Carnets d’un fou, XXIX, par Michel Host
« La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert (…) »
Stendhal, La Chartreuse de Parme
« Qu’une administration de droite motivée par une cupidité insatiable, maintenue en place par des mensonges criminels et menée par un crétin imbu de ses privilèges puisse répondre aux idées infantiles que se fait l’Amérique des valeurs morales – comment accepterons-nous une situation aussi grotesque ? Comment parvient-on à se protéger d’une aussi insondable stupidité ? »
Philip Roth, Exit le fantôme
# De l’usage des exerga. On peut sans risque démesuré y substituer un mot à un autre… Ainsi, de « l’Amérique » de Philip Roth… À quel autre contrée pourrions-nous penser ?
# Travail ? Notion bientôt obsolète. Il va falloir trouver autre chose : 27000 chômeurs supplémentaires en mai. Au total, cinq millions cinq cent mille chômeurs à temps complet. Je propose le farniente comme art pour tous, selon le vœu de Lautréamont, et la sieste perfectionnée, le tourisme au jardin… Le ministère du travail, lui, proposerait 700.000 « emplois aidés » supplémentaires, ou emplois fictifs. Solution du passé. La France sur des béquilles ? Bientôt la France alitée. Bientôt l’extrême-onction… Même les médias entièrement dévoués à la propagande socialiste quotidienne entrent dans une vague de doute, voire de critique. On y entend des voix inspirées suggérant qu’on fasse désormais le tri entre immigrants économiques sans papier et immigrants réfugiés politiques menacés dans leur pays. Il y a encore un mois, les auteurs de ces déclarations eussent été traînés en justice. C’est dire si le malade est au plus mal.
Le 2/VI/2015
# Brèves d’Hôpital.
§. Faits regrettables, et non moins inouïs.
C’était au 4 juin.
Inouï, oui, le chat a mordu son écrivain !
Pourquoi ? Comment ? Eh bien, la nuit, son écrivain remue sa jambe nue : il fait très chaud, le mouvement est involontairement brusque, et le chat, réveillé en sursaut, prend peur et mord l’écrivain. Circonstances atténuantes, le chat est sourd et son écrivain a pris l’habitude discutable de le laisser dormir sur sa jambe.
Conséquences : au bout de six heures se déclarent de vives douleurs, la cheville de l’écrivain enfle, sa jambe prend une mine éléphantesque, il faut courir aux Urgences de l’hôpital de la Salpêtrière… Là, le diagnostic tombe : risque de septicémie car l’écrivain n’a plus de défenses immunitaires, etc… Le traitement sera à base d’antibiotiques spécifiques, le microbe repéré s’appelant « La Pasteurelle », une bestiole très agressive et bien connue à la campagne, notamment des vétérinaires !
Durant ces 10 jours d’hospitalisation, entre médecins compétents autant qu’avenants et infirmières charmantes, l’écrivain a téléphoné à Baudelaire, lequel lui a recommandé de dormir moins nerveusement tout en accordant sa bénédiction et le pardon au chat Snijok. Nous avons acquiescé à cette sentence, car Baudelaire ne se trompe qu’une fois sur mille.
Tout un temps de lecture et d’écoute de la radio m’étant accordé, je ne me suis privé de rien.
Écrit le 17/VI/2015
§. M. Anish Kapoor, venu d’Angleterre, dépose dans les Jardins de Versailles ses œuvres ressassées, déjà exposées ailleurs, sous un autre nom que celui de Vagin de la Reine qu’il porte ici. Ce pourrait être aussi une corne d’indigence jetée parmi d’informes décombres. Rien ici n’enchante le lieu, ni ne répond à la rigueur de Le Nôtre, ni ne fait contrepoint à l’ordre classique par la rigueur d’un authentique chaos. Le détritus s’appauvrit encore face au classicisme et ne rompt aucune symétrie de manière significative. En outre, l’artiste se plaint de n’être pas rétribué. Il oublie que l’installation de son éboulis est entièrement à la charge des contribuables français – vous et moi ̶ , lesquels, comme il convient en démocratie, n’ont jamais été consultés sur l’opportunité du méfait. Dans les pages culturelles du magazine Le Monde (6/VI), ordinairement consacrées au luxe marchand et au vide, je lis ceci, qui admiratif en dépit de l’évidence, nous chante avec un lyrisme de latrines : « …derrière cette perfection glacée se trame un autre aspect plus matiériste et crade, dérivant vers l’abject entre enroulements excrémentiels de ciment et mollesse adipeuse de la cire. Comme si Kapoor hésitait entre le baroque et le minimal… etc. etc. ». L’habituelle logorrhée, sous la signature de Roxana Azimi. Admirable, en effet, cette excroissance de l’imposture de l’art dit contemporain, dans l’espace et dans les mots !
(J’insère ici la citation adéquate, du moins il me semble, afin que la chose ne paraisse pas de la dernière actualité : [Il] (*) ne se porte qu’au grand. Son bas-relief « relativiste », l’Homme à l’Oiseau, conçu, dit-il, pour illustrer un théorème d’Einstein, a provoqué des réactions diversement admiratives. Beaucoup de visiteurs faisaient « oh ! » tandis que d’autres faisaient « ah ! ». On en vit même qui ne faisaient rien mais qui, sondés par des interviewers habiles, ont bien montré qu’ils en pensaient autant, Alexandre Vialatte, Chroniques de La Montagne, I, 31 mars 1953).
(*) Il s’agissait de l’artiste Robert Planet.
§. M. Manuel Valls quitte le Congrès de son parti pour une escapade à Berlin, avec ses deux fils, leur présence à une partie de football étant requise absolument. On mesure l’intérêt dudit congrès pour le ministre et toute la passion qui y animait les débats. Cette sortie récréative a eu pour prétexte une rencontre de puissance à puissance avec le footballeur Michel Platini, membre éminent de la planète UEFA. On ne peut se moquer des citoyens avec plus de cynisme. M. Platini étant à Paris au début de la semaine suivante. Le voyage, bien entendu, est porté aux « frais de la princesse », selon l’antique expression populaire. Le fait a été très remarqué.
M. Valls : ce fut une erreur de communication, rien de plus. Soit :
« Non, rien de rien,
Non, je ne regrette rien… »
Pour moi, le plus honteux de cette minuscule affaire, c’est l’obligation faite aux critiques de se plaindre au nom de l’argent d’abord (il est vrai qu’en Angleterre, en Norvège… la démission eût été réclamée et obtenue) : l’ignominieuse pourriture de l’argent, la jalousie de l’argent sont à jamais inoculées dans l’âme et le cerveau de ce peuple. On vaincra plus aisément le virus Ebola ! N’est-ce pas ici que l’on pousserait volontiers le cri de Léon Bloy : « Est-il donc plus difficile de cracher sur l’argent que sur la Face de Dieu ? » (Exégèse des lieux communs). Certes oui, pour nos gouvernants, qui ont le crachat discret mais fréquent.
§. Avec ces pensées du Livre XII des Confessions : Je comprends comment les habitants des villes, qui ne voient que des murs, des rues, et des crimes, ont peu de foi ; mais je ne puis comprendre comment des campagnards, et surtout des solitaires, peuvent n’en point avoir. Comment leur âme ne s’élève-t-elle pas cent fois le jour avec extase à l’auteur des merveilles qui les frappent ?, l’ami Jean-Jacques rejoint d’assez près ces éloges de la vie aux champs, vie simple et vertueuse, opposée à la vie dans les capitales, marquée par le vice et le crime, telles que les virent les latins (Cicéron ? Sénèque ? L’otium ?) et à leur suite les classiques espagnols (davantage dans la vertu) avec leur « éloge des champs et décri de la Cour » : « Alabanza de aldea y menosprecio de corte » , l’idée divine mise à part peut-être.
§. L’impôt, selon Proudhon, serait un échange de services : mon service privé volontaire contre leurs services publics. Si j’en juge par ce que le fisc saisit sur mon compte en banque et la maigreur des services rendus, sans compter le désagrément, ou bien mes valets et serviteurs, mes ministres, sont de redoutables voleurs, ou ils n’ont jamais su compter, ou ils tiennent mes modestes émoluments et mes encore plus modestes revenus littéraires pour l’équivalent d’une grande fortune. Devrais-je me sentir flatté ? Des pensées de ce genre vous traversent lorsque vous êtes sur un lit d’hôpital.
§. Celle de la mort vous traverse aussi. Je ne dirai pas comme un trait d’arbalète, mais comme une pénible éventualité. Elle rôde et vole en cercles rapprochés, en dépit des doux sourires des infirmières.
§. Parmi les mots usés jusqu’à la corde, ce verbe entendu à la radio : « Le compositeur untel vient desortir un disque ». D’où ? De sa poche ? L’usure du vocabulaire est inévitable et elle aboutit à l’anesthésie de la pensée la plus simple, surtout de la plus simple.
§. Écouter la radio me porte d’un sujet à l’autre, d’un âne à un coq… Ainsi est évoqué le CRAN, soit leConseil Représentatif des Associations Noires. On s’interroge : comment un tel « Conseil » peut-il avoir quelque sorte d’existence que ce soit dans une république laïque et égalitaire ? Certains ont tenté de fonder un Conseil Représentatif des Associations Blanches ! On le leur a formellement déconseillé sous peine de poursuites pour racisme, xénophobie, et que sais-je encore… Que dois-je comprendre ?
§. Le djihadiste français, qu’il soit ou non « de souche », est-il mon compatriote ? Que l’on souffre que je ne le voie pas comme tel, et même que je souhaite qu’il reste sur le territoire d’où il est parti, au pays des égorgeurs. Égorger qui ne pense pas ce que je pense n’est ni dans mes mœurs ni dans mes coutumes.
§. Sorte de mignon pléonasme entendu sur Radio France Info, ce jeudi 11 juin, vers les 10h10 du matin : « Cela fait plus de 25 ans que la Société “X” conçoit des jeux pour s’en amuser ». Pourquoi, sinon ?
§. L’information délivrée au public par les médias ou organes de propagande officiels : « Le hachis Parmentier ». Qui plus est, immangeable. Une couche de vérités suspectes entre deux couches de mensonges en purée.
§. Mme Touraine, ministre de la Santé publique ou de quelque chose d’approchant, serait très « en colère ». La raison en est que l’on « détricote », on altère, on dénature, à l’Assemblée, la « loi Évin », qui protègerait les ivrognes des abus de la publicité en faveur de l’alcool. Elle ne démissionne pas de son poste pour autant, même si la décision nocive est prise sans vote des députés. Toute conviction est donc soluble dans l’eau minérale et les fumets du pouvoir.
§. Qu’est l’écrivain dans ce tourbillon de puanteurs variées ? Moi, donc, et d’autres aussi ? Un discret « relanceur d’alerte ». Une sentinelle isolée qui, impuissante, voit s’écouler les barbares, les assassins et le long torrent de la m… et de l’argent autour de son poste de guet. On vient d’ailleurs de lui couper la ligne téléphonique.
§. Au tribunal correctionnel de Lille. Au « délibéré », M. Strauss Kahn et ses treize acolytes, dont le proxénète M. Dodo la Saumure, respectable homme d’affaire en vue, sont relaxés. Seul l’attaché de relations publiques de l’hôtel Carlton de Lille reçoit une condamnation avec sursis. Il s’agit de l’hôtel où des femmes, dites prostituées, furent contraintes à des pratiques qu’elles ne souhaitaient pas, maltraitées et violentées. Elles furent aussi contraintes de retirer leurs dépositions et accusations, je l’avais noté dans mes Carnets XXV, de février 2015, et on peut deviner sous quel genre de pressions mafieuses elles durent baisser pavillon ! Le fabuliste mentira-t-il jamais : « Selon que vous serez puissant ou misérable… ». Je ne tiens nullement à ce que M. Strauss Kahn soit puni plus sévèrement qu’il ne s’est puni lui-même, mais en dépit de tout une boule rance me monte dans la gorge.
§. Un grand Traité transatlantique serait négocié ces temps-ci entre l’Europe et les États-Unis. Le silence est complet sur ces négociations. Le secret de rigueur. On ne sait qui conduit les négociations ni quels en sont les enjeux. Cela s’appelle exercice de la démocratie ! Les Français, s’ils avaient encore un cerveau en état de fonctionner et ce que le populaire voit déposé par la nature dans leurs culottes, devraient protester et défiler dans toutes les rues des villes et des bourgs de ce pays. C’est mon avis autorisé par l’état de permanent scandale dans lequel je me trouve.
§. M. le Président Hollande a eu, ce dimanche 14 juin, la sotte idée d’aller se montrer sur la piste où allait être donné le départ de la course automobile des 24 heures du Mans. Les gradins l’ont hué comme peut-être il ne l’a jamais encore été. Convaincu du péril, il a immédiatement quitté Le Mans pour Bordeaux et sa grande exposition vinicole afin de noyer son chagrin dans le château pétrus ou lechâteau cheval-blanc. C’était, je crois, la meilleure décision à prendre. Nous avons affaire à un grand politique.
§. Hôpital de la Salpêtrière. Soins et relations avec l’équipe médicale sont excellents. Ne pêche que la nourriture que l’on sert aux malades. Il faut avoir très faim pour se risquer à y toucher. Je ne le fais que du bout des dents. En raison de ces excellentes relations humaines, j’éviterai néanmoins de porter plainte pour tentatives répétées d’empoisonnement.
§. Je m’interroge, ce lundi 15 juin, à l’heure où je vais quitter ma chambre d’hôpital, sur les jours apparemment paisibles que mène M. Cahuzac, qui, ex-ministre de l’économie et de la morale financière, escamota quelques millions d’euros dans les banques suisses et asiatiques. J’apprends à l’instant que notre justice l’a à l’œil et va sous peu s’occuper de son sort.
§. Jean-Jacques Rousseau passait d’un culte à l’autre selon ses besoins ou sa fantaisie. M. le président Hollande est l’un de ses meilleurs disciples. Il fait de même. C’est un admirable poly-converti : de la laïcité à la révérence à l’islam, de l’économie dirigée à l’économie libérale de marché, de la haine de la finance à l’adoration de la finance de haut vol et du système spéculatif… On n’est guère davantage « sans foi ni loi ». J’ai pensé et écrit qu’il développait l’anarchie dans ce pays. J’ai eu tort, c’est à l’organisation du chaos qu’il œuvre avec obstination. Un grand politique, disais-je !
# Vincent Lambert. Terrible affaire ! Tragique affaire ! Affaire ? Tragédie plutôt ! Un jeune homme gît depuis plusieurs années sur un lit d’hôpital, apparemment inconscient, tétraplégique, pour les uns entièrement déconnecté de toute possible relation à l’autre ; pour les autres, encore « réactif » et relié aux humains qui l’environnent. Les premiers souhaitent que l’on mette un terme à une vie qui n’en est peut-être plus une – ce qui semble pouvoir ne s’effectuer que par une sorte de torture médicale, par privation de nourriture et d’hydratation ! –, les seconds, sa mère et son père entre autres, souhaitent qu’on le maintienne en vie.
Une « vidéo » du 5 juin, d’origine parentale, portée par l’internet et ses réseaux, a relancé la controverse. Elle a été jugée scandaleuse… voyeuriste… Personne ne paraît avoir pensé que l’amour d’une mère pour son fils est à l’origine de cette stratégie, laquelle paraît probablement à cette mère l’arme ultime pour faire transférer son fils dans une structure médicale prête à le prendre en charge, pour démontrer qu’il n’est pas réduit à l’état de « légume », selon la répugnante expression en usage, et cela en dépit de l’hostilité générale (y compris celle du public et de l’équipe médicale actuellement en charge de Vincent Lambert). La Cour européenne des droits de l’homme elle-même s’oppose au maintien en vie, en dépit de l’avis contraire de 5 de ses « juges ». Le doute ne me semble guère bénéficier ici au futur condamné. Comment un Salomon en eût jugé ?
L’amour d’une mère (qu’ici plusieurs contestent ou mettent en doute) me semble on ne peut plus oublié, voire méprisé, en la circonstance. Notons que la tendance européenne générale (en Hollande, en Belgique notamment) est favorable à l’euthanasie.
Parmi les articles parus dans Le Monde des 14 et 15 juin, l’un surtout m’a paru répugnant, celui d’une dame autrefois politicienne (Mme Monique Pelletier), dans lequel les partisans du maintien en vie du malheureux jeune homme sont mécaniquement assimilés à l’intégrisme catholique, aux auteurs d’un « mauvais coup », article qui ne témoigne d’aucune pitié, d’aucun regard sur une mère plongée dans le désespoir, article qui va jusqu’à évoquer la nécessité économique de limitation des frais médicaux…
Je sais que cette brève réflexion n’est qu’une approche et ne peut prétendre à davantage. Que mes connaissances ne me permettent pas d’aller au-delà. Que de trancher d’une manière ou d’une autre n’aurait aucun sens. Que de proposer un avis définitif serait d’une outrecuidante absurdité. D’autres sont assez qui s’en chargent.
Je sais enfin que ce monde de la rationalité et de la raison dans lequel nous baignons est d’une impitoyable cruauté.
Je sais que jusqu’ici j’ai cru au caractère inviolable, et même sacré, du serment d’Hippocrate, et au « Tu ne tueras point » de Moïse et de mon lointain catéchisme. Que le sort réservé à un seul humain nous dit le sort de l’humanité tout entière, le sens que pour elle propose toute une société.
Juin 2015
# L’aphorisme. La haine, il faut s’en dévêtir. C’est difficile tant l’habit colle à la peau.
# M. Manuel Valls et son coach, M. le président, vont procéder sous peu à un remaniement ministériel limité. Le premier déclare qu’il ne s’agit que d’un « ajustement technique ». Un remaniement de cet ordre n’a rien d’un ajustement, fût-il de faible envergure. Nos gouvernants sont bien les mécaniciens de la chaise à porteurs de l’État, les Pieds Nickelés de la machine à berner le peuple et à le mener, tel un troupeau de brebis, là où il ignore qu’on l’égorgera puis le fera passer à la casserole.
# Dans les médias assujettis de la Propaganda Socialista, on commence à annoncer l’embellie économique générale, puis l’amorce de la très probable « inversion de la courbe du chômage »… avec notamment l’intervention d’« emplois aidés », autrement dit de moyens artificiels entièrement à la charge des Français déjà dans la gêne (*). C’est un signe clair : il s’agit bien entendu, en vue des futures élections, de remettre sur ses rails la locomotive présidentielle poussive. Notons que les membres du Parti dit « républicain » (il y a peu encore nommés UMP) ne laissent entendre la préparation de l’ombre d’aucun programme d’action en vue du futur. Le bien commun est le dernier souci de cette piétaille politicienne. Cela donne la nausée. Le seul intérêt commun : les « places » que l’on obtient par le vote populaire, avec les intérêts matériels qu’elles entraînent automatiquement. Cette machine-là est parfaitement rôdée.
(*) Je n’ignore pas qu’il y a gêne et gêne… Celle des Français n’est pas encore comparable à celle des Grecs, et moins encore à celle de la plupart des Africains.
Le 17/VI/2015
# Jean-Jacques, au long de ses Confessions, n’a cessé de manifester sa profonde intranquillité, son remords à peine dissimulé pour avoir abandonné ses enfants aux soins de l’éducation publique. Ainsi, s’observant à distance : « Jamais un seul instant de sa vie Jean-Jacques n’a pu être un homme sans sentiment, sans entrailles, un père dénaturé ». Il est plaisant de l’entendre se réclamer de Platon et de sa cité idéale pour tenter de se blanchir à ses propres yeux : « …je crus faire un acte de citoyen et de père ; et je me regardai comme un membre de la république de Platon. Plus d’une fois, depuis lors, les regrets de mon cœur m’ont appris que je m’étais trompé… » C’est aux premières pages du Livre VIII des Confessions.
Le 19/VI/2015
Jean-Jacques a une notion plaisante de l’appartenance à une religion, à une Église… (Ne dit-il pas quelque part qu’il n’attend rien de bon des gens de parti, de faction ?) Le fait est que de la religion réformée, tout jeune il se convertit au catholicisme, à Milan il me semble… Puis, plus tard, de retour à Genève, afin de retrouver « [ses] droits de citoyen », il revient dans le giron de la religion réformée, selon une logique philosophique à son seul usage : « …la philosophie, en m’attachant à l’essentiel de la Religion, m’avait détaché de ce fatras de petites formules dont les hommes l’ont offusquée ». Cela est au Livre VIII de ses Confessions. À l’extrême rigueur, je m’accommoderais de cette conception nomade du fait religieux.
Au Livre XII, Jean-Jacques nous apprend la « perte irréparable » de Mme de Warens, celle qui fut sa bien-aimée « maman ». Il consacre à ce coup « sensible » un assez bref et sec paragraphe ornementé d’une manière de petit prêche, pour ne pas dire de prêchi-prêcha, digne du curé ou du pasteur le plus hypocrite et momifié que l’on puisse imaginer. Il se promet aussi de la retrouver dans « l’autre vie », afin d’y jouir « du bonheur parfait ». Regrets et chagrins, chez notre philosophe, sont de pure parade et ne doivent pas encombrer l’esprit plus qu’il n’est raisonnable.
Le 2I/VI/2015
# Nouvelles de Poitiers. Un luthier de Poitiers a été attaqué cette nuit. Plusieurs hommes cagoulés se sont introduits dans son domicile, sont allés directement à sa chambre où il conservait ses archets. On sait peu ce que vaut un archet, notamment en raison des bois exotiques qui entrent dans sa fabrication. Toute la réserve d’archets a été dérobée : une petite fortune ! Le luthier a tenté de défendre son bien, on l’a roué de coups. La France entière est scandalisée qui comprend mal, en raison des nouvelles mœurs de la justice, qu’ayant voulu s’opposer à ses agresseurs cet honnête artisan ne soit pas aujourd’hui incarcéré, ou à tout le moins placé en garde-à-vue. À son sujet, je n’ai rien lu ni entendu venant des organes d’information officiels. Nous dirons donc : affaire ordinaire, fait divers entre cent autres…
Le 22/VI/2015
# « Remaniement : Hollande récompense deux légitimistes ». C’est, en toutes lettres, le titre d’un article du Quotidien Le Monde, au 18 juin 2015. Pour cette distribution des prix, deux dames présentées comme des « fidèles » du président, baignant depuis toujours dans le « courant hollandais », sont nommées secrétaires d’État. Elles ont en tout cas quelques diplômes en rapport avec leurs nouvelles fonctions. L’une sera « au secrétariat d’État chargé du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire ». Tout cela a-t-il un sens ? Le fait est que ni les divers dieux aux cent bras du panthéon indien ni Héraklès ne viendraient à bout d’autant de tâches. L’autre sera « secrétaire d’État chargée de la réforme et de la simplification auprès du premier ministre ». Réformatrice et simplificatrice, donc… Gageons qu’on lui demandera de condenser en un manuel lisible les quelque trois mille pages du Code du travail.
Le 23/VI/2015
# Vie de l’écrivain. Il va se retirer aux champs pour l’été. Dans ses valises, le nécessaire en vue de traduire le poète portugais Fernando Echevarria ; un projet entamé concernant l’Être écrivain. Non pas un essai (il s’en sait incapable), mais plutôt une réflexion, une mise au point et un retour sur soi. L’écrivain s’interroge : en serai-je capable ? Cela vaudra-t-il la peine d’être lu ? Le doute, il en sait la valeur, l’aiguillon, toute l’inquiétude… Enfin, après Le Chemin vert, écrit en duo avec la poétesse Margo Ohayon (que tous les deux espèrent voir publier prochainement), une méditation pour un autre écrit en parallèle… Pour vivre !
Le 25/VI/2015
# LE CRIME.
Pour ces deux derniers mois, si l’on veut bien oublier le crime commis au Moyen-Orient par des cerveaux embrumés de religion avec la destruction systématique du patrimoine artistique et architectural de l’humanité, l’autre crime a été commis en France. Il s’agit de l’éradication de l’enseignement du latin, du grec, de l’amputation de celui de l’allemand dans notre pays, sous le faux prétexte d’inégalité devant la difficulté. Plus d’enseignement des langues anciennes, cela signifie à terme la cessation du recrutement des professeurs, et donc l’impossibilité pour les jeunes français des futures générations de se relier à leurs racines culturelles les plus profondes. Le seul espoir est que ce qu’une réforme aura détruit, une autre le rétablira.
On doit ce crime à un gouvernement qui se dira issu des Lumières ! Je le vois, pour ma part, issu des ténèbres d’une idéologie mortifère et comploteuse. Il s’agit bel et bien de favoriser l’émergence d’un homme dit nouveau, délié de ses attaches culturelles, forgé dans le seul pragmatisme matérialiste, d’un homme destiné à l’obéissance aux slogans, à la consommation, à l’entière soumission aux pouvoirs en place. L’idéal révolutionnaire dont on se prévaut est lui-même dissout dans ce projet. La prochaine devise républicaine sera : SERVITUDE, IGNORANCE, INDIVIDUALISME.
En ce qui me concerne, j’ai vivement souffert, en raison des ignorances et du désintérêt du milieu petit-bourgeois commerçant dont je suis issu, de n’avoir pas été élevé dans la connaissance du latin et du grec lors de mes études secondaires. Cela m’a manqué. Les études modernes et techniques auxquelles on m’avait voué ne correspondaient ni à ma nature profonde, ni à mes goûts ni à mes capacités. En compensation, une chance très exceptionnelle a voulu que j’aie d’excellents professeurs de lettres françaises. J’ai effectué un « rattrapage » tardif, sans plaisir en ce qui concerne le latin, rattrapage en mode accéléré et en vue de la préparation de l’agrégation. Du latin, je sais donc très peu. Pour le grec, c’est de mon propre chef que je m’y suis mis, dans le désir et le plaisir, d’abord avec l’aide éclairée du professeur Henri Tonnet, que je ne remercierais jamais assez, et ensuite par un effort personnel et adapté ; cela m’a permis de lire à peu près correctement le grec ancien et de moderniser la traduction de deux pièces d’Aristophane. De là, ma curiosité m’a conduit à Hérodote, Thucydide, Xénophon, Platon et Aristote. Je ne prétends pas à un haut niveau, mais à quelques utiles connaissances. Je sais, grâce à ces efforts, d’où je viens ou à peu près, et quelques chemins à emprunter pour vivre encore un peu.
Ce qui vient de se perpétrer, en ce pays-ci, quant à la réforme des collèges, est bel et bien un crime contre l’esprit, une trahison et une forfaiture.
Le 25/VI/2015
# On s’écoute, on s’espionne, dit-on, entre amis et alliés. Cela ne me paraît déloyal que pour les affaires et le grand partage des « marchés ». On fait semblant de découvrir la chose. On pousse des cris horrifiés. Nos amis américains ont de grandes oreilles d’éléphant. Il paraîtrait que M. Hollande s’est décidé à faire l’acquisition d’un cornet acoustique adaptable à ses oreilles de lapin.
# Chiffres du chômage pour le mois de mai : l’incertitude. Les uns annoncent une augmentation de 16.000 sans-emplois, les autres de 8.000 seulement. Il y aurait des embrouillaminis dans les calculs. Je pense plus volontiers que les petits et grands tripotages des statistiques viennent de commencer. Quoi qu’il en soit, la courbe montant toujours, sa descente n’en sera électoralement que plus spectaculaire.
Le 26/VI/2015
# « Arrêtez ! Arrêtez, Messieurs les amants du Prophète, vous finirez par me donner raison ! »
J’allais me modérer, tempérer mes ardeurs, sur le conseil de mes amis et de lecteurs, bien entendu ! Mettre un frein à mes critiques de certaine religion… Cesser de « stigmatiser » les doux croyants ! J’agace, me dit-on. Mais… c’est à n’y pas croire… Nous recevons aujourd’hui, sur le territoire français, des mains miséricordieuses de l’islamisme le cadeau de notre premier décapité à la manière de l’État Islamique. C’est en Isère, au sud de Lyon, dans la localité de Saint-Quentin-Fallavier. Une entreprise de production de gaz et de produits dangereux est attaquée à la voiture-bélier. Yassin Sahli, qui conduit le véhicule, est un musulman de 35 ans, marié, père de trois enfants, bénéficiaire de l’hospitalité nationale, musulman « normal » de l’aveu de son épouse. Il est promptement reconnu par les services de police, car il fut « fiché » au cours des années 2006-2008 et 2014. La voiture pénètre dans l’espace de l’entreprise, puis est lancée contre des bouteilles de gaz. L’explosion de bouteilles d’air liquide et de gaz alerte les pompiers casernés non loin de là. L’homme fixe la tête de sa victime sur le grillage de l’usine, c’est celle du gérant d’une autre entreprise qui l’employait. La tête tranchée porte des inscriptions en langue arabe, des drapeaux noirs l’environnent. On ne sait le moment exact de la décapitation. Cela se passait dans la matinée. Aux mêmes heures, une plage et un grand hôtel de Susse, en Tunisie, sont attaqués à l’arme de guerre. On compterait 38 morts et autant de blessés. L’économie tunisienne était bien malade, elle va maintenant s’éteindre. Certains font un lien entre ces crimes.
Nos politiques clament leur horreur, notamment M. Valls, retour de Bogota. Il est passé maître dans l’exercice. Quant à M. le Président, il nous met en garde contre toute stigmatisation, tout amalgame, et évoque la nécessité de « la prévention », de « l’action », de « la dissuasion » et d’autres pratiques qu’il n’a pas les moyens de mettre en œuvre. L’expulsion des salafistes fanatiques inspirateurs de tels actes… y pense-t-il seulement ? Pas plus que n’y pensaient ses prédécesseurs. La révision de la compatibilité des lois de la république avec celles de ladite religion n’est nullement évoquée, car il s’agit d’une question de dogme : tous les hommes ne sont-ils pas égaux dans leur bonté native et prêts à fraterniser ? Des seuls catholiques xénophobes, racistes et réactionnaires, on devait s’attendre à de pareilles violences. Ou d’un parfait sceptique et « mécréant » tel que moi. J’entends des dizaines de journalistes se répandre dans les médias : déjà, on nuance, on nuance, on nuance… on raffine, on raffine… Nous sommes, oui, des gens extrêmement raffinés.
Messieurs les amis du Prophète, cessez de nous seriner que « ceci n’est pas l’islam » ! De nous faire croire que vous n’avez pas lu le Coran !
Mes amis lecteurs : Pardonnez-moi de garder l’œil ouvert sur les événements de notre temps.
Le 26/VI/2015
# La peau de l’Écrivain ? Alain Nadaud est mort d’un infarctus le 12 de ce mois. Sa notice nécrologique ne paraît dans Le Monde qu’au 26 juin. Ils ont failli l’oublier en somme. Il est vrai que son projet était « trop éloigné des normes en vogue pour que l’écrivain soit reconnu à sa juste dimension ».L’Archéologie du zéro… Dieu est une fiction… etc. On n’a pas idée ! Au fond, il l’aura bien cherché. Si au moins il eût été un romancier américain né au fin fond du Nebraska et décédé à 94 ans ! Une romancière confite dans les filandreuses négociations du sexe et de l’amour !
Le 27/VI/2015
# Plaisantons pendant qu’il en est temps encore.
Sur son vélo, filant vers le motif, il hurle : « Je ne suis pas un peintre du dimanche, je suis un peintre du jeudi ». C’était un vendredi.
Fin des Carnets d’un Fou, XXIX, juin 2015
Michel Host
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