crevait de faim. Je sais tout cela. Est-ce une raison pour abandonner aussi les chrétiens du Moyen-Orient aux bourreaux islamistes fanatisés, à l’assassinat, à la spoliation et à l’obligation de s’exiler pour n’avoir pas à se renier ou mourir. Je n’ai pas ce dogmatisme de l’inexpiable, cette insensibilité de la bonne conscience politique. J’eus même la faiblesse de plaindre l’imbécile Louis XVI et la traîtresse Marie-Antoinette.
Le tribunal d’Oran condamne à 6 mois de prison et à une amende de 50.000 dinars l’iman salafiste Abdelfatah Hamadache qui, pour apostasie, avait lancé une fatwa à l’encontre de Kamel Daoud. L’écrivain avait porté plainte pour « menaces de mort ». Nous progressons, à petits pas (Le M du 10/III).
La cour d’appel de Versailles vient (Le M du 12/III), au nom de « la liberté de création », de débouter cinq associations féministes dans le procès qu’elles intentaient au « rappeur » Orelsan, 33 ans, « relaxé » pour huit chansons de son album Perdu d’avance (2009). Extraits : « Les meufs c’est des putes », « ferme ta gueule ou tu vas te faire marie-trintigner »…* Ah, le brave jeune homme ! L’esthète délicat ! Le délicieux garçon ! Sans aucun doute « le gendre idéal », selon le cliché en usage.
De Nathalie Heinich : « Cela aboutit à sacraliser l’art et à offrir à l’artiste une impunité juridique que d’autres personnes n’ont pas ». Elle a raison mille fois. Mais de l’art dans cette fange intellectuelle ? C’est trop, voire erroné.
Quant à Elvire Duvelle-Charles, elle s’insurge : Le juge relaxe Orelsan, mais aurait condamné tout propos similaire contre des juifs ou des musulmans. « Le racisme est plus grave que le sexisme ». Moi : non, c’est la même chose sous une autre couleur ! – Voyez, cette fois-ci ce n’est pas moi qui m’insurge… qui ratiocine et rabâche ! On me dira : vous pourriez nous éviter ces rappels qui sentent les égouts de la république. Moi : quoi, vous ne souffrez pas les doux parfums de notre temps ? Vous avez l’odorat bien sensible. Quoi qu’il en soit, cet Orelsan est un inconnu : qu’il le reste !
* Rappelons que l’actrice Marie Trintignant, née en 1962, fille de Jean-Louis Trintignant, mourut d’un œdème cérébral sous les coups d’un chanteur en vogue, condamné à 8 ans de prison, qui depuis a purgé une partie de sa peine et que nous éviterons de nommer.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, danse sur le volcan des pesticides. Ses collègues écologistes (les derniers encore affiliés au gouvernement) font grise mine et réagissent mollement. Argumentation du ministre : « La solution qui consisterait à interdire tous les usages des produits contenant des néonicotinoïdes en France pourrait se traduire, en fait, par un recul dans la politique que mène le gouvernement pour protéger pollinisateurs, domestiques et sauvages » (Le M du 16/III). Filandreux, non ? Plutôt embarrassé. Contradictoire peut-être ? Bref, poursuivons l’empoisonnement des abeilles et offrons aux Français cette chance d’être magnifiquement soignés de leurs cancers dans ces hôpitaux que le monde entier nous envie et que nous fermons les uns après les autres ! C’est pure logique hollandaise. On se croirait au Pays des merveilles.
#. Écœurement, une forme d’indigestion grandiose, à me sentir concerné à ce point par les horreurs de ce temps. Je sais que, comme telle dame ayant récemment témoigné dans Le M, aux pages Sagesse & Harmonie, je devrais cesser d’écouter les radios commercialo-déstabilisantes, de lire la presse vendeuse d’inquiétude, inoculatrice d’angoisse, de regarder (même de rares fois) les émissions télévisées de l’information-salade niçoise, tronquée et désinformatrice que je décrypte de plus en plus aisément, au prix du sentiment de la montée en moi d’un pesant cynisme. Que je devrais ne plus saisir et surprendre mon époque que dans la seule optique littéraire du roman ou de la nouvelle, quelque chose que je ne sais pas trop bien faire et qui, quoi qu’il arrive, ne sera pas lue, ce qui me décourage avant d’entamer les efforts. Que je bénéficierais de grandes plages de tranquillité, d’un sommeil plus profond, si j’écrivais seulement des poèmes médités pour ne pas déparer la production poétique actuelle, des poèmes de célébration de la beauté du monde, de celle de la femme et de la vie, et du malheur de l’homme qui, naturellement bon, ne parvient qu’à être victime des méchants, ou à devenir méchant lui-même et auteur malgré lui de son indignité ! Non, me refusant à l’irénisme, au devoir du bonheur par l’argent ou l’anesthésie, je me gâche la vie – la mienne de vie ! – quoique pensant lui ajouter le mince et honorifique avantage d’une impuissante lucidité.
Bon, cessons ces plaintes. N’ai-je pas écrit que « se plaindre c’est commencer d’abdiquer » ?
Le 14/IV/16
#. D’ordinaire, je ne me prive pas du plaisir sans risques (ayons la franchise de le reconnaître) de moquer et couvrir de sarcasmes celui que je me suis représenté comme l’Insuffisance personnifiée, M. Hollande, Président boudiné de la République dite française, accompagné de son cortège de politiciens amateurs quoique professionnels de la chose publique (ils s’y préparent dans des écoles spécialisées, pour la plupart ils n’ont jamais travaillé dans la société ni appartenu au « peuple français », qu’ils ignorent et méprisent). Ils sont sangsues de la richesse (aujourd’hui misère !) publique, parasites sans foi même en leur propre idéologie, sans autre élan intérieur que celui de passer la dernière année du quinquennat aux postes les plus rémunérateurs. Désolé, c’est la vision qu’ils offrent aujourd’hui de la sphère politique gouvernante de ce pays : appétit incommensurable doublé d’une incommensurable incompétence. Ils sont même parvenus à diviser en bandes ennemies leurs propres partisans, tant dans les hautes sphères que dans les plus humbles.
#. Je ne suis pas attristé, mais résolument triste.
J’ai vu M. Hollande se faire insulter lors de sa visite au Salon de l’Agriculture. C’était en ce début d’année. Je l’ai vu hier, ne recueillir, lors de son entretien (je dirais volontiers sa comparution) devant quatre représentants des Français de base (une femme créatrice d’entreprise que les obstacles administratifs empêchent d’embaucher ; une autre dont le fils s’est converti à l’islam et a disparu en Syrie ; un conducteur d’autobus passé du socialisme au lepénisme, car vivant, lui et sa famille, aux frontières de l’enlisement économique ; un étudiant qui se demande comment joindre les deux bouts), qu’une audience d’un peu plus de 3 millions d’auditeurs (dont la mienne), quand deux ans auparavant, pour une émission semblable, il en retenait 8 millions. Le mépris, l’indifférence ont changé de camp, on ne veut plus l’entendre ni le voir. Triste. Triste. Les commentateurs d’après-coup l’ont couvert de critiques plus ou moins cruelles. À l’exception de M. Vincent Placé, secrétaire d’État au Rien et à l’Inutile*, le plus récent prébendier du régime, qui le couvrit des louanges les plus ridicules, tant il est heureux d’avoir accroché le dernier wagon du train fantôme ! Je n’ai d’ailleurs aperçu, dans le maigre public, aucun ministre, aucun membre de son parti. Il est abandonné, on ne croit plus en lui.
Sur le fond, l’évidence de ses intentions purement électoralistes se faisait jour, ici ou là. On ne peut les lui reprocher que dans la mesure où il était venu dans l’intention de « parler » aux gens du peuple, à ceux qui lui demandaient d’éclairer leur chemin vers l’avenir. N’ayant aucun projet à proposer, il n’a pu que leur confier qu’il continuerait comme il avait commencé, qu’il serait constant dans ce qui manifestement aggrave la situation des Français. Chacun lui disait que pour lui et ceux de son entourage, les choses n’allaient pas du tout. La réponse, toujours à peu près la même : vous vous trompez, j’ai beaucoup fait pour vous, et d’ailleurs cela va bien mieux. Je n’ai pas à réviser mon jugement, c’est vous qui devez réviser le vôtre. Ce que vous prenez pour des reculs, des renoncements quant à mes engagements électoraux, comprenez que ce sont des avancées « à petits pas »… Pas un dialogue, mais deux discours en totale opposition. Finalement, les mines étaient éloquentes : rejet de l’un, rejet des autres. Quant à l’annonce attendue par certains de quelque réforme décisive, de quelque projet concret destiné à ouvrir l’avenir, à enthousiasmer ce peuple en phase d’extinction morale et intellectuelle, à électriser la Grenouille jetée sur la table de dissection, peuple auquel est déniée une « identité », peuple anesthésié et désespéré, peuple vendu à la finance internationale et entouré des politiciens d’aujourd’hui et d’hier, tous prêts à bondir sur la ligne de départ des prochainesPrésidentielles, eh bien, ce Président n’avait rien à lui proposer dans son pauvre baluchon. Rien que sa propre soumission à la puissance de l’univers mondialiste, marchandisé, bruxellois, terroriste, islamisé – On ne légifèrera pas contre le voile à l’université, elles sont majeures, ces jeunes filles ! La mosquée de Brest où le « prêcheur de haine » annonce aux enfants qu’ils seront changés en singes et en porcs si… a été fermée ! Mensonge apprend-on aussitôt, et le prêcheur fou envisage de créer un école coranique à Brest ! – Que faire quand on ne peut rien faire ? Durer jusqu’aux élections suivantes, sinon quoi ? Allons, voilà que je m’énerve. Constat de misère ! Tristissime spectacle !
Le 15/IV/16
#. La place de la République à Paris, d’autres places de nos villes situées dans les campagnes (construire les villes à la campagne, vieux rêve des grands humoristes !), sont depuis une dizaine de nuits occupées par de gentils bavards se légitimant d’un mouvement appelé Nuit Debout. Un nom bien à la mesure de ce temps, médiocre, peu incitatif, vaguement dressé contre les vieilles habitudes, dont celle de dormir la nuit. On comprend qu’ils iront tous au lit un de ces matins et qu’il ne sortira rien de ces assemblées aléatoires ni du cerveau de ces bobos accompagnés de quelques grands-mères nostalgiques du mois de mai 68, un temps considéré comme une révolution quand il ne fut qu’une accélération dans l’évolution des mœurs. On me dira que j’ai une idée traditionnelle et étroite de la révolution. Certes, mais ces messieurs, dames, damoiseaux et demoiselles qui s’agitaient sur les barricades sont tous rentrés dans le rang : ils sont aujourd’hui directeurs de banques, banquiers, PDG d’entreprises, hauts fonctionnaires, et, pour beaucoup, héritiers et successeurs de papa dans les « affaires » les plus variées… Il ne sortira donc rien de ces réunions, de ces vagues envies de changement. Et certainement pas un nouveau parti politique tel que Podemos en Espagne.
L’occupation des espaces publics n’est acceptée ici qu’en raison de la faiblesse des élus, des responsables de la mairie de Paris et de la retenue des forces de police qui veillent sur les palabres nocturnes, mais doivent affronter une ou deux fois par 24 heures les accompagnateurs violents des bavards : des jeunes gens encapuchonnés (qualifiés d’anarchistes… mais qui sait ? qui les utilise ? qui les laisse agir et pourquoi ?), qui attaquent les lycées et leur personnel, cassent vitrines, voitures, mobilier urbain, projetant le tout sur les policiers, lesquels il y a peu encore étaient déclarés anges gardiens de la nation lorsque de véritables terroristes mitraillaient des gens sans défense dans les mêmes arrondissements parisiens. Cela sent la décomposition, la fin de règne pour une cour et un roitelet faibles, prétentieux, aveugles et sourds.
Le 16/IV/16
#. Entendu ce 18/IV/16, à propos du traitement réservé aux canards survivants du Sud-Ouest, à l’occasion de la décimation de ces palmipèdes par quatre virus ligués contre eux : « Par mesure prophylactique, les canards sont sommés de rester enfermés durant un mois ». Qui s’est adressé aux canards ? Un huissier ? Un commandant de gendarmerie ? Un préfet en toge ? Un simple garde champêtre ? Oh ! qu’on nous parle la langue des canards !
#. Le bien parler ! Ce même 18/IV, dans la soirée, sans avoir le temps de relever le nom de la chaîne télé, ni celui du député socialiste à la manœuvre de sauvetage du parti en déroute : « Nous allons mettre en œuvre une réforme plus ample [pluzample]… Pardon, plu-ample… » Le pardon demandé, sur le ton de l’élève implorant l’indulgence du professeur, pour une faute imaginaire (la liaison a été faite et bien faite) est suivi d’une correction fautive (plus de liaison) ! Je n’en crois pas mes oreilles : la forme fautive, correspondant au parler commun, populaire, est ressentie aujourd’hui comme le bien parler. La plupart des politiques, de droite comme de gauche, à force de vouloir ne plus passer pour des bourgeois éduqués, sachant lire et écrire, ne distinguent plus la forme erronée de la forme correcte. Ils prennent l’une pour l’autre. À se demander si des cours de parler peuple ne sont pas donnés dans les sièges des partis politiques. On m’accusera de « déclinisme » si l’on veut, mais le bateau prend l’eau lorsque la langue est atteinte. C’est une torpille frappant sous la ligne de flottaison.
Ce même 18/IV, en soirée, Alain Finkielkraut, qui passait par la place de la République, apparemment sans autre projet que d’écouter les palabres, en est expulsé sans ménagements (on lui crache dessus, en prime) par des gens debout, certes, mais dans la tête de qui règne la nuit obscure de l’intolérance démocratique. Cela provoque quelques remous médiatiques. Cela rappelle le traitement réservé à Kamel Daoud par quelques robots fraîchement sortis des universités.
#. Un dictionnaire. Oui, je reprends avec gloutonnerie, dans l’ordre alphabétique, ces pages dénigrantes et souvent amusantes du Dictionnaire des injures littéraires édifié par Pierre Chalmin vers l’an 2010. « Injures » ? Une sorte de récréation. Un temps, j’ai pensé que le terme manquait de pertinence, qu’il eût mieux valu dire « Insultes littéraires »… Mais, réflexion faite et lecture accomplie, j’ai fini par entendre qu’il s’agissait bien, dans la plupart des cas, de véritables injustices dictées à l’injurieur par son goût de la raillerie, sa jalousie, son envie, une inimitié personnelle ou d’école, bref quelque sentiment caché et de nature abjecte. On y vérifiera à chaque page cette observation de Maurice Chapelan (1906-1992), relevée par Dominique Noguez dans La véritable origine des plus beaux aphorismes : « Un écrivain ne lit pas ses confrères : il les surveille » (1). Ce dictionnaire m’apprend deux choses : que les injures les plus courtes sont les meilleures parce que les plus tranchantes ; qu’il ne faut ajouter foi à aucune de ces critiques déguisées si l’on n’a pas lu l’auteur visé ou si l’on néglige d’y aller voir par soi-même. Ils sont peu à se distinguer dans cet art du tir à l’arc. On peut alors prendre plaisir à l’injure ou à la plaisanterie acerbe. J’ai retenu, parce qu’elles me font mourir de rire, ces six flèches tirées par des maîtres archers :
« La première pièce qu’on ait jouée à Paris pendant l’Occupation était une pièce de Salacrou. Les Allemands sont tout de même restés », Henri Jeanson, La Parisienne
« Je reproche à Shakespeare de ne pas savoir le français », Jules Renard, Journal, 5/XII/1009
« Quelle Égérie achalandée que cette vieille chaussette bleue, tout le monde l’a consultée ! », Léon Bloy (à propos de George Sand), Histoires désobligeantes
« Mallarmé, intraduisible, même en français » (Souvent cité !), Jules Renard, Journal, 1/III/1898
« À chaque fois que j’écoute du Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne », Woody Allen, Meurtre mystérieux à Manhattan
Un certain sourire (ou : à combien les vieillards reviennent à Sagan). « Ô temps, suspends ton viol ! », Paul Morand, Journal inutile, 14/XI/1969
#. Le péché originel ou la faute du même nom ne me concerne en rien. Je ne l’ai pas commis. Ce ne serait pas, d’ailleurs, une forme de délinquance par commission, mais par inoculation. Le moustiqueMalin, créé par Dieu notons-le (!), sous la forme d’un serpent, aurait piqué Ève, tout récemment mise au monde d’une côte d’Adam – magique et infâme boucherie ! –, et c’est ainsi que les hommes sont malheureux, chassés d’un paradis qui n’a jamais existé mais sur lequel ils n’ont plus cessé de fantasmer. C’est le mythe chrétien où pataugent les chrétiens depuis qu’il y a des chrétiens. En somme, une chrétinerie à dormir debout. De ces calembredaines ineptes naissent les religions, qui chacune à sa façon, nous empoisonnent la vie. Parmi cent inconvénients majeurs : la désignation de la femme comme imbécile, faible et inférieure, car première coupable de la faute ; implicite injonction faite ainsi à l’homme de se méfier des femmes, toutes vicieuses et maléfiques ; est enfin insufflée dans l’âme, la conscience, l’inconscient, le cervelet du chrétien (du catholique surtout) un sentiment de culpabilité qui ne le quitte même pas lorsqu’il sort du confessionnal. C’est ainsi que nous portons et expions – enfin, que les chrétiens expient, mais pas moi, je le répète ! – toutes les fautes du monde : l’extermination des hommes du Paléolithique par ceux du Néolithique (des Blancs, c’est prouvé ! de futurs Français, sans aucun doute…), la traite des femmes par les tribus bédouines depuis la nuit des temps, afin d’achalander harems et bordels du Moyen-Orient et de l’Asie… la capture des Noirs par les guerriers arabes (encore des blancs, mon Dieu !) qui les revendaient aux Blancs patentés, portugais, espagnols, français puis américains… La capture de Noirs, aux mêmes fins, lors de guerres entre roitelets et tribus noires : ici encore, il a été démontré que ces Noirs ne pouvaient être que des Blancs peints en noir, de faux noirs en somme… De là s’est étendue la réputation de la négresse blonde et la mode de la chevelure décolorée chez les footballeurs originaires du Congo et du Sénégal… Le champ de la faute originelle s’est alors étendu dans des proportions insoupçonnées : les Français et eux seuls sont responsables des universelles colonisations des temps d’Assurbanipal au maréchal Lyautey, y compris des colonisations britanniques, lesquels ne sont jamais responsables de quoi que ce soit. Comment se débrouillent-ils ? Il est vrai que le britannique qui a réussi à gagner quatre pennies porte la marque de la bénédiction divine. Il fallait l’inventer celle-là, et ils l’ont inventée !
#. Mme Erika Barreigts récemment nommée secrétaire d’État à l’égalité réelle n’a pas encore fait parler d’elle. Certains la croient muette de naissance. D’autres pensent qu’elle est une mécréante qui doute de toute réalité, notamment en matière d’égalité dont elle n’a trouvé aucune trace (sauf chez les chômeurs et les SDF) dans aucun lieu de l’Hexagone. Dans les milieux proches du pouvoir, on murmure qu’il serait question de lui adjoindre un détective privé, un géomètre, une cartomancienne, un radiesthésiste muni de son fil à plomb, et, au cas où, selon la formule populaire, elle aussi pèterait un plomb*, un médecin-psychiatre uniquement attaché à sa personne.
* Il va de soi que le premier à le péter, ce plomb, fut celui qui créa ce poste et y installa Mme Barreigts, en absolue contradiction avec les principes élémentaires de la raison et des droits de l’homme et de la femme.
Le 23/IV/16
De l’art de se défausser et trahir. Hier, je crois, ou ce matin, sur une antenne radio, Mme Ségolène Royal, ministre aux arrières-postes (qui fait quelque chose croit-on, actuellement, dans l’écologie paysagère), déclare que ceux qui prônent l’arrêt des centrales nucléaires et la promotion des énergies renouvelables sont de purs « idéologues », des rêveurs irresponsables ! Ces idéologues, néanmoins, ne souhaitent que ce qu’elle promettait elle-même lorsqu’elle prétendait être élue à la présidence, et ce que promit aussi son « ex », son Insuffisance, lors de sa propre campagne électorale. Ils ne sont même pas parvenus à fermer la plus ancienne de ces centrales. La fable Le renard et les raisins est plus que jamais à relire.
Le 25/IV/16
#. Ils / Elles ont dit // Ils / Elles ont fait (avec commentaires).
§. « Être éditeur, cela consiste à se couler dans la vie et la manière d’écrire de l’auteur, alors que tout écrivain se doit d’être égocentrique et ne doit penser qu’à son œuvre », Claude Durand, éditeur, décédé le 7/V/2015), (Le M. 9, 10 & 11/V/2015). Commentaire : cette confusion entre l’« auteur » et l’« écrivain » est regrettable. En outre, l’égocentrisme a produit une profusion d’œuvres égocentriques et médiocres ; « ne penser qu’à son œuvre » n’en a pas produit de meilleures et de bien différentes.
§. « Un jour je suis né. Depuis, j’improvise », Le comédien Kyan Khojandi (Le M. 9, 20 & 21/III/2016).Commentaire : Woody Allen serait certainement du même avis. Les improvisateurs de ce genre sont généralement très bien organisés.
§. « L’islam est une religion française. (…) Vous avez la capacité de faire que la culture française soit considérée comme une culture musulmane. Et il faut le dire avec force et le vivre avec détermination », Le « Sphinx » et, selon moi, l’« histrion prêcheur » Tariq Ramadan, dans ses diverses conférences (Le M. 11/IV/2016). Commentaire : On ne sait quel aveugle ignorant confondra un jour culture française et culture musulmane. Cette dernière n’est que la négation de dix-sept siècles d’Histoire, de mille châteaux (quoi qu’en pense M. Vincent Peillon), de l’institution de la femme égale de l’homme dans la société (en dépit des obstacles interposés par la pornocratie marchande), de la floraison des artsfiguratifs et d’une révolution accoucheuse de la laïcité nationale… Quant à souhaiter une « religion » supplémentaire chez ceux-là mêmes qui les ont toutes bannies de leurs esprits, c’est prendre ses rêveries, de simples et inconsistantes éventualités, pour des possibilités qu’un djihad combattant permettrait de réaliser. Les Français de tous bords politiques ne sont-ils pas, précisément aujourd’hui, en 2016, en train de se rendre compte que l’islam, chez lui comme partout ailleurs, n’est porteur que d’intolérance, haine, désordres, violences, régressions, destructions et ruines ? On l’aura compris, l’islam n’entre pas dans mes capacités de compréhension.
§. « Dans les sociétés totalitaires, le “consentement au meurtre” va de pair avec le renoncement à la vérité, le culte de son illusion (sous la forme d’un dogme imposé) et les ruses du mensonge organisé » (Imre kertész). Commentaire : les vérités ne demandent aucun renoncement.
§. « […] hormis peut-être dans son dernier ouvrage, L’Ultime Auberge (Actes Sud, 2015) où l’on trouve çà et là quelques remarques déconcertantes de sa part (mais peut-être dues au grand âge) sur l’Europe et sur l’islam – il y a toujours quelque chose de profondément lumineux et d’éminemment généreux chez Kertész », Florence Noiville in Le M. du 2/III/2016, à l’occasion du décès de l’écrivain.Commentaire : on notera l’épithète « déconcertantes » destinée à éviter le « nauséabondes » qu’on eût appliquée à tout autre écrivain moins unanimement célébré par ailleurs. On ne doute pas de la générosité de Kertész, de sa pensée juste et audacieuse, mais il se sera laissé aller à quelques évidentes et insupportables vérités, qu’avec la même maladresse la gazetière emmitouflée dans ses dogmes attribue au gâtisme de leur auteur. C’est cela, la liberté de penser et dire, à Paris, en 2016.
§. « Nous passons toute notre vie à chercher une porte de sortie. En tout cas, moi oui. Et avec une réelle assiduité. Je me méfie de l’overdose de réalité. Mon combat se joue contre elle » (Woody Allen, dans un entretien avec Samuel Blumenfeld, pour le Magazine M, le 30/IV/2016. Commentaire : le vouloir-coller-au-réel en matière d’art, de littérature, comme ici de cinéma, c’est entrer dans un gouffre-miroir, un étang glauque où nous mourrons d’une overdose de gaz putrides et de déjections montant du fond vaseux. Et l’on n’aura rien décrit ni sauvé en plongeant dans ces eaux noires, car cet effet positif ne peut se produire qu’à travers l’emploi de la fiction et de l’antiphrase.
À RIGOLADE HOUSE
Le printemps tardait. Dans les jardins du Luxembourg, ceux des Plantes et des Buttes-Chaumont et jusqu’au parc de Montsouris, crocus et primevères n’osaient montrer leurs premiers surgeons verts, la pointe d’un pétale rose chair, mauve tendre, et une pluie fine intermittente, mine de rien, venait gâcher les minutes comptées d’un mince espoir d’ensoleillement. S’asseoir sur les bancs, les chaises au plateau d’acier, c’était accepter de se mouiller cuisses et fesses, de se sentir l’âme désenchantée, le corps frigorifié. Les demoiselles et les dames désertaient les lieux, et derrière elles, penauds, fuyaient les derniers satyreaux de banlieue, avec quelques messieurs bien mis qui faisaient l’impossible pour avoir l’air de n’être venus que pour lancer quelques miettes de pain aux canards. Tant de mélancolie sans avoir connu la tiédeur du printemps et c’était la montée des doutes les plus sérieux quant à la possibilité d’un été. Bientôt les merles triomphaient sur les pelouses, les canards naviguaient en eau libre et quelques pigeons effrontés menaient grand train parmi les buissons humides. Des membres éminents de Rigolade House décidèrent de se réunir au soir de cette journée-là. Pas question de poursuivre le triste après-midi par une soirée privée de champagne et de rires. Le Grand Robot pensif, pour ouvrir la soirée, accepta de donner une conférence improvisée sur un sujet d’actualité.
Conférence au sujet des « Papiers Panaméens » et des notables efforts de certains notables pour rejoindre l’Amérique Centrale.
Le Grand Robot, sur la table une carafe de Givry – vin du Mâconnais trop peu connu –, ouvrit les débats en remerciant les membres du Club (Rigolade House en est devenu un, fort célèbre de Stockholm à Perpignan et jusqu’à Londres et Buenos Aires) pour avoir accueilli sa personne liée au monde politique, et surtout aux milieux du pouvoir et de la presse, milieux dits de Gôche, qu’ils exècrent d’ordinaire parce qu’eux-mêmes se disent de droite et à droite. Le conférencier, en premier lieu, aplanit les éventuelles difficultés inspirées par les doxas et les dogmatismes en déclarant que l’ingénieux système de l’alternance, qui fait tour à tour des uns et des autres des gouvernants (farouchement aux affaires !) et des opposants (dans l’opposition farouche !), permettait de fondre les responsabilités de tous dans une merveilleuse action continue appelée redressement des erreurs du précédent gouvernement, mise en œuvre de solutions nouvelles, audacieuses et décisives, le tout aboutissant au mieux à une politique identique à la précédente, et au pire, à la politique du pire sur laquelle la nation est invitée à fonder ses meilleures espérances. Ensuite, il ne cacha pas à l’assemblée que les responsables de l’un ou l’autre camp ne perdaient pas leur temps à délibérer de lois et décrets absurdes concoctés dans les ministères, mais s’occupaient avec une conscience admirable à arrondir leur fortune et patrimoine personnels, sans en rien dire à quiconque par discrétion et pour n’ennuyer personne. (Applaudissements nourris). Énoncé ce préambule, le Robot déclara n’avoir pour lui-même jamais eu la moindre ambition matérielle, ses parents lui ayant légué quelques modestes avoirs qu’il faisait fructifier grâce à un judicieux placement à la Caisse d’Épargne nationale, sorte d’Écureuil virtuel augmentant sa rente d’un bénéfice annuel de 0,5% qui lui suffisait amplement (Applaudissements et sourires). Il en vint enfin à son sujet, qui portait uniquement sur les révélations récentes au sujet des Papiers de Panama (Panama Paper’s en idiome phynancier) et des personnes du milieu politico-affairiste qui tentaient d’y faire prospérer les produits de leurs rapines, concussions, escroqueries, fraudes, arnaques, carambouilles, rapines, captations, grivèleries et malversations… Il en expliqua le fonctionnement : la seule difficulté étant joindre les tropiques panaméens où des « sociétés-écrans » (de ces sociétés qui font écran entre vous et votre percepteur, dites encore « sociétés offshore » !)sans éveiller l’attention de votre voisin de palier ni des agents du fisc, gabelous enragés qui ne se suffisent pas des prélèvements effectués sur le populaire, sur les « sans-dents », artisans, paysans, commerçants qui, eux, avec l’habitude d’être ponctionnés et étrillés par leurs soins, restent silencieux et inertes. Mais les choses s’étant beaucoup compliquées du fait de l’existence de « réseaux sociaux », de lanceurs d’alerte (dénonciateurs de crimes, sycophantes de notre temps), d’une presse aux aguets de ce qu’elle nomme abusivement « les abus », de juges financiers et de tribunaux dont la complicité n’est pas automatiquement acquise, il fallut inventer de nouveaux moyens d’entrer en contact avec ces banques accueillantes des villes de Panamá, Colón, Las Tablas, Almirante, Armuelles… moyens et procédés qui ne fussent pas ceux de l’internet, ni des grandes lignes célestes, très, trop surveillés désormais. C’est ainsi que le Robot nous décrivit les moyens les plus ingénieux récemment imaginés en France pour gagner ce paradis fiscal panaméen, avec des exemples concrets et sûrs, dont, par souci de présomption d’innocence, il évita cependant de nous nommer les inventeurs. En voici une liste, forcément incomplète. Le public de Rigolade-House se fit très attentif.
On sait de source sûre que certain ex-ministre au budget, accablé d’affaires non encore épluchées par les juges, se déclarant innocent, retraité et ruiné, tente néanmoins de joindre le Panamá par ses propres moyens depuis son jardin des bords de la Garonne. Homme courageux, armé d’une pelle et d’une pioche, il creuse un tunnel en direction de l’Océan Atlantique. Ce tunnel aujourd’hui repéré à 600 mètres sous terre, serait parvenu à la hauteur de la ville de Bazas. Les calculs des géographes et des océanologues semblent fixer la date de 2098 pour son arrivée chez les Panaméens, s’il n’a pas été emprisonné avant, s’il n’est pas mort d’épuisement.
Un autre politique, de moindre envergure, conseiller du prince dit-on, avait pris la curieuse habitude de convoquer chaque matin, au Palais où le logeait la République, un cireur de chaussures d’origine andalouse. Ses grolles italiennes et anglaises devaient briller comme miroirs en galerie des Glaces, afin qu’il pût passer sa journée à ne rien faire d’utile ni de précis, mais sur un grand pied d’élégance. L’affaire, minime en soi, lui a néanmoins donné la brillante idée de marcher sur les eaux de Bordeaux à Panamá. Il lui suffit de convoquer à nouveau son cireur andalou, lequel enduisit ses bottes de graisse de phoque et de cachalot, produits totalement imperméables. On l’a vu se mettre à l’eau en juillet dernier, se déplacer à grandes enjambées et disparaître à l’horizon. Depuis, il n’a pas reparu et les pronostics financiers sont alarmants.
Un nommé K., récent martyr de l’érotomanie (sans lien avec le héros de Kafka), spécialiste des questions économiques, qui brigua la présidence de la république, possesseur de comptes masqués dans l’Outre-Atlantique, vient de créer un type nouveau de galère propre à gagner discrètement le Panamá depuis les côtes françaises. Opération simple : il suffit de transformer un Huit barré en Seize barré en doublant les bancs de nage, d’y installer à genoux, à la polynésienne, seize rameuses de haut niveau, de placer le barreur, K. en personne, derrière le dos de la seizième. Par des mouvements appropriés du bassin, il imprimera l’élan et la cadence à tout l’équipage, encouragera vigoureusement celle avec qui il est en contact direct, laquelle, au fur et à mesure du voyage, sera remplacée par l’une ou l’autre de ses compagnes et ainsi de suite. Un certain M. Dodo (de Bruxelles) fournit à K. ces sportives belges et hollandaises, de jeunes athlètes surentraînées dans ses maisons spécialisées d’Outre-Quiévrain et de Lille. Les jeunes femmes rameront nues afin d’alléger le plus possible l’embarcation. Dans la nuit du 16 au 17 avril, aux Sables-d’Olonne, quelques privilégiés et confidents purent assister, enthousiastes, au départ du frêle esquif dont le premier bond sur les vagues fut accompagné d’un « ah ! » que deux journalistes crurent devoir qualifier d’« orgasmique ».
On connut d’autres départs, selon d’autres procédés plus ou moins inattendus. Fut très remarquée la tentative vaine du premier ministre britannique : son sous-marin de poche, parti du Cap Lizard, disparut corps et biens au large du Canal St-George. Parmi les hypothèses avancées, le fait qu’il ait pu être grenadé par un patrouilleur de la GBFN (Great Britain Fiscal Navy) dont le port d’attache est à Southampton ; on a aussi prétendu que, trop chargé de lingots autres matières métalliques, il aurait été dans l’impossibilité de remonter des grandes profondeurs ; enfin, un couple bien connu d’affairistes de la banlieue Ouest parisienne, les duettistes Balk & Balky, fondateurs de la Balk Extractive Association, spécialisée dans l’optimisation des pertes évitables, choisissant la méthode simple et naturelle du voyage d’agrément, auraient décidé de partir en vacances pour une durée indéterminée : aux dernières nouvelles, ils auraient été signalés au large de Lisbonne, puis aux Açores, dans leur luxueuse villa La Cassette, et enfin en vue de l’Orénoque. On pense les retrouver à Colón ou à Las Tablas (où ils possèdent des pied-à-terre bien connus) dans le courant du mois prochain.
DÉFINITIONS-ÉCLAIR :
GALANT HOMME. Les zoologues croient savoir qu’il s’agirait d’un reptile du crétacé supérieur.
La FEMME GALANTE a conservé une certaine forme d’existence et de visibilité dans les rues de nos capitales.
GAUCHE (Homme de -). Il exerce une intangible bonne conscience, jouit d’une foi inébranlable en tous les déterminismes, et donc en l’irresponsabilité de tout homme quant à ses pensées, actes, faits et méfaits.
GAZOUILLIS. Se dit couramment des coassements atroces du nouveau-né ou du tout petit enfant.
GÊNE. Le champ sémantique du terme se réduit de nos jours à : « Manque de moyens pour prétendre à une existence décente ».
GÉNIE. Caractérise ma pensée, mes actes, mes productions, en somme ma personne.
Rural. Très exceptionnellement.
Militaire. Facilite le mouvement des troupes vers le lieu du massacre, dit « théâtre des opérations ».
Littéraire. Il pullule, abonde, court les rues, encombre les rédactions, les couloirs des maisons d’édition. À Paris notamment.
Des affaires. Escroc admiré telle une divinité.
Génétique. Pas si génial que ça au vu de la descendance d’Adam et Ève.
GENTLEMAN. Anglicisme de sens obscur. Peut-être un ptérodactyle, sorte de lézard volant du précambrien.
GOUJAT. Amateur de raisin vert. Français moyen.
GOUROU. Ne se goure jamais dans la détection des esprits faibles qu’il entreprend de gruger.
GUERRE. Sport le plus prisé du genre humain.
GUILLOTINE. Ingénieux mécanisme destiné à abréger définitivement les affres de l’existence. Nos philosophes et moralistes, heureux de nous voir souffrir, l’ont déclaré obsolète. Selon Ambrose Bierce, cette machine a longtemps « fait hausser les épaules aux Français ». Qui est dans le vrai ?
(On trouvera ces définitions, augmentées de citations diverses, dans Michel Host, Petit vocabulaire de survie. Contre les agélastes & la timidité de la pensée et du dire, Ed. Hermann, Littérature, 2012)
Fin du Carnet XXXIX
Michel Host
(1) in Lire et écrire, Grasset, 1960
- Vu: 3840