C’est une affaire d’étranglement, Sébastien de Monbrison (par Marie du Crest)
C’est une affaire d’étranglement, Sébastien de Monbrison, Editions Minces, novembre 2020, 45 pages, 5,04 €
Dans une voiture, quelque part, un conducteur accompagné d’un passager, invoque en farsi le grand poète persan, Hafez de Shiraz, celui « qui connaît tous les secrets ». Ainsi commence le court métrage de Sébastien Monbrison, qui conduit Yashar, exilé iranien, vers l’Europe. Comme si pour le réalisateur de cinéma, la poésie était un commencement à tout.
Le petit recueil, daté de 2011, C’est une affaire d’étranglement, constitue un vagabondage en poésie, celui peut-être du poète ou de quiconque à la première personne, qui dit le monde, à sa manière. Le cinéaste et le poète, de toute façon sont frères en images. Le livre recueille (une bien belle expression qui dit l’ouverture à l’autre et le soin qu’il faut lui porter) petites photographies en noir et blanc, ombreuses, lointaines et une trentaine de poèmes ; texte qui s’ouvre sur la répétition presque dangereuse du titre, de la première de couverture au premier vers du premier poème. L’étranglement d’un meurtre ?
Ce qui comme à l’opéra fait ouverture, ou art poétique ici : et quelque chose se glisse désespérément/ c’est un mensonge ou un souvenir/ qui est venu chanter. Ecrire poétiquement, c’est comme le dit si bien Verlaine, de la musique avant toute chose. Et Sébastien Monbrison entend « la mélodie » du monde. Il lui faut saisir tour à tour, le vent, la nuit, le ciel, toutes les bêtes… Mais comme Yashar, le poète erre dans le langage, traverse ses paysages tantôt en « gitan » tantôt en « fugitif », « en comanche inconsolable », en « derviche », en « Ulysse ».
Il se métamorphose même en hippocampe, bien étrange animal un peu chimérique, ou en ver de terre aveugle. Il y a quelque chose de l’ordre d’une cosmogonie des êtres réinventée d’un texte à l’autre. La poésie ainsi voit-elle autrement.
La figure de l’œil tient une place toute particulière dans le recueil : être vu et regarder l’autre et perdre aussi la vue. Cet œil souvent terrifiant, comme celui du cyclope, jusque dans le regard du désir amoureux. Le regard fait mal, il « griffe ». Le mot monstre a bien quelque chose à partager avec le mon(s)trer, exposer justement à la vue. Sébastien Monbrison écrit : J’ai quatre yeux, deux pour te voir et deux pour mourir.
Et celui qui a changé l’ordre de choses, bouleversant les astres, faisant de la nuit un soleil, les yeux injectés de sang, en un épilogue de théâtre antique, retourne enfin dans l’ombre et le silence.
Marie Du Crest
Sébastien de Monbrison, né en 1976 à Paris, est Anthropologue de formation. Il devient documentariste puis réalisateur de courts métrages. Il s’intéresse également au théâtre. Depuis 2017, il est producteur associé au Bureau des curiosités, et actuellement travaille à la réalisation d’un film sur le Vodou en milieu urbain africain.
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