Carnets d’un fou - XLIII Août 2016, par Michel Host
« S’il n’y avait pas les pauvres, quel plaisir auraient les riches à être riches ?
S’il n’y avait pas les riches, quel plaisir auraient les pauvres à se plaindre d’être pauvres ? »
Nombre de philosophes anciens et modernes,
Le sens commun, et
Maxime du Touret de Loisne, dit Le Béthunois
#. Une idée pratique. Maxime Le Béthunois propose que l’on accorde à chaque petit Français, au jour de sa naissance, le diplôme du baccalauréat qui lui servira d’acte de baptême républicain. Il n’aura plus ce souci en tête et cela ne changera rien à l’état des choses actuelles : il pourra faire l’école buissonnière en toute tranquillité d’esprit, regarder la télévision, piéger des Pokémon et jouer à tuer des inconnus, des ennemis virtuels sur sa console, manger des sucreries et gagner son obésité, il ne saura ni lire, ni écrire, ni compter, il s’inscrira à Pôle Emploi. Le ministère de l’Éducation avant de disparaître, avec celui des finances, verront ainsi diminuer la dette de la nation : plus de professeurs à rémunérer, d’examens à organiser. Plus d’inégalité enfin, du moins en ce domaine de l’ignorance partagée. La nouvelle devise de la Nation sera ce qu’elle est déjà : « Liberté, Égalité, Nullité ».
#. Une bonne nouvelle, enfin, mais dont on doit regretter qu’il ait fallu qu’un vieux prêtre soit assassiné pour que l’on puisse l’annoncer. Le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) s’est résolu au « rassemblement » de croyants musulmans avec les croyants chrétiens, et notamment les catholiques. Cela, à l’occasion des obsèques du Père Hamel, récemment « égorgé » dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray. C’est un pas en avant très significatif. On a prié et débattu « ensemble » dans divers lieux de culte du pays et le fait laisse pour la première fois, de façon très visible et presque officielle, bien augurer d’un futur vivre-ensemble auquel, avouons-le, on se demandait à quel domaine de la fiction il appartenait… Souhaitons que ce soit un départ que rien ne remettra en cause. Pour ma part, je le souhaite de tout cœur, tout en craignant encore les enragements du fanatisme qui n’abdique que sous des forces plus puissantes que lui. Les guerres de religions, chrétiens et musulmans en ont fait l’expérience au cours de l’Histoire, n’apportent que ruines et misères dans l’existence des hommes et appauvrissement de leurs esprits.
#. Avec d’autres, l’imâm de Bordeaux, Tareq Oubrou, réclame que l’on ait le courage et assez de lucidité pour remettre le Coran dans le temps présent, pour qu’on le corrige et l’amende en biffant de son propos les versets relevant de ces conceptions moyenâgeuses du lien entre croyance, politique de la cité et vie sociale, tout ce qui enfin conduit à la Charia. Bien que la tâche soit à envisager comme très conflictuelle et donc difficile, je souhaite que cet imâm éclairé soit entendu.
C’est ce que M. Tahar Ben Jelloun, écrivain, appelle de des vœux dans Le M du 30 juillet : « Il faut sortir en masse dans les rues et s’unir autour du même message : dégageons l’islam des griffes de Daech ». « Il faudra nous adapter aux lois et droits de la République », et aussi « …qu’ils disent haut et fort que cet ennemi qui égorge un prêtre fait couler le sang de l’innocent sur le visage de l’islam ».
Ayant récupéré ma canne anglaise égarée dans un supermarché, je m’apprête à sortir dans les rues en compagnie de M. Ben Jelloun.
Le 5/VIII
Quand c’est fini n-i-ni-ni… Non, ça n’en finit pas. La Belgique nous donne encore le la de la danse de mort. C’était à Charleroi, il y a deux ou trois jours. Un homme s’approche du poste de police, crie Allah u akbar, ouvre son sac de sport, en tire une machette avec laquelle il attaque au visage les deux femmes policières qui montent la garde… Il les blesse, dont l’une très gravement. Une troisième policière fait feu sur l’assassin et le tue. Notons cette notable haine des femmes. Les autorités locales, à tout hasard, déclarent le criminel atteint de troubles psychiatriques. On apprendra qu’il s’agit d’un ressortissant algérien, et que les deux femmes blessées ont la vie sauve.
Des bêtes sauvages déguisées en humains ordinaires errent dans nos villes. La policière qui a fait usage de son arme en a tiré, si j’ose dire, la conséquence. Une bonne âme (sur une chaîne de télévision française, je crois) a gémi : « Elle aurait dû lui tirer dans les jambes ! » Sans doute va-t-on porter plainte pour exercice inapproprié du droit à la légitime défense.
Le 7/VIII
#. Une heureuse nouvelle. On peut se réjouir encore aujourd’hui. Nous apprenons que la maison d’édition de l’Atlantique, qui avait été contrainte de déposer son bilan il y a une bonne année de cela, « ressuscite » sous le nom d’Alcyone. Un impôt, le RSI, avait dévoré son modeste patrimoine éditorial.Alcyone reprend le départ avec un autre type de contrat avec l’État et son administration fiscale. Nous savons que nous sommes, quant à l’imposition, le deuxième État européen le plus exigeant. Nous n’ignorons pas non plus que notre système de protection médico-social n’est pas entièrement ruiné, et que de le maintenir a un prix.
Trois recueils poétiques inaugurent cette reprise d’activité. Ils sont signés d’Anna Jouy (De l’acide citronnier de la lune), de Marcel Migozzi (Ruralités) et Jean-Louis Bernard (À l’ordre de l’oubli). J’aurai le plaisir et l’honneur de célébrer à l’automne cette remise sur orbite de la poésie qui est, avec l’attention que l’on doit aux enfants, l’activité humaine primordiale témoignant de la pensée, du cœur et des îles des essences sensibles au milieu de l’océan pollué des vulgarités commerciales dans lequel nous baignons.
Le titre du recueil de Jean-Louis Bernard, À l’ordre de l’oubli, me fait penser à la condition et aux « productions » – c’est bien ainsi que l’on dit ! – de l’écrivain, et particulièrement du poète aujourd’hui. Ce dernier, il me semble, accepte de fouler les terres de l’oubli avant même d’avoir écrit un seul vers. Qu’on ne cherche pas ici à souligner un quelconque pessimisme, ce sont les faits, rien que les faits.
Le 8/VIII
#. Notre Novlangue ou le français tel qu’on l’écrit et le parle. C’est dans Le M des 7 et 8 août : Facebook fait la chasse aux titres « attrape-clics »… « L’impact réel de l’annonce de Facebook reste à déterminer. Les titres de clickbait ne recourent pas seulement à la technique du curiosity gap, qui consiste à faire un teasing abusif » etc. « J’y entrave que couic ! » – aurait dit mon concierge, s’il y avait encore des concierges. Pour moi, guère plus avancé que le concierge, c’est du pur galimatias. Ceux que ce sabir n’attriste pas devraient être parachutés sur les îles britanniques et les déserts des États-Unis d’Amérique.
Le 9/VIII
#. M. Recep Tayyip Erdogan, grand mamamouchi de la Turquie, prétend que « L’Occident », qui rechigne à accueillir son pays dans le supermarché européen, « est en contradiction avec ses valeurs ». L’ai-je une fois entendu protester contre les massacres massifs de civils européens par les musulmans fanatisés du Moyen-Orient ? Je n’en ai pas le souvenir. Il réduit chaque jour un peu plus l’espace de vie des croyants non-musulmans dans son pays. Restent là-bas 1% à 2% de chrétiens. Il tend à exclure plutôt qu’à inclure. Les réfugiés qu’il accueille momentanément et contre subventions, lui sont une monnaie d’échange et un moyen de pression dans les négociations. M. Erdogan me paraît confortablement installé dans « ses » valeurs marchandes à lui.
Le 9/VIII
#. Que ferais-je de Mme Michelle Martin ? Qu’on se souvienne : elle fut la compagne et l’assistante zélée de l’assassin-violeur de fillettes, Marc Dutroux. Elle exerçait alors le métier d’institutrice. Mme Florence Aubenas consacre une page du M de ce jour à celle qu’elle nomme La servante du diable.Outre les viols, deux fillettes moururent de faim sous sa garde, une autre fut enterrée vive ! Son ancien juge, Christian Panier, l’héberge dans une ferme qu’il possède non loin de Namur, car outre qu’elle est dite « la femme la plus détestée de Belgique », personne ne peut ni ne veut la loger aujourd’hui, alors qu’elle a quitté la prison. Ce juge argumente : « J’ai moi-même envoyé des gens en prison ; quand on sait les mettre dedans, il faut savoir les mettre dehors ». Puis ceci : aucun de ses anciens étudiants ne met rien au-dessus de « tuer » et « violer » en matière de mal. Lui voit mieux et au-delà, ce qu’il considère comme le pire du mal ; citons-le : « …le fonctionnement des multinationales, les médicaments trop chers, la fraude massive, l’environnement. C’est quand même plus grave que de tuer bobonne, non ? » Et ceci encore : « Toute société a besoin de démons : dans la nôtre, le fait divers occupe la place du mal ».
L’attitude de ce juge a quelque chose d’antique. Est-elle admirable pour autant ? Celle des habitants du village de Floriffoux qui parfois aperçoivent Michelle Martin dans leurs rues et ne se jettent pas sur elle pour l’écorcher vive, en dit long sur leur degré de civilisation, et peut-être sur le vieux fond de catholicisme qui les anime. Ces Belges qu’on nous décrit volontiers comme des paysans mal dégrossis ! Quant au juge Panier, il traite de deux questions qui, selon moi, ne se comparent pas : il place sur un plan d’équivalence le crime individuel et le crime idéologique de pouvoir (celui de l’argent, lié à celui de l’impuissance volontaire des politiques). L’argent est la seule « valeur » dans tous les sens du terme ; les politiques, même s’ils constatent leur impuissance, ne dénoncent pas ses causes ni ne démissionnent. Ils profitent, c’est le mot qu’on entend dans la bouche des vacanciers ! Quant à « tuer bobonne », cela n’a rien de secondaire selon ma vision du mal.
Et moi, que ferais-je de Mme Michelle Martin ? Qu’aurais-je à lui dire si je la rencontrais ? J’avoue que je n’en sais rien. Pas des paroles de haine, j’en suis sûr. Ni de mépris. Une pitié intérieure. Le silence, c’est probable, et le regard ? Je n’ai pas l’âme faite du même acier que celle de M. Panier, ni trempée comme la sienne. Que sait-on de notre âme ?
Le 9/VIII
#. « Monsieur Chouchani, maître à penser des intellectuels juifs » (Le M. 6/08). M. Chouchani « connaissait le Talmud, tous ses commentaires et les commentaires des commentaires ». Cetenseignant autodidacte jouit de l’admiration du regretté Élie Wiesel, de celle d’Emmanuel Levinas qui en dit : « Il tire du texte ce qui n’est pas dans le texte, il insuffle un sens au texte ». Un esprit étroitement cartésien tel le mien se demande ce que l’on peut tirer d’un texte qui ne soit pas dans ce texte, et quel sens est le sien s’il est possible de lui en « insuffler » un. Il se demande si le Talmud est un livre sérieux ou manipulable selon les nécessités de l’instant, de l’heure…
#. Burkini ! (Le M. 6/08). À Marseille, des dames de la religion louent un lieu certes privé pour s’y baigner « entre femmes et avec [leurs] enfants », vêtues d’une sorte de pyjama intégral appelé « burkini » ou couvertes de la tête aux pieds d’un « jilheb de bain ». Elles se discriminent elles-mêmes, par conséquent. Pourquoi ? Ont-elles honte de leur corps ? Mangent-elles trop de loukoums ? N’auront-elles pas trop chaud sous les voiles et draps de la cachotterie ? Libre à elles de se ridiculiser, de ne pas se vouloir appartenant à la communauté nationale. On apprend que la manifestation séparatiste est menacée d’interdiction (le qualificatif est mien) et qu’un ex-sénateur socialiste du lieu doute fort qu’elle ne débouche sur des « troubles de l’ordre public ». On dira encore que ces dames sont stigmatisées. Pour moi, je ne refuse pas – pourquoi refuserais-je ? – d’admirer les formes des belles musulmanes, sans penser à mal, car n’ayant violé aucune femme dans ma déjà longue vie, ni pensé à le faire et n’ayant aucune intention de le faire. Cela ne m’empêchera nullement d’admirer de belles femmes nues, fussent-elles musulmanes. Par Allah, levons le voile !
Le 8/VIII
#. Droit du sol remplacé. M. Sarkozy, ex-président de la France, en mal de reconquête du pouvoir voudrait relancer un vieux débat, notamment par la création d’un statut de remplacement : laprésomption de nationalité. La solution claire et définitive du problème semble donc à portée de main. Que l’on soumette la nationalité définitive de toutes les personnes nées sur notre territoire à une ou deux épreuves successives garantissant leur authentique intégration. Je serai le premier à me présenter à l’examen, n’étant pas certain, chaque matin, d’être français.
Le 14/VIII
#. Un fait. Ce 11 août, ayant reçu des menaces de mort par voie écrite (une soixantaine de messages), ainsi que la promesse d’un nouvel attentat, la direction rénovée de Charlie Hebdo a porté plainte. Le parquet a ouvert une enquête. Pourquoi renonceraient-ils, en effet ?
Le 15/VIII
#. M. Manuel Valls, premier ministre socialiste*, déclare au pays, à propos des nouvelles tendances religieuses vestimentaires de plage : « Le burkini n’est pas une nouvelle gamme de maillots de bain, une mode. C’est la traduction d’un projet politique, de contre-société fondé sur l’asservissement de la femme ». L’instrument d’une « vision archaïque de l’islam ». « Certains cherchent à présenter celles qui portent le burkini comme des victimes, comme si nous mettions en cause une liberté. Mais ce n’est pas une liberté que d’asservir la femme (…) ». M. Hamon, autre socialiste, ajoute : « …ces débats n’ont qu’une conséquence, c’est d’expliquer aujourd’hui que la France a un problème avec l’islam et les musulmans ». Ne serait-ce pas plutôt l’islam qui aurait un problème avec la France, et même avec tout ce qui n’est pas l’islam ? Ô combien ! Les musulmans deviennent le problème ! Quoiqu’ils se combattent, MM. Valls et Hamon ont mille fois raison. Pour une fois, je suis en accord avec eux.
On se calmera, c’est certain, lorsque la température des mers, cet automne, redescendra à 12°.
Les autres bonnes âmes de la gauche sans pensée, au nom de leurs intérêts électoralistes, protestent contre une supposée islamophobie et convoquent magistrats, sénateurs et associations dites antiracistes… C’est encore et toujours le même argument : pauvres musulmans stigmatisés, contraints à un vivre-ensemble qui ne leur conviendra que si nous tous vivons comme eux, dans la crasse antique du désert et la haine à peine masquée des filles et des femmes. Les Corses (affaire de la plage de Sisco) semblent ne s’y être pas trompés. Le fameux « vivre-ensemble » n’est pas pour demain.
* Je l’avoue, un socialiste ne l’est à mes yeux que si de le dire sert mes intérêts idéologiques, car ainsi que tout un chacun de nos jours, j’ai une idéologie. Certains l’auront remarqué.
Le 19/VIII
#. Répliques, rediffusion d’une émission d’Alain Finkielkraut, sur France Culture. Le samedi matin uniquement. Penser l’Autre (voire « autrui ») est du domaine de la gageure. Même (et surtout peut-être) avec l’accompagnement de Levinas et celui de deux philosophes parisiens de ce temps desphilosophes, on n’y arrive pas. L’autre est-il moi ? Suis-je l’autre de l’autre ? Lui volé-je sa place au soleil ? L’arrivée d’un tiers change-t-elle les données du problème ? Le jargon est roi, la complication fait office de profondeur, on pourrait tenter le parler direct et accessible aux majorités bien disposées, on ne le fait pas… de quoi aurait-on l’air auprès des collègues ? Dix minutes avant la fin de l’émission, je manque m’endormir, j’éteins ma radio.
Le 20/VIII
#. Petits faits non moins significatifs
Mohamed VI, roi du Maroc, appelle à faire front contre le djihadisme fanatique. Nous espérons que leCommandeur des croyants sera entendu, sinon en qui et en quoi devrons-nous croire ?
M. Nicolas Sarkozy reprend son pic d’alpiniste. Son Everest, c’est l’Élysée. Il a quelques chances de reconquérir le sommet. Son jeune rival, M. Hollande, a disparu dans la crevasse des promesses mensongères et de l’incompétence. Les rivaux, MM. Jupé, Fillon… atteignent l’âge de la retraite. Les gérontocrates veulent désormais nous diriger. L’imitation des États-Unis est à son apogée : M. Trump et Mme Clinton sont aussi des vieux de la vieille, quoique liftés l’une et l’autre.
Nous y sommes. Rentrée des classes en notre beau pays. La classe politique, les services de sécurité disent mettre en place des mesures qui protègeront écoliers, collégiens et lycéens des attaques terroristes. Spécialement de l’intrusion d’hommes armés dans leurs lieux d’enseignement. Je songeais récemment qu’il était grand temps d’y penser. Attendons-nous néanmoins à des décisions en trompe-l’œil, entre cocasserie et inefficacité. Ma conviction est que M. Vincent Peillon dirigera bientôt des processions en l’honneur de la Vierge de Lourdes autour de chaque lycée, M. Cazeneuve dans ses pas balançant le brûle-parfum, répandra l’encens et la myrrhe. La protection de la jeunesse étudiante est à ce prix. Vive la république laïque !
Le 24/VIII
Léo Ferré. Une émission concernant l’artiste-chanteur, que je connaissais mal, m’a tenu éveillé toute la nuit. Écorché vif, blessé par les injustices, disant les combattre par les mots et les chansons. Anarchiste de tréteaux, il reconnaît la Mort dans le drapeau noir, chantant la vie, ne craignant aucune contradiction, un brin auto-satisfait mais s’en défendant avec habileté. Il masque ses manques, ses fuites, ses désengagements par de fréquents détournements du sujet de la conversation. À mi-chemin entre grandes vérités générales et petites impostures. Ses chansons sont le plus souvent détonantes, explosives, il trouve les mots, et il a su chanter les plus grands poètes. Un homme d’hier matin et d’aujourd’hui encore.
Le 25/VIII
#. Dernières nouvelles de l’Yonne. Au délicieux village de Charbuy, « avec enthousiasme », les 53 viandeurs du lieu, réunis en assemblée générale, se préparent à l’ouverture de la chasse, prévue pour le 18 septembre. On se réjouit de la présence des lièvres « qui, après une période de quasi disparition, semblent faire leur retour, de même que les perdrix et les faisans. […] De nombreux indices laissent présager d’une bonne saison » (L’Yonne Rép. du 29/08). Il est donc de première urgence de massacrer ces bêtes à peine revenues sur ces terres ingrates. Qu’elles ne s’installent surtout pas !
#. Dernières nouvelles du monde. Gabon. Un président sortant, Ali Bongo Ondimba, mais peu désireux de quitter la place ; un président prétendant s’asseoir sur le trône encore chaud de la simili-république, Jean Ping. Les résultats des élections ne seront annoncés que dans trois jours. Dans les camps opposés, les troupes sont, si l’on ose dire, chauffées à blanc. Les deux hommes ont annoncé leur victoire. Tout est prêt pour une tuerie générale, et au moins pour des émeutes affreuses. Saga África !
#. Dernières nouvelles de France. La rentrée scolaire se profile, celle des collèges notamment où, au prétexte de servir le populaire par l’égalité des malchances, on a coupé à la racine l’enseignement du latin et du grec. Rappelons que dans ce pays les plus productives fabriques d’analphabètes et de crétins sont les bancs des collèges et les tribunes des stades. À preuve, ce titre cocasse de page intérieure duM (le 30/VIII) : Un objectif pour les élèves : « Lire, Écrire, Compter, et Penser ». On sait que les trois premières de ces prétentions relèvent de l’impossible, et la dernière du mélange des travaux d’Hercule et des fables du Père Ubu.
Le 30/VIII
Fin de mois difficile. Le port du burkini agite encore maires et juges aux affaires maritimes. Le ridicule fera tomber le disgracieux accoutrement et sa préoccupation. Peut-être aurai-je la chance de voir nues de jeunes musulmanes, les brunes naïades du prophète allongées sur nos sables, bercées dans nos vagues. Qui n’espère rien n’a rien.
Nos politiciens professionnels se lancent piques et anathèmes. Les élections sont proches. Enfin… huit mois tout de même. Les journalistes s’en amusent. M. Emmanuel Macron, homme de gauche-droite comme de droite-gauche, vient de démissionner de son poste aux affaires d’argent. Il trahit son chef, M. Hollande. Il le laisse seul face au cruel Manuel Valls. C’est à en pleurer. C’est moi qui, nu comme me fit ma mère, vais me jeter dans la Seine et m’y noyer dès mon retour à Paris. De quel pont vais-je me jeter à l’eau ? Au temps des yé-yé, on chantait quelque chose comme « C’qu’on s’amuse, à Paris… Ça balance, à Paris… »
Le 31/VIII
Rigolade House : retour des champs
Mme D., notre première adepte, qu’on s’en souvienne, l’avant-veille de notre retour dans la capitale, tomba dans une profonde dépression dont le chroniqueur de cette aventure ne sut la raison que tard dans la journée. Il en conçut lui-même un tel malaise qu’il se trouva dans l’incapacité de poursuivre sa relation de voyage. Elle est donc remise, par la force des choses, à notre prochaine séquence de ces Carnets, celle du mois de septembre. Notons seulement que le professeur Purgon lui-même ne fut pas épargné par une étrange mélancolie née d’événements qui, pour ordinaires qu’ils fussent, n’en marquèrent pas moins les esprits.
Définitions - Eclairs
Kafkaïen : Tout ce que l’on comprend mal.
Kaléidoscope : Prenons les mêmes, agitons et voyons : autrement dit, nous verrons le paysage politique français. Ce que l’on a vu et voit encore dans le tube à miroirs est généralement pénible.
Khmers : Presque oubliés dans leur variété dite rouge, ils exterminèrent trois millions d’hommes, de femmes et d’enfants au nom d’une idée politique aujourd’hui démodée. Ne jamais désespérer de l’homme.
Klaxon : Originellement connu sous le nom de corne, il est utilisé par l’automobiliste pour manifester ses sentiments, voire ses pensées à l’égard des autres automobilistes. Des philologues, sémiologues et anthropologues allemands ont étudié ce nouveau langage, déterminant qu’il préfigure l’âge paléo-néo kornique supérieur.
Laconisme : On vérifie sa possibilité et le bien-être qui en résulte lorsque la logorrhée universelle est interrompue par une panne d’électricité.
Langage : La pensée se raréfiant, il tombe en désuétude. Le remplacent une sémiologie simple, ou expressions par les signes, lesquels vont du cri inarticulé au coup de poing sur la figure de l’interlocuteur.
Lapidation : On ne lapide pas en Iran, en Afghanistan, en Arabie Saoudite, du moins pas les hommes adultères.
Le Clézio (Jean, Marie, Gustave) : Écrivain français. Image sainte de la perfection dans la pensée conforme. Donc, prix Nobel de littérature. Romancier le plus ennuyeux de sa génération.
Légion d’honneur : Des poètes, des écrivains, des artistes aiment à se faire ainsi « honorer ». Ils ont peut-être trop peu lu leurs classiques : « Honnête homme ou non, son honneur est de trop dès qu’il récompense », Marivaux.
Léthargie : État paisible condamné par des imbéciles nerveux.
Libéralisme : Méthode économique visant à une stricte division des citoyens entre assistés et assistants. Il aboutira immanquablement à son antithèse, le néo-communisme, régime où l’État prendra en charge la totalité des assistés, tandis que la nomenklatura boursière jouera au golf et passera ses vacances dans les îles.
Libération : Quotidien parisien, prêt-à-penser et pense-bête à l’usage et au profit de personnes manquant de pensée ou désirant ne pas trop s’éloigner de celle la plus en usage. Se lit comme autrefois un bréviaire ou un manuel de catéchisme.
Liberté : « Un des biens les plus précieux de l’imagination », Ambrose Bierce. « Homme libre toujours tu chériras la mer », affirma un grand poète qui ne passa jamais pour un grand marin.
Libertinage : Au sens restreint, activité raisonnable et agréable consistant à s’offrir du plaisir sans en priver ses partenaires. Le libertinage de pensée est irrecevable de nos jours où il n’est plus de « pensée déviante » seulement concevable.
Littérature : Activité d’agrément exercée par ceux qui n’ont pas d’occupation vraiment sérieuse. La question est : qu’est-ce qu’une occupation vraiment sérieuse ?
Logomachie : Essence sonore volatile de l’activité politique.
Loi : Nul n’est censé l’ignorer, mais on peut occuper une vie entière à déchiffrer le code civil. C’est pourquoi courbe de l’analphabétisme et courbe du remplissage des prisons sont exactement superposables. Au nom de la loi ! Expression qui déclenche l’hilarité générale. Loi des séries. Lui obéissent fidèlement certains assassins et mon percepteur.
Lourd : « Ce qui est lourd est peu dansant », avait coutume de dire Serge de Diaghilev.
Lubie : La lubie a pour conséquence le plaisir inouï ou la catastrophe sans remède. Il va sans dire qu’avoir des lubies est très mal vu des compagnies d’assurance.
Lubrique : Tout être soumis à la lubricitas, c’est-à-dire à la « mobilité », selon le regretté Professeur Henri Goelzer de l’académie des Inscriptions et Belles Lettres, auteur d’un dictionnaire latin réputé.
Lumière : Goethe la réclamait encore à l’instant de sa mort. « Faire la lumière », expression de police, de justice, de politique signifiant « éteindre l’affaire ». « Faire toute la lumière », l’enterrer. « Le siècle des Lumières », en proie à on ne sait quelle extravagance, où peu psychologues, de bons esprits prétendirent y établir le règne de la raison.
Lundi : Première unité (24 heures, soit 1440 minutes, soit 86400 secondes) de l’enfer hebdomadaire. Nul ne sait comment il s’y prenait, mais M. Sainte-Beuve y avait d’excellentes « causeries ».
Fin du Carnet XLII, août 2016
Michel Host
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