Car si l’on nous sépare, Lisa Stromme
Car si l’on nous sépare, Lisa Stromme, éd. HarperCollins, traduiction de l'anglais collective, mars 2017, 321 pages, 18,90 €
Ecrivain(s): Lisa Stromme
La réécriture de la vie d’un peintre, y compris sous l’angle purement romanesque est un exercice malaisé. Lisa Stromme, auteure de Car si l’on nous sépare, se sort avec brio de cette embûche. Nous sommes en 1893, en Norvège, patrie d’Edvard Munch, peintre le plus célèbre de ce pays, dans le petit village de pêcheurs d’Asgardstrand. Johanne Lien, fille d’un fabricant de voile, est embauchée le temps d’une saison chez les Ihlen, famille bourgeoise. Elle se lie avec l’une des filles de la maison, Tullik Ihlen, qui va lui présenter bientôt Edvard Munch, et l’introduire dans le monde de la bohème et des artistes, univers inconnu de cette jeune fille promise à Thomas, un martin-pêcheur du village qui envisage de l’épouser.
Le roman de Lisa Stromme est articulé par chapitres, chacun traitant d’une couleur ou d’une technique de l’art pictural. Ces titres de chapitres sont inspirés de l’œuvre de Goethe, Traité des couleurs. Au-delà de ce découpage, c’est la découverte par les deux principales héroïnes du roman, Johanne et Tullik, qui nous est offerte par Lisa Stromme. Ainsi, de la perspective de l’émancipation, de l’exercice du libre arbitre que Johanne pressent en écoutant son amie évoquer Hans Jaeger, peintre norvégien :
« il a été interdit et Jaeger a été jeté en prison (…) il y est question d’amour libre, d’une société libre, du libre arbitre ».
Plus les rencontres avec Munch s’intensifient, à l’insu de la famille de Johanne et de celle de Tullik, dont les parents ne sont pas loin de considérer Munch comme un artiste dégénéré, plus la curiosité de Johanne s’aiguise Elle pose des questions essentielles : sur le désir de peindre, sur les motifs profonds de se consacrer à cet art : « Ne peins pas ce que tu vois, Johanne, m’intima Munch, en me tendant sa palette. Peins ce que tu ressens, cherche la lumière ».
Le moment le plus intense du roman, c’est sans doute la tentative d’explication par Johanne de la célèbre toile Le Cri qu’elle découvre presque par hasard, posée par terre dans l’atelier de Munch : « Et ressentir cette force, c’était éprouver la terreur d’être séparé de l’essence de notre être, la terreur de la séparation des âmes, la terreur de vivre dans un monde où il n’y aurait plus ni sens ni amour ».
Le roman de Lisa Stromme, de l’aveu même de l’auteure, est élaboré à partir de personnes réelles, mais dont la vie est recomposée, réécrite pour les besoins de la fiction. C’est très réussi. L’évocation de l’œuvre de Munch est parfaitement amenée ainsi que la vie dans cette Norvège conservatrice que Munch dépeignait dans son tableau : Soirée sur l’avenue Karl Johan.
Par sa technique d’écriture, l’utilisation de personnages réels à des fins intégralement fictionnelles, ce roman est dans la lignée de celui de Jean-Michel Guenassia, La valse des arbres et du ciel, qui remet en cause les circonstances et les causes réelles de la mort de Vincent van Gogh.
Stéphane Bret
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