Carnets 1933-1963, Yasujiro Ozu (par Philippe Leuckx)
Carnets 1933-1963, Yasujiro Ozu, Carlotta, novembre 2020, trad. japonais, Josiane Pinon-Kawataké, 1280 pages, 50 €
Mine extraordinaire sur le parcours d’un cinéaste majeur, que ces Carnets tenus durant trente ans, qui offrent, au-delà du regard unique du réalisateur, un contrepoint à sa carrière, un supplément d’âme par des notes régulières, souvent elliptiques, du début de sa carrière à la dernière période – celle du Goût du saké, son ultime chef-d’œuvre.
Issu d’une famille nombreuse (deux frères, deux sœurs), Ozu perd son père en 1934, sa mère, l’année juste avant sa disparition.
Le cinéaste, né et mort un 12 décembre, respectivement en 1903 et 1963, qui consacra tant de films à la cellule familiale, entame son « journal » par cette phrase : Le cœur de la maison est toujours l’endroit le plus sombre de la pièce la plus sombre (7 août 1933).
Chaque année du journal reçoit une petite introduction bien utile pour voyager dans les activités multiples d’Ozu.
Aussi apprend-on que dès 1933, il est fêté par un prix, pour son film Gosses de Tokyo, considéré comme le meilleur film japonais de 1932. Il a à peine trente ans. Que dès 1934, il travaille avec son scénariste attitré, Noda.
Ozu relate son expérience militaire : incorporé au 2e régiment de la Garde impériale, il est envoyé en Chine lors du conflit de 1937. Cet embrigadement nous vaut de belles pages sur cet épisode militaire, tissé de solitude, de froid, d’ennui. Il sera démobilisé en juillet 1939.
Permission toute la journée. J’ai traversé la rivière sous une grosse pluie pour me rendre à Hankou. Bière et salade composée au « New Hankou » (1er février 1938).
L’essentiel du « journal de bord » concerne les indications de tournage, de préparation de scénario avec Noda, les visites à l’Association des Réalisateurs (il en devient le Président en 1955), les menus incidents de santé, les reconnaissances (Eté précoce, entre autres), les sorties, la « neige qui tombe », le « saké rituel », les visites aux amis (Mizoguchi, malade), bref, la vie ordinaire d’un cinéaste organisé, précis, rigoureux, convivial, attentif aux autres et à la qualité.
Du soleil. À peine levé, me suis mis à désherber le jardin (1 janvier 1955). Saumon d’hiver au repas ce matin : un régal. Ai vite pris un bain, avant ma sieste (18 janvier 1955).
Amateur de sumo, de saké, de billard, Ozu goûte les joies de la vie, organise son travail de « repérages » de futures scènes, cède aux entretiens et aux nominations. Il est ainsi, dès 1959, le premier cinéaste japonais à entrer à l’Académie des Arts. C’est une année faste, deux films, Bonjour, et Herbes flottantes, deuxième et troisième films en couleurs. Le cinéaste est unanimement reconnu.
Pluie « Le petit appartement » avec Hara et Tsukasa : 3ème jour. Tournage dans les temps. Il commence à faire plus frais (7 septembre 1960).
Une vingtaine de pages de clichés en noir et blanc sur fond rose coupent le volume des Carnets en deux et donnent l’occasion d’entrer dans le monde d’Ozu : les familiers, la famille, les amis, les reconnaissances, les photos de guerre en Chine, celles de Setsuko Hara, l’aimée de celui qui ne voulut jamais se marier.
La santé hélas se détériore.
Soleil. Mon ventre me fait un peu souffrir. Le froid est un peu moins vif. N’ai rien fait (11 mars 1961).
C’est l’heure des derniers films (Dernier caprice ; Le Goût du saké). C’est le départ de sa mère très âgée, en 1962.
Le cinéaste de près de soixante films (et la période féconde et réussie de 1949 à 1963) meurt le jour de ses soixante ans. Longtemps méconnu en France (à part les contributions de Claude-Jean Philippe et de Georges Sadoul), il sera fêté dès 1978 par la découverte de nombreux films.
Philippe Leuckx
Yasujiro Ozu, né en 1903, décédé en 1963, cinéaste japonais, l’un des plus incontournables de l’histoire du cinéma, est l’auteur d’une soixantaine de longs métrages, entre autres : Gosses de Tokyo ; Printemps tardif ; Voyage à Tokyo ; Printemps précoce ; Fleurs d’équinoxe ; Bonjour ; Fin d’automne ; Le Goût du saké.
- Vu : 1695