Café Néon et autres îles, Chemins grecs, Jean-Christophe Bailly (par Didier Ayres)
Café Néon et autres îles, Chemins grecs, Jean-Christophe Bailly, éditions Arléa, mars 2021, 144 pages, 17 €
De l’identification
Pour relater le sentiment d’empathie que j’ai éprouvé à la lecture de ce texte, je crois que le meilleur moyen était d’user d’une catharsis, se rapprocher ainsi des visions de la Grèce, du voyage, avec en regard une purgation de mes peines, celle que préconise la tragédie grecque justement. Car j’y ai trouvé une représentation du désespoir kierkegaardien. En tout cas, ce désespoir que j’ai ressenti durant mes voyages en Grèce, où à dix-sept ans, avec Les Fleurs du mal pour seul livre dans mon bagage, je cultivais sans le savoir une plaie douloureuse et brûlante : ma jeunesse. C’est encore là que je quittai le continent européen du point de vue physique pour la première fois de ma très jeune vie, puisque le bateau vers la Crète faisait physiquement le pas hors de l’Europe continentale. Ma famille a depuis des liens avec la Grèce (mes sœurs ayant fréquenté longuement des étudiants Grecs de la Sorbonne).
Ce préambule n’est pas anecdotique, et cette proximité avec le journal de Jean-Christophe Bailly, ce travail d’écriture qui bute selon moi sur une sorte de temps retrouvé, laisse entendre le plaisir que je voudrais communiquer. Et puisque nombre d’éléments pour moi sont un partage de choses vécues comme une sorte de fraction du pain, j’aime en ce livre la liaison avec la littérature, évidemment, mais encore avec la personne de l’écrivain, pour rompre ce pain de mots en commun. Et c’est bel et bien ma personne cette fois-ci qui s’est retrouvée, a retrouvé son temps, le désespoir presque intact de ma jeunesse, comme le définit si bien Kierkegaard. De plus, à dix-sept ans, je ne me doutais pas que je serais écrivain (je le suis devenu l’année suivante à Kourou, en Guyane Française).
La découpe des temples, puisqu’il ne reste que la découpe, blanche, un peu fantomale à la nuit tombée, avec une sorte de bois sacré qui monte de l’agora vers l’Aréopage, parle avec détachement du temps des « Grecs », mais les Grecs c’est aussi cet Orient précaire, ces arts de la suspension levantins, et des lampes à gaz brûlant au-dessus des pistaches au coin des rues.
ou
Et comme le voyageur embarque toujours avec lui, même s’il est résistant aux clichés, une image toujours un peu traditionnelle (à cause de lectures ou de musiques entendues – le cinéma apportant là, il faut le souligner, une importante correction), c’est toujours une surprise pour lui de voir à quel point des objets qu’il pourrait croire limités aux pays riches sont déjà répandus loin de leurs zones.
La Grèce se révèle être un paysage-spectacle, un paysage-peinture, un paysage-poème, un paysage-mythe. Donner à lire ce journal de voyage pour J.-C. Bailly, c’est actualiser un hic et nunc décalé, fouiller dans sa personne ancienne pour y voir apparaître un certain dessin dans le tapis : ce que furent ses déplacements maritimes, les noms pris par des villes, des îles, des villages, laisser deviner ses pérégrinations. Oui, c’est vêtir une espèce de Chlamyde antique qui aurait traversé les siècles pour aboutir peu ou prou dans l’imagination de l’écrivain en ces lieux forts en entêtants.
Retour. Le vent s’est levé et le bateau balance doucement (Je crois que ce petit voyage en Grèce aura atteint un but à lui, qui n’était pas forcément le mien, mais qui le devient – l’idée de voyager continûment. Non que je ne l’aie jamais fait, mais peut-être de façon plus violente, plus fataliste ? Seul, avec quelqu’un, ou en se retrouvant ici et là ?).
C’est plus un travail de contemplation que de méditation, plus un état de soi que des généralités, c’est plus une lumière qu’un récit, que tentent d’atteindre ces chemins grecs. Oui, il faut pour cela à celui qui écrit une introspection, un approfondissement en lui-même des lieux et des images. Mon sentiment a été tellement empathique, que j’ai épousé toutes les routes, toutes les figures, toutes les circonvolutions, les jets de lumière par exemple des livres que J.-C. Bailly lit ou écrit, et sans doute encore le peu de personnes humaines rencontrées lors de ces périples, jusqu’à m’identifier à l’écrivain lui-même. Nous sommes ainsi hors et dedans, partageant mais déjà partagés, ensemble et avec la solitude de notre principale condition humaine.
Didier Ayres
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