Ça écrit quoi, Samuel Deshayes, Guillaume Marie (par Didier Ayres)
Ça écrit quoi, Samuel Deshayes, Guillaume Marie, éd. Lanskine, novembre 2019, 56 pages, 13 €
Apologie de l’ironie
Rentrer dans ce livre écrit à deux voix, confondues en une voie, laisse entendre une sorte de schize naturelle dans laquelle se glissent les concepts de tragique et de comique, de grâce et de légèreté, de profondeur et de fragilité, de grotesque et de commun, de l’effroi et du bizarre. J’ai d’ailleurs beaucoup de respect pour cette forme hybride, que l’on connaît au théâtre sous l’épithète de tragi-comique. Cela permet de penser les sentiments variés que donne un même texte. Ornementations, lazzis, tours d’un ton de farce, et encore et surtout une ironie qui, en un sens, est double, puisqu’elle sollicite de celui qui lit de maintenir l’équilibre entre le faux suggéré et le vrai voulu. Ainsi, le cœur du lecteur va de l’angoisse au rire, du sérieux au fantasque. Cette ironie qui s’applique ici beaucoup à décrire le monde des lettres, avec plusieurs pages consacrées à des jeux de mots sur des titres célèbres de la littérature, permet une distance amusée et critique. Ainsi, la joie de lire se mêle de pathétique et de bouffon, et cette union des deux écrivains au sein d’un même livre laisse entendre une communauté d’idées, voire de vision du monde.
ma poésie est la vitre
où ne se reflètent pas
ni du monde les replis
ni larmes ni le trépas
vitre de mes vers vitreux
vite je perds vite ma vie
quelques mots échappent buée
glisse à la joue du temps
perdues sans mire
pensées monte-en-l’air
leur fil défait à terre-
à-terre
Rire est une manière de distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. Ce recueil issu du travail de deux ou quatre mains nous ouvre à la rébellion. Ici, on se rebelle contre l’ordre, contre les tiédeurs des esprits passifs. Et cet amusement où l’on distingue en même temps la volonté de dénoncer une certaine forme de sérieux académique m’a fait penser aux premiers films de Godard, lesquels se jouent des codes sentencieux, des hypocrisies en un sens, du cinéma de son époque. L’écriture de ces poèmes nous oblige à nous interroger. En tous cas, au sujet de cette démarche proche de l’iconoclastie qui désacralise la supériorité du livre sur la vie, du rire contre l’anxiété humaine, est sans doute un rempart contre l’idée de la mort. Ces textes s’appuient sur une sorte de drame, du vrai drame de l’être humain et sa ridicule et extraordinaire angoisse de la mort.
ma chair est triste et hélas
je ne lirai pas tous les livres
ni n’écouterai tous les chants
cependant je jette ma voix
au milieu de toutes les autres
On trouve donc dans cet ouvrage une parole double, celle de l’ironie, qui reçoit ici en quelque sorte son apologie vivante en même temps qu’un style ; celui de Michaux ou du Jacques Roubaud du Quelque chose noir. Ainsi, j’ai parcouru ce livre toujours étonné tout en ressentant cela comme une lecture salvatrice et originale.
Didier Ayres
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