Identification

Carnet pour habiter le jour, Thomas Pontillo, par Germain Tramier

Ecrit par Germain Tramier le 29.08.18 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Carnet pour habiter le jour, Thomas Pontillo, Les éditions de la Crypte, février 2018, 79 pages, 14 €

Carnet pour habiter le jour, Thomas Pontillo, par Germain Tramier

 

Je dois faire tomber en moi

tous les murs d’amertume

creuser davantage

laisser venir le miracle

à pas de soleil

le suivre jusqu’à l’étoile prochaine

jusqu’aux pieds de la beauté

 

Pratiquer le lyrisme, malgré la stérilité des mots, pour vivre avec intransigeance et passion, voilà ce que propose Thomas Pontillo dans son recueil, Carnet pour habiter le jour.

Ce livre, comme le titre le fait entendre, montre une volonté de faire de l’existence une terre habitable, sans perdre de vue la solitude humaine, cet « habit trop grand pour nous ». Le recueil évoque à plusieurs reprises l’image d’un paradis terrestre qui, à l’inverse de son jumeau céleste, est un éden fragmentaire, illusoire, qui se renouvelle par instants, illumine la vie, comme lors des percées printanières. À cet imaginaire solaire s’opposent toutes les atmosphères nocturnes, hivernales, rappelant que c’est du heurt des contraires que jaillit l’intensité poétique. La beauté sert ainsi de phare à l’existence, elle augmente en degrés la vie, la joie ou l’adhérence, elle est « l’antichambre de toutes les vertus ».

La première partie du livre, intitulée Langue morte, témoigne d’un refus de se laisser aveugler par la trop grande force poétique de la parole. Elle affiche un corps à corps avec la rhétorique, ce « goût des mensonges des artifices lumineux ». Toutefois, cette autocritique du langage n’est pas une voie à suivre jusqu’au bout ; elle marque une recherche de la justesse, mais ne peut clore l’entreprise poétique. Aussi la fin de la première partie se défait-elle de cette « langue morte » pour laisser les Fenêtres ouvertes vers un lieu présent magnifié. Les poèmes deviennent alors catalyseurs de vie, s’accordant au vers : « Un ciel gris semble toujours implorer qu’on le délivre ». Si les mots n’ont pas le pouvoir d’ouvrir une véritable transcendance, ils peuvent du moins transformer nos conditions d’existence, et notre perception du monde qui, si personne ne vient l’augmenter, reste ce mystère avec horizons clos. L’auteur accepte ainsi la proposition d’Oscar Wilde qui, dans Le Déclin du mensonge, renverse une idée commune : « […] la vie imite bien plus l’art que l’art n’imite la vie ». Les artistes nous permettant d’appréhender différemment le monde, car ils s’appliquent à le voir, à le refaire, à l’interpréter. L’art de toute époque devenu performatif, aidant à comprendre ce qui est beau, grand, médiocre, juste ou non.

C’est aussi par les jardins d’enfants, le souvenir d’une vie intense, que se renouvelle l’acte de présence poétique chez Thomas Pontillo. Ces édens passés viennent contaminer le vivre adulte, pour le recharger dans un mélange oxymorique de détresse et de beauté. On pourrait parler d’existentialisme esthétique, c’est-à-dire de vécu augmenté par la puissance affective de l’art. Il ne s’agit pas d’écrire dans l’illusion d’un lyrisme illuminé, mais bien d’endosser pleinement une recherche de réenchantement d’un monde violent et déceptif : de Raccommoder le ciel, comme le suggère la troisième partie. Ce « carnet » est donc un moyen de noter des ravissements lumineux, dire tour à tour l’élévation et la chute, la solitude et les instants de communion charnelle : « Dans la nuit qu’aucun passant n’arraisonne/ vivre est déjà un chien errant/ parmi les roses de la colère/ quelques visages s’ouvrent à l’éblouissant chaos ».

 

Germain Tramier

 


  • Vu: 2684

A propos du rédacteur

Germain Tramier

 

Diplômé d’un master de lettres modernes, j’ai eu l’occasion d’écrire un article sur l’autoréflexivité chez C. F. Ramuz, qui paraîtra prochainement aux éditions Classiques Garnier, dans un ouvrage collectif : L’Œuvre et ses miniatures. L’objet autoréflexif dans la littérature européenne, dirigé par Luc Fraisse et Eric Wessler. Quelques-uns de mes poèmes ont été publiés, notamment sur le site Infusion Revue et dans l’ouvrage collectif « Pierre d’Encre n°6 » de l’association Le Temps des rêves. J’anime également une chaîne youtube consacrée aux films d’animation, « Animétrage », qui se propose d’en analyser la mise en scène et s’attache à aborder des œuvres peu diffusées, comme des court-métrages par exemple.