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Carnets d’un fou - XXXI Août 2015

Ecrit par Michel Host le 06.10.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Carnets d’un fou - XXXI Août 2015

 

« Si ces hiers allaient manger vos beaux demains ? »

Verlaine, Sagesse

 

# La campagne s’écrase dans la touffeur, la torpeur. On voit mieux en passant comme les agriculteurs rognent les lisières des bois, y creusent de profondes coulées où semer leurs céréales. Bientôt (dans vingt ans) cette partie nord de la Bourgogne sera tout entière aussi boisée que la lune, rapport oblige. Elle sera telle qu’on la voit déjà aux alentours de Châtel-Gérard (Yonne). La sécheresse actuelle devrait pourtant alerter : sans arbres, plus de pluie !

Déjà le lundi trois. Ces deux premiers jours d’août se sont enlisés dans une fin de semaine où, on nous aura montré comme vision de cauchemar doublée d’une intense admiration, les deux voies des autoroutes encombrées de colonnes automobiles jouant à l’accordéon : cela s’appelle croisement des juillettistes remontants et des aoûtiens descendants. Merveilles d’un siècle qui porte sa croix avec le sourire.

3/VIII

# La fin du mois dernier a vu la disparition de M. Jean Lacouture, notable biographe de personnalités littéraires et politiques, ce qu’on écrit quand on n’a rien à tirer de soi-même. Décès très remarqué. Certains ont justement rappelé que M. Lacouture a une fois ou l’autre exprimé son regret d’avoir tant admiré les Khmers rouges qui exterminèrent le tiers de la population cambodgienne par le bagne et la torture. C’était, il est vrai, des hommes de gauche éduqués dans nos universités et nos grandes écoles. Il faut comprendre que cette marque d’hémiplégie politique n’engage pas les esprits courts à voir loin dans les ignominies dont on se rendra coupable.

Observation. Tout le monde est en guerre avec tout le monde. Tout le monde est content.

Mémoire personnelle. Il est bon de le rappeler à autrui comme à moi-même, mon irrépressible misanthropie, haine de l’homme au sens le plus strict, est née de chocs insurmontables, ou, si l’on préfère, de révélations précises. Ce sont, dans leur chronologie successive, la vision des fours crématoires d’Allemagne et de Pologne, avec la contemplation effarée de ce que l’homme est capable d’infliger à l’homme, du moins à celui qu’il ne tient pas pour son frère. J’avais onze ans. Ensuite, ce fut, quelques années après les faits, l’anéantissement des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki par la bombe atomique nord-américaine, dont sont commémorés les soixante-dix ans. Hommes volatilisés, vitrifiés, ombres sur les restes de murs, et ceux, cancérisés à mort, dont les organes et la peau se mirent à pourrir sur eux-mêmes. J’avais dix-neuf ou vingt ans. Plus tard encore et jusqu’à aujourd’hui, j’ai vu notre Grand Jardin d’Éden se rétrécir, se corrompre, courant à son anéantissement par l’effet de causes indubitables dont la première est la surnatalité humaine, aboutissant à la surpopulation, les autres étant la famine toujours à craindre, la haine de tout ce qui n’est pas soi, la stupidité et la cupidité. J’aurais honte de me répéter si je voyais les hommes progresser dans la prise de conscience de la catastrophe qu’ils préparent : ce n’est ni pour aujourd’hui ni pour demain en dépit des pompeuses réunions internationales d’optimistes invétérés, de politiciens éphémères et de bonnes volontés impuissantes. Une culpabilité générale, donc, masquée par un hypocrite théâtre d’ombres sur fond d’irresponsabilité. Une terre sans hommes, livrée à la faune sauvage et à la flore naturelle me paraît ce que l’on peut espérer de mieux.

7/VIII

 

Le M. magazine de la semaine nous propose en illustration de couverture – c’est à propos d’un article sur les adeptes du nudisme intégral –, la désolante photo d’un couple d’hommes nus, mine de petit fonctionnaire satisfait pour l’un, niaiserie de sous-chef de bureau pour l’autre, genoux cagneux et mollets poilus, dissimulant leurs attributs et compléments sous des feuilles de bananiers. Nous sommes dans les îles, c’est probable et c’est tout ce que l’on peut en dire. Le sexe masculin, pas plus que le féminin, ne peut être montré aux petites filles et aux petits garçons. Ultime forme de jésuitisme dans notre époque pornographique. Cela dit, qui souligne le ridicule photographique conjugué au néant de la réflexion, eh bien qu’on me laisse préférer les souples harmonies des nudités féminines.

Le 10/VIII

 

Le lion est mort ce soir. Nouvelles du Zimbabwe. Un yankee stupide, avec l’aide de traqueurs locaux, abat le lion emblématique du parc Hwange. Le bel animal, nommé Cecil, a été attiré hors du parc, puis blessé d’une flèche, poursuivi durant plusieurs heures et achevé d’une balle. Sa tête tranchée, le trophée, est l’unique objet de ce braconnage indigne d’un homme de ce temps s’il n’est pas le dernier des lâches et des imbéciles. Il ne sera jamais jugé, il me semble. Il arrive que soient jugés de grands criminels, mais très exceptionnellement s’ils sont de nationalité américaine. Nous en avons un ici, emblématique lui aussi, assassin de la beauté du monde. Au fond des choses toujours les mêmes causes : la surnatalité, la surpopulation, jamais nommées ou presque, le plus grand tabou de notre temps. Leurs effets bien connus : la réduction des territoires naturels, la pauvreté invincible engendrant corruptions de toutes sortes et trafics illégaux d’animaux.

Le 11/VIII

 

# Le sort des batailles est-il affaire de ponctuation ? À Fontenoy, en 1745, tout eût été changé si, au lieu de « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! », le maréchal de Saxe eût lancé : « Messieurs, les Anglais ! Tirez les premiers » – ? –

Le 12/VIII

 

Anton Tchekhov eut à affronter le four monumental que fut la première de La Mouette. Il est vrai que l’on voulut célébrer par la même occasion les mérites d’une actrice célèbre pour ses rôles dans la comédie. Idée mal venue en  la circonstance. Le public s’attendait à une comédie. Ce ne fut pas le cas. Tchekhov s’enterra à la campagne, au milieu des bois, où il clama son dégoût et son désespoir, déclarant : « Il ne faut pas écrire de pièces de théâtre ». Oui, c’est ainsi, cela se produit souvent. L’artiste tombe dans un trou noir, généralement les critiques l’enfoncent ou tentent de l’achever, il voudrait disparaître, n’avoir rien produit, ne plus rien produire.

# Soren Seelow (Le Monde du 11 août, p.6) souhaite m’apitoyer sur le sort de ces jeunes français retour de djihad, autrement dit de campagnes de tueries et de viols en compagnie de jeunes gens autochtones qui s’en sont fait une spécialité, un modus vivendi, un devoir. Il n’y parviendra pas. Il faudrait que je les accueille, les aide à se réinsérer, à se réadapter… Je n’ai aucune intention d’aider des faibles d’esprit qui, en raison même de cette débilité, ne se réadapteront jamais. « De souche », convertis donc, ils ont pu tomber dans l’absurdité d’une religion plus absurde qu’aucune autre (*) ; de culture musulmane, ils n’ont jamais eu de française que la carte d’identité. Dans tous les cas, c’est traîtrise relevant du conseil de guerre. Ils seraient les « victimes d’un syndrome de stress post-traumatique »… Les pauvres chéris ! Et, conclusion extraordinaire, ledit syndrome « en fera des dangers potentiels pour eux-mêmes et leur environnement ». « Eux-mêmes » ? Qu’Allah les prenne en son paradis ou qu’ils s’y rendent au plus vite, je n’y vois aucun inconvénient. « Leur environnement » ? Vous, moi, nous, en somme ! Vous et moi, qui n’avons jamais eu l’idée de tuer qui que ce soit. Nous, ravalés au rang d’« environnement », de décor du crime organisé. Non merci.

L’article s’ouvre d’ailleurs sur cette citation du regretté Oussama Ben Laden : « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie ». Là est la radicale différence, la discrimination ontologique. Cela rappelle le slogan lancé par le général fasciste espagnol Millán-Astray : « Vive la mort ! », qui tant écœura et scandalisa Miguel de Unamuno en son université de Salamanque, qui, dans sa réponse déclara : « Cri nécrophile et insensé » et « Paradoxe repoussant ». Les temps sont-ils changés comme naïfs et aveugles le croient ?

Le 14/VIII

 

Joli mois d’août. C’est le quinzième jour du mois. Comme chaque année ou presque, changement de temps radical. Il pleut d’abondance, et c’est une bénédiction. Merveille de voir comme l’herbe jaune et aussi desséchée que du foin reverdit aussitôt. Générosité de la nature.

§ Il restait à ce jour une cinquantaine de dames-pipi en la ville de Lutèce. Une société néerlandaise vient de prendre la direction de la société qui les employait jusqu’ici. Elles sont jetées à la rue sans plus de formalités, privées d’indemnités et de salaire. Elles protestent, s’indignent, appellent la mairie de la ville à la rescousse. Pour la plupart, ce ne sont plus des jeunes femmes aptes à se reconvertir dans le cinéma porno ou l’arpentage des trottoirs. Qui veillera désormais à la propreté des lieux où les messieurs soulageaient leurs vessies que de folâtres prostates mettaient à la torture ?

§ Soudain je pense (à la vérité j’y pense plus que je ne le dis) aux milliers de migrants venus d’Afrique et du Proche et Moyen-Orient traversant la Méditerranée pour se retrouver, s’ils y parviennent, s’ils ne se noient pas, sur les côtes de la Grèce, de l’Italie, de la Sardaigne, de la France et de l’Espagne. Ils sont les premières victimes d’un immense déplacement de populations dû à la famine, à la pauvreté, à la guerre, aux violences endémiques. L’humanité a déjà connu des dizaines de déplacements de cette sorte pour des causes semblables ou différentes. Ils n’ont jamais été accueillis dans la joie et notre époque ne diffère pas sur ce point des précédentes. Notre individualisme de moins en moins contenu par un naufrage économique sans précédent ne nous dispose pas favorablement à leur égard. Beaucoup aboutissent dans la région de Calais, pointe européenne la plus proche de l’Angleterre, pays où ils désirent se rendre. Des camps s’installent. Des âmes compatissantes apportent leur soutien. De moins compatissantes y ouvrent un marché prostitutionnel. On empêche la traversée de la Manche, certains meurent dans des tentatives risquées de passage. L’Angleterre ne les souhaite pas non plus chez elles. Elle est l’appât et leur espoir fou : certains de leurs parents y sont déjà installés et l’inexistence de la carte d’identité leur garantit une relative liberté d’action. C’est l’une des tragédies de ce temps. J’attends, j’observe, impuissant comme Bruxelles, comme Mme Merkel, comme tout le monde…

§ Auvergne. Découverte d’un site gaulois peu ordinaire : au fond d’un étang (site du-Lac-du-Puy), est mis au jour un immense champ de silos à grain datant d’avant notre ère – entre 150 et 50 avant J.-C., peut-être d’auparavant encore. Le grain était conservé dans des jarres de terre elles-mêmes enterrées dans l’argile, et qui recevaient chacune de cinq quintaux à la tonne et demie de céréales. « Une sorte d’emballage sous vide » déclare Matthieu Poux, qui dirige les fouilles. Ces fouilles ont commencé en 2001, elles ont révélé la présence d’une ville de plusieurs milliers d’habitants. Nous ne nous doutions de rien.

§ Nouvelle moins positive. On annonce que « des milliers de bacheliers » sont « sans universités » à peu de temps de la rentrée. Les capacités et les moyens de celles-ci atteignent leurs limites. Faut-il s’étonner de cette situation lorsque de 95 à 98% des candidats sont reçus au baccalauréat ? Le diplôme est bradé. On demande aux interrogateurs de rehausser le niveau de leurs notes. Je fus de ces interrogateurs, je sais de quoi je parle et cela ne date pas d’aujourd’hui. J’ai une fois refusé de modifier ma notation, on ne m’a plus demandé de participer à des jurys de baccalauréat. Certaines universités inventent des procédures plus ou moins évidentes de sélection. Je trouve étrange que personne parmi la jeunesse de ce pays ne souhaite devenir balayeur dans un square. C’est pourtant un métier tranquille dans l’exercice duquel on respire le bon air.

Le 15/VIII

 

# L’antenne France-Culture tisse actuellement, chaque matin, l’hagiographie de Simone de Beauvoir.  Ce ne sont que pétales de roses et paroles de miel. Les aspérités sont gommées. La bienheureuse Simone reconnaissait pourtant n’être entrée dans la conscience politique qu’à l’époque de la guerre et même après elle. On la cite sur ce point à juste titre. Les accommodements de la période de l’Occupation la concernant, ainsi que J.-P. Sartre, sont passés sous silence. On fignole le portrait de la sainte future. On s’attarde sur les délicieuses amours avec le beau Nelson. Ce sont les mille et une nuits sans la menace d’un quelconque couperet. Le sultan est un public tout acquis à la cause de la belle conteuse.

Le 20/VIII

 

Michel Houellebecq, première vieLe Monde (depuis ce 18 août) entreprend d’ériger la légende et la statue de Michel Houellebecq. On nous le dépeint en six tableaux : Les six vies de M.H.

Michel, je l’ai connu et fréquenté un temps assez bref, dans ses commencements. Il venait d’écrireExtension du domaine de la lutte, un roman du plus haut intérêt. Nous avons les mêmes initiales, cela a peut-être joué. J’aimais et j’aime les poèmes de Rester vivant. Lui comme moi avons eu des mèresimpossibles, mais nous ne nous l’étions pas dit. Nous avons pique-niqué ensemble, c’était dans son appartement de la rue de la Convention, et surtout bu assez. Notre entente sur les vins était tacite. Notre ultime alcoolisation partagée eut lieu à une Fête de l’Humanité, je ne sais plus laquelle. Nos centres d’intérêt, cependant, étaient divergents. C’est pourquoi, je pense, notre relation s’espaça. Elle se termina définitivement lorsque dans une brasserie de la rue de Tournon, alors que la gloire déjà le touchait et qu’au bar il conversait avec Milan Kundera, il me vit entrer et me tourna le dos. Je n’aime pas déranger, nous ne nous sommes pas revus.

Cela dit, le romancier garde mon estime et mon admiration. Il sait comme personne bourrer ses grandes fictions d’une réalité pleine et pensée à sa façon, qui n’est pas si éloignée de la mienne. Il regarde le monde dans lequel il vit, notre monde, avec une froide objectivité que beaucoup assimilent à du cynisme. Il a un plan de « travail » évident, la description complète et ironique du passage d’un siècle au suivant dans notre minime espace terrestre. Ça ne peut plaire que si une forme de distanciation teintée d’humour entre dans les ingrédients du romancier. C’est cela que Michel Houellebecq sait composer à merveille. J’ai lu ses trois premiers romans et ils m’ont plu. La question dustyle sans style est à mettre à part, on en a beaucoup parlé, Dominique Noguez entre autres. Le fait est que le romancier crève sa phrase, la met à plat, sur les jantes, et c’est volontaire. C’est aussi un style et sans aucun doute fort adapté au propos et à l’époque. N’en parlons plus.

Si l’écrivain mérite les éloges, l’homme public les mérite tout autant : il sait comme personne, là encore, se mettre en scène. Cela confine au génie, Le M. ne se prive pas de le faire observer. Cela ne va pas non plus sans un brin de rancune masquée, de jalousie peut-être, car tous ces gens des médias et de la scène comique française n’ont reçu chacun que fort peu de ce genre de talent. M. H. en est bourré, cela crée l’envie, cette jalousie cachée. Citons seulement quelques vacheries déguisées en compliments : « Houellebecq tisse sa toge ». « Le voilà phénomène de société » (Frédéric Beigbeder). « La rock star de la littérature ».

Ailleurs. Michel déclare à B.H.L. : « Ma femme m’ennuie, mon chien est malade, il n’y a plus personne avec qui parler ». Je suis touché de ce que Michel ait eu cette pensée pour son chien.

Le Grand Turc attaque. M. Erdogan, chef de la Grande Turquerie, dernier Mamamouchi, est bien déçu et fâché de ce que les dernières élections ne lui ont pas permis d’obtenir une majorité absolue de députés. Il en rend responsables les nombreux Kurdes vivant sur son territoire et entreprend de leur faire la guerre. Il les emprisonne à nouveau et son aviation bombarde ceux d’entre eux qui tentent, aux frontières, de faire reculer les troupes de Daesh. M. Erdogan venait pourtant de signer avec « ses » Kurdes une manière de pacte assurant la tranquillité de tous. Il rompt ce pacte. Il ne tient pas parole. C’est la takya aux dimensions du pays et de la région. M. Erdogan se lance dans une équipéehitlérienne. Une apparente démocratie semblait pourtant être en place et le pays était en paix.

Le 21/VIII

 

Farces et Attrapes d’Allah (et de Jéhovah,) en ce mois d’août.

§ Lorsqu’il se passe une journée sans que les fanatiques d’Afrique et du Moyen-Orient ne fassent disparaître quarante innocents qu’ils assassinent à la voiture piégée, ou plus simplement, plus lâchement, en envoyant sur les places de marchés une fillette au corps entièrement bardé d’explosifs, on s’interroge : « Que se passe-t-il ? Ont-ils perdu la main ? Le goût de la mort leur est-il passé ? ». C’est qu’on s’habitue, n’est-ce pas.

§ À Jérusalem, des fanatiques juifs ont mis le feu à la maison d’une famille palestinienne, brûlant vif un petit enfant de dix-huit mois et blessant très grièvement ses parents ! Brûler des humains ! Cela rappelle de fâcheux souvenirs à ceux qui ont de la mémoire. Un autre extrémiste juif, sans doute aussi admirable de tolérance, a poignardé plusieurs personnes participant à ce qu’en français d’aujourd’hui on nomme une gay pride, soit un rassemblement d’homosexuels fiers de l’être, ce qui certes est fort peu biblique mais ne fait de tort à personne. L’homme déçoit.

Le 4/VIII

 

§ À Bagdad (Sadr City), des criminels viennent de faire sauter un camion bourré d’explosifs sur une place de marché d’un quartier chiite très peuplé. Soixante-seize victimes dénombrées. Non seulement ils n’ont pas perdu la main, mais personne n’aura fait mieux que nos « frères » en islam pour perfectionner la Saint - Barthélémy. Mon islamolâtrie s’amplifie chaque jour davantage.

§ Nous apprenons qu’en Syrie, les humanistes de Daesh ont torturé, puis égorgé publiquement Khaled al-Saad, directeur des Antiquités de Palmyre après avoir détruit le temple de Baal-shamin sur lequel il veillait avec soin. Ils ont exposé, accrochée à une potence, la dépouille mortelle de cet homme de plus de quatre-vingts ans. La création du monde remonterait donc au VIIe siècle de notre ère. Tout ce qui précéda les élucubrations du Prophète est voué à la disparition ou n’a plus ni valeur ni raison d’exister. Nous devrions ouvrir l’œil, M. Peillon ayant déjà gommé chez nous tout ce qu’avant lui le 14 juillet 1789 n’avait pas sacralisé. Entre mahométans abrutis et jacobins attardés, il ne restera presque rien à sauver de l’oubli. Premiers jours d’août.

§ Les sectaires d’Allah auront introduit cette année, en France, une tradition neuve, radicale et des plus élégantes. Voici, après les affaires du mois dernier, la façon dont deux quotidiens rendent compte d’une rupture sentimentale dont le cadre fut un parc paysager de Perpignan.

« Le petit ami de la jeune fille de 17 ans, retrouvée morte égorgée dans un parc de Perpignan, mardi 25 août, a avoué mercredi l’avoir tuée à coups de couteaux (sic), ayant “perdu le contrôle” de lui-même après la fin de leur relation ». Le Monde du 28/VIII, reprenant une dépêche de l’AFP.

« Kader Djilel, le jeune amoureux éconduit d’Erika, devait être mis en examen, hier, pour l’assassinat deux jours plus tôt de sa petite amie. Une marche blanche a réuni 300 jeunes qui ont rendu hommage à la jeune fille ». L’Yonne républicaine du 28/VIII.

Bref commentaire : quelle est l’information la plus franche et complète ? On observe là qu’une « perte de contrôle », autrement dit un ego insupportablement frustré, met l’assassin sur la voie de l’irresponsabilité, assassin qui dut, semble-t-il, utiliser plusieurs couteaux pour se venger de l’affront. Ici, on observe que l’acte criminel est qualifié d’assassinat, ce qu’il est clairement, et qu’en outre il porte un nom qui éclaire la méthode de mise à mort. C’est celle dont, sur l’autre rive de la Méditerranée, usent les bergers pour tuer chèvres et moutons, et éventuellement leurs coreligionnaires.

L’Yonne républicaine a l’honnêteté de dire les choses qui sont ce qu’elles sont, plutôt que de les minimiser et masquer à demi. Le M, quotidien de la sotte intelligentsia d’ici, ne nomme personne, supposant que son lecteur éclairé devinera, puis se voilera la face pour mieux ne pas comprendre ce qu’il aura compris. Je trouve délicieusement bucolique et en harmonie avec le lieu de l’assassinat l’emploi des termes « petit ami et petite amie ». C’est Mme de Scudéry chez Jack l’Éventreur ! Les « marches blanches » qui suivent de tels événements devraient être appelées « marches rouges ». Mon propos n’est certes pas de conduire les passions à l’incandescence, ni à quelque revanche ou vengeance que ce soit ; il est de voir, comprendre et expliquer sans voiler le regard ni la vérité.

Le 28/VIII

 

Michel Houellebecq, deuxième vie (Le M. du 19/VIII). La jeunesse de Michel nous est relatée par le menu, ses rencontres journalistiques, ses entretiens… Il n’avait pas encore décidé d’écrire. Les citations surtout sont amusantes, instructives, et j’en apprécie volontiers certaines. Sont-elles toutes authentiques ? Elles en ont la mine, en tout cas :

« Si tu veux avoir des lecteurs, mets-toi à leur niveau ! Fais de toi un personnage aussi plat, flou, médiocre, moche et honteux qu’[eux]. C’est le secret, Marc-Édouard. Toi, tu veux trop soulever le lecteur de terre » (à Marc-Édouard Nabe). Stratégie de haut vol !

« Céline a dit : “L’amour c’est l’infini à la portée des caniches”. Je dis bravo, mais dans cette histoire je suis complètement du côté des caniches ». Entièrement d’accord !

« Quand je supprime les hommes, tout va mieux. Hélas, les femmes sont entrées dans un univers pénible et compétitif. Elles sont très contaminées par la culture mâle ».

« Le but de la fête est de nous faire oublier que nous sommes solitaires, misérables et promis à la mort. Autrement dit, de nous transformer en animaux. C’est pourquoi le primitif a un sens de la fête très développé ». « J’ai toujours considéré les féministes comme d’aimables connes ». Vrai qu’elles s’y prennent assez mal la plupart du temps !

« Je me suis fait réformer P2 – ou P3, je ne sais plus » [Citation du livre Ennemis publics]. Personnellement, je me suis fait réformer « RD2 », c’était au commencement des années 60, en pleine guerre d’Algérie. La cause était médicale et je n’eus pas à forcer mon talent.

Le 22/VIII

 

# Des titres qui disent ce qu’ils veulent dire (ou pas).

D’un site consacré à la santé : « Les femmes se passent chaque jour 515 produits chimiques sur le corps », produits nocifs pour la plupart. Comme dans l’Antiquité égyptienne et gréco-romaine, en somme. Je m’étonne et me réjouis qu’il y ait encore des femmes parmi nous.

De L’Yonne républicaine (au 21 août), dont c’est une notoire spécialité, ce titre-ci, d’une drôlerie mesurée, escorté de la photo d’un bœuf charolais bouchonné, couché dans la paille fraîche et orné de sa muserolle rouge et d’un ruban tricolore : « Le charolais en fête à Saulieu ». Certes oui, cela va être sa fête aux abattoirs. La corrida espagnole s’appelle parfois « la fiesta ». Le monde entier la condamne avec rage. Sur celle des paisibles bovidés en livrée blanche, le monde entier ferme les yeux. Il est vrai que le bœuf bourguignon est une chose exquise.

Le 23/VIII

 

Michel Houellebecq, troisième, quatrième, cinquième et sixième vies, avec Épilogue… (Le M. du 20 / VIII).

Au fait, pourquoi Michel a-t-il eu six vies déjà et moi une seule (et encore) qui n’est pas terminée ? Je l’avoue, je suis peiné à la pensée d’une telle injustice. Qu’on m’autorise donc à abréger cette métempsychose hallucinante.

Je fatigue aussi à suivre tant d’existences superposées. Donc, j’abrège.

M. H. 3e vie (Le M. du 20/VIII). Il s’agit du procès qui eut lieu à Paris, à la 17e Chambre, le 17 septembre 2002, procès intenté à Michel pour sa célèbre déclaration concernant les monothéismes : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran on est effondré ». Je n’y étais pas, mais je fus d’accord, lorsqu’il en parla au petit écran, et reste d’accord. Sauf sur le point lexical de « con », qui eût gagné à être « conne », et gagné plus encore à rester « stupide » ou « imbécile »… L’accuse-t-on de racisme, il se défend : « Les Arabes étaient les meilleurs commerçants du monde. Je ne vois pas en quoi critiquer de manière acerbe une religion remet en cause les êtres humains ». Dominique Noguez (avec qui il serait aujourd’hui brouillé) prend la chose par le versant grammatical : « La religion la plus con est un superlatif relatif, qui veut dire, en réalité, que si l’une est plus con que les autres, c’est que toutes le sont un peu ». J’eusse opiné dans ce sens. Michel se tira du mauvais pas par la logique ordinaire et celle de la langue. Il mesure sa chance aujourd’hui : « J’ai gagné à l’époque parce que l’islamophobie n’était pas encore un délit. J’ai pu opérer une renaissance… Je pense que je perdrais mon procès maintenant » (déclaration du 7 août 2015). Michel ferait-il amende honorable ? Ce serait décevant. Ironiserait-il ? Oui, c’est cela. Je l’approuve.

M. H. 4e vie (Le M. du 21/VIII). Michel possède un corps. Comme vous et moi, me direz-vous. Non. Il le nourrit puis le repose volontiers lors de séances d’allongement et de lecture sur son lit. Et il en joue de diverses manières, dans diverses fonctions de représentation tant littéraires (dans ses romans) que sur des scènes variées : scènes de rue, scènes télévisuelles, scènes d’interviews… La vêture le plus souvent, négligée, voire hors mode, il nous entretient volontiers de ses poumons carbonisés par le tabac, de ses hémorroïdes… Sa façon de tenir sa cigarette entre le majeur et l’annulaire tient à une blessure ancienne et son dentier « ne tient pas ». Ce corps est à Michel une sorte de couteau suisse, prêt aux usages publics les plus variés. Il s’en amuse comme personne.

M. H. 5e vie (Le M. du 22 VIII). Michel, à la manière de Huysmans, fit retraite en l’abbaye de Ligugé, c’était en décembre 2013. Il y médita son roman Soumission. Certes, les tueurs de la musulmanie attardée n’iraient pas le chercher là-bas. Encore que… Il y passa quelque temps, puis abandonna ses hôtes bénédictins sans leur annoncer son départ, déménageant au petit matin à la cloche de bois et bien sûr sans régler sa note de frais. La jugea-t-il trop modeste ? Avait-il mis à mal son compte en banque ? Mon avis : cela n’est pas bien, Michel… peu digne de ta belle réputation, et peu élégant… À moins que cet épisode n’entre dans la composition de ton personnage.

M. H. 6e vie (Le M. des 23 & 24/VIII). Coup dur pour Michel ! Son éditeur prépare avec entrain la « sortie » de Soumission. On y croit. Le triomphe est proche. Las, deux humanistes inconnus du monde de la culture, les frères Kouachi, exterminent à la kalachnikov toute la rédaction du magazine Charlie Hebdo. Nous sommes au 7 janvier de cette année. L’horreur envahit Paris, la France, le monde entier (sauf la Chine)… Michel doit fuir et se cacher. Il aura cependant à cœur d’assister aux obsèques de Bernard Maris, de ladite rédaction, son ami et l’un de ses soutiens littéraires au magazine. Puis Michel disparaît… l’Espagne ? l’Irlande ? On ne sait trop. La menace islamiste – j’hésite encore à écrire « islamique » de crainte de blasphémer – n’est pas à prendre à la légère. D’autant qu’il a aussi contre lui la plupart des membres du Syndicat gouvernemental, la clique des islamolâtres, le premier ministre déclarant : « La France ce n’est pas Michel Houellebecq, ce n’est pas l’intolérance ». Certes non, la France sera sous peu la nouvelle Intolérance, couchée sous la loi de la kalachnikov. À Paris, à deux jours de l’événement, on organisa la marche blanche nationale et internationale la plus hypocrite qui pût être imaginée. Le monde entier « fut Charlie ».

M. H. Épilogue. La journaliste Ariane Chemin a mis en œuvre cette hagiographie de Michel. Douze pages pleines du grand quotidien échappent ainsi à la chronique nécrologique et aux publicités en tous genres. Très louable performance. Un bruit court : Michel menacerait Ariane d’un procès. Elle n’aurait pas été autorisée à se lancer dans ce travail biographique. On rirait presque. Plus sérieusement, certaines de ses révélations sur les habitudes et les déplacements de Michel dans son quartier parisien le mettraient en danger et gêneraient les gardes du corps attachés à sa protection. Cela paraît crédible, en effet. Allah et son Prophète (notez que par respect pour celui-ci j’emploie la majuscule) ne sont pas des rigolos. Michel n’intentera aucun procès à sa sœur Ariane. Et nul ne souhaite que Michel meure stupidement d’une balle tirée sur lui au pied de son ascenseur. Sa carrière et son œuvre auraient à en souffrir.

Le 26/VIII

 

L’homme unidimensionnel, d’Herbert Marcuse. Traduction française de Monique Wittig, 1968. La curiosité, l’oubli, le sentiment d’être aujourd’hui parvenu à l’âge de l’homme unidimensionnel… me poussent à rouvrir le livre, publié en son temps aux Éditions de Minuit. La traduction n’est nullement en cause. Ces pages sont malgré tout « illisibles ». L’estomac se noue, le cerveau se bloque dès les premières pages. Ce monde, ses argumentaires, son vocabulaire et ses concepts sont obsolètes, voire incompréhensibles. On referme. On remet le livre en place. C’est un témoin du passé, à la manière des momies découvertes dans le sable. Comme une brique d’un mur ancien, à demi détruit, dont on ne sait plus le véritable usage.

Anecdote. C’était aux éditions Grasset, il y a quelques années de cela. L’emploi de l’imparfait serait ici disconvenant. Son décolleté admirablement peuplé, follement proportionné, aimante les regards. Elle possède une gorge exophtalmique ! C’est une jeune assistante stagiaire. Plusieurs fois, entré dans son étroit bureau, j’en reste rêveur. J’ai aussi longtemps rêvé de l’ajout de cette fiction : passe le coursier chargé des liaisons inter-éditoriales, qui me souffle, l’œil pétillant : « Elle est fort étonnante, n’est-ce pas ? ».

# Ce romancier nous assure qu’on ne peut vivre une vie sans avoir consacré un livre aux Africains. Il s’est exécuté, la chronique a applaudi. Aux Africains cela fit une belle jambe. Lui y gagna d’entrer à l’Académie.

Aphorisme. Se plaindre c’est commencer d’abdiquer.

Rions. Depuis trois ans, au milieu de la Beauce, erre le vulcanologue averti d’une éruption imminente. Il n’a pas aperçu la moindre fumerole ni l’ombre d’une taupinière. On m’aura mal renseigné – se dit-il. On dirait une blague hollandaise, pensé-je, bien conscient de mon blasphème, de mon peu de respect des convenances.

 

Fin des Carnets d’un fou XXXI

 

Michel Host

 


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005