C’était mieux avant, Emmanuel Darley
C’était mieux avant, 56 pages, 7,70 €
Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers
« Vive la farce ! »
Deux familles. Les Jambon et les Champagne dont le patronyme annonce l’appartenance à deux classes sociales opposées. Emmanuel Darley organise selon une forme miroir une farce politique grotesque autour d’elles : un père et une mère, un fils (côté Champagne) et une fille (côté Jambon), les prénoms des personnages rajoutent encore à la prédestination de leur nom patronymique, une dimension caricaturale. Le couple des Champagne se vouvoie comme ont pu le faire les familles bourgeoises tandis que les Jambon s’abandonnent à la familiarité… Ainsi : Raoul, le père Jambon, Pierrette la mère, et Ginette la fille. La chienne Pépette les escorte dans l’écho même de son diminutif. Ernest Champagne marié à Anne-Sophie et père du délectable Charles-Antoine.
Un chœur, une voix complètent cette distribution volontairement mécanique comme le marque l’échange réel ou fantasmé des partenaires. Raoul désire Anne-Sophie, Ginette voit en Charles-Antoine un prince charmant, et Ernest doit envisager de se rapprocher de Ginette. La pièce présente, en 19 scènes, souvent très courtes, la mascarade politique et sociale qui fait de Jambon, tribun populiste dont le slogan donne son titre au texte, « un homme providentiel » (p.20). Car il est ici bel et bien question de s’emparer du pouvoir tout au long du texte. Le genre littéraire de la pièce, la farce devient aussi le pays à prendre, évident avatar linguistique de La France. D’ailleurs la langue dans laquelle s’expriment Raoul et les siens relève moins d’un registre familier que d’une invention verbale, ludique, poétique et satirique et farcesque. Le premier discours de Jambon (p.23) tient lieu de morceau de bravoure de cette rhétorique burlesque, décalée, greffée en quelque sorte sur l’art oratoire conventionnel :
Farçais, Farçaises…
Ce soir, la farce a moisi.
Vous avez moisi.
Vous avez moisi le coulagz, la détermilation. Vous avez moisi la vérilé et la commiction. Vous avez moisi l’espoil…
Emmanuel Darley considère d’ailleurs que pour le théâtre « c’est surtout la langue qui génère l’ensemble, qui ordonne l’ensemble ».
Les Champagne – qui n’entrent dans l’action qu’à la scène 5 – vont justement manipuler les Jambon en feignant de reprendre à leur compte les propos réactionnaires de Raoul, jusqu’à porter le « c’était mieux avant » jusqu’à une logique implacable puisqu’ils le mettront en œuvre en se débarrassant de Raoul Premier, au nom de ce slogan, en le radicalisant sur le mode du retour à l’ensemble des privilèges de leur classe, à l’Ancien régime, proclamant (p.41) : Vive le roi ! Vive le roi !
Le mot révolution en astronomie signifie bien un retour au point de départ. Il en est ainsi dans la pièce cruelle d’Emmanuel Darley lorsqu’à la dernière scène, Charles-Antoine s’exclame : Ah ça ira, ça ira…
Derrière la farce théâtrale, Emmanuel Darley parle de la France chiraquienne, celle de 2004 qui intensifie la reconduite des « trangers » dans leur pays d’origine en charters, qui est engluée dans le chômage, les problèmes d’éducation, etc. Mais cette peinture garde toute sa force aujourd’hui et nous ramène même ironiquement à notre président F. Hollande dans l’invention du Vlanby, flan industriel bien connu, que Raoul veut distribuer à la population.
Ainsi le théâtre est une fois encore la « scène » du pouvoir politique des illusions populaires, du cynisme de ceux qui « ramassent, entassent » comme le dit si bien Anne-Sophie Champagne. Le rire se fait grinçant et dévastateur.
La pièce a été créée le 23 février 2004 au théâtre de l’Etoile du Nord à Paris, dans une mise en scène de Gilles Dao, compagnon de route de l’auteur.
Marie Du Crest
Chez le même éditeur : Indigents, 2000 ; Qui va là ? suivi de Pas bouger, 2002.
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