Cailloux, Michel Stavaux (par Didier Ayres)
Cailloux, Michel Stavaux, éditions D’Hez, avril 2021, 59 pages
Étrangeté
Il y a parfois des livres qui produisent une impression de distance, parce que, par exemple, il manque des images ou de la chair, distance que l’on ne prémédite pas, distance parfois nécessaire pour entrer dans un univers. Il est rare de traverser un recueil semblable à l’idée que l’on se fait d’une grande poésie, ou de se sentir proche d’un mot de cette quête de langage, quête du langage. Ici, le plus frappant, c’est la manière d’aller vers l’abstrait, de ne pas ressentir la contingence de l’existence de l’auteur, qui permet au lecteur de vagabonder dans cette zone au-dedans, dans l’esprit, où la pure parole, la pensée comme soupesée à l’aune de l’éclat, laissant un goût de beauté sans que l’on en connaisse la substance.
Chanson
Le calme de l’eau intérieure
Et le froid enchaîné du ciel
Font un pacte sur la souffrance
Le respect mutuel des monstres
C’était une leçon d’hiver
Celle du malheur attentif,
La nourriture du chat maigre
Comme morsure sur le gel
Nouvel assassin ingénu
L’époque aux armes de jeunesse
Autour les heures dansent nues
Pour accueillir l’âge banal
Tout cela confine à l’étrangeté. Voir du connu dans de l’inconnu, ou inversement sentir que l’inconnu infuse dans le su ou le connu. Cette langue n’hésite pas à frapper, à côtoyer le mystère, parfois si étrange que la lecture devient lunaire, énigme de la parole poétique. Ainsi, si duplicata de la réalité il y a, c’est pour que nous puissions nous tenir un instant en suspens au-dessus de la question du poème. C’est esthétique pure, dénuée d’obéissance, travaillée suffisamment pour que le poète trouve une sorte de paix, le grand calme des cieux.
Donc, pas d’agrégats baroques, une langue lisse et voluptueuse, plaisir du texte considéré comme sa propre justification, comme si son existence était pour toujours saisie étrangement dans des grandes abstractions englobantes et lyriques. Je livre un dernier poème :
Entre chien et loup
Où l’orgueil d’un suivi
Un animal errant
Le soir ce chien d’attaque
Didier Ayres
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