Identification

C’est tout, Marguerite Duras

Ecrit par Matthieu Gosztola 15.02.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, P.O.L

C’est tout, Marguerite Duras, 55 pages

Ecrivain(s): Marguerite Duras Edition: P.O.L

C’est tout, Marguerite Duras

 

Le 5 octobre 1995 paraît aux éditions P.O.L. le dernier livre de Duras, constitué de propos recueillis par Yann Andréa, son compagnon : C’est tout.

 

Avant et maintenant c’est l’amour entre toi et moi.

Y.A. : Et après la mort, qu’est-ce qui reste ?

M.D. : Rien. Que les vivants qui se sourient, qui se souviennent.

Y.A. : Vous vous préoccupez de quoi ?

M.D. : D’écrire. Une occupation tragique, c’est-à-dire relative au courant de la vie. Je suis dedans sans effort.

Y.A. : Vous avez un titre pour le prochain livre ?

M.D. : Oui. Le livre à disparaître.

J’ai voulu vous dire

que je vous aimais.

Le crier.

C’est tout.

M.D. : J’ai beaucoup aimé danser.

Y.A. : Pourquoi ?

M.D. : Je ne sais pas encore.

Laissons faire si tu veux.

Encore pour quelques jours d’attente.

Tu me demandes attente de quoi, je réponds : je ne sais pas.

Attendre.

Dans le devenir du vent.

Peut-être demain je t’écrirai encore.

Je n’ai plus aucune notion sur ce que je croyais savoir ou attendre de revoir.

Voilà, c’est tout.

Quelquefois je suis vide pendant très longtemps.

Je suis sans identité.

Ça fait peur d’abord. Et puis ça passe par un mouvement de bonheur. Et puis ça s’arrête.

Le bonheur, c’est-à-dire morte un peu.

Un peu absente du lieu où je parle.

 

Les baisers de vous, j’y crois jusqu’à la fin de ma vie.

Au revoir.

Au revoir à personne. Même pas à vous.

C’est fini.

Il n’y a rien.

Il faut fermer la page.

Viens maintenant.

Il faut y aller.

M.D., à la fin,

tu écris

 

des bouts

de phrases

 

avec le souffle.

Des bouts

 

de quelque

chose.

 

Des bouts

de semelles

 

pour courir

à même

 

le vent.

Des bouts

 

de laines.

Des bouts

 

de chiffons.

Des bouts

 

de craie

de couleurs.

 

« Si minuscules […]

que même les doigts

 

d’enfants

ne les saisissent plus »,

 

comme l’écrit Quignard

dans Sordidissimes,

 

parlant d’autre chose.

Aujourd’hui,

 

tu renverses,

avec l’aide

 

de Y.A.,

un saut

 

de peinture

blanche

 

sur le froid

de la journée.

 

Froid sur

froid.

 

Ou plutôt

froid

 

contre froid,

tout contre.

 

On est

saisi.

 

Matthieu Gosztola

 


  • Vu : 5684

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Marguerite Duras

 

Marguerite Duras, nom de plume de Marguerite Germaine Marie Donnadieu, est une écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice française, née le4 avril 1914 à Gia Dinh1 (autre nom de Saïgon), alors en Indochine française, morte le 3 mars 1996 à Paris.

Par la diversité et la modernité de son œuvre, qui renouvelle le genre romanesque et bouscule les conventions théâtrales et cinématographiques, elle est un auteur important de la seconde moitié du xxe siècle, quelles que soient les critiques qui aient pu être adressées à son œuvre.

En 1950, elle est révélée par un roman d'inspiration autobiographique, Un barrage contre le Pacifique. Associée, dans un premier temps, au mouvement duNouveau Roman, elle publie ensuite régulièrement des romans qui font connaître sa voix particulière avec la déstructuration des phrases, des personnages, de l'action et du temps, et ses thèmes comme l'attente, l'amour, la sensualité féminine ou l'alcool : Moderato cantabile (1958), Le Ravissement de Lol V. Stein(1964), Le Vice-Consul (1966), La Maladie de la mort (1982), Yann Andréa Steiner (1992), dédié à son dernier compagnon Yann Andréa, écrivain, qui après sa mort deviendra son exécuteur littéraire, ou encore Écrire (1993).

Elle rencontre un immense succès public avec L'Amant, Prix Goncourt en 1984, autofiction sur les expériences sexuelles et amoureuses de son adolescence dans l'Indochine des années 1930, qu'elle réécrira en 1991 sous le titre de L'Amant de la Chine du Nord.

Elle écrit aussi pour le théâtre, souvent des adaptations de ses romans comme Le Square paru en 1955 et représenté en 1957, ainsi que de nouvelles pièces, telle Savannah Bay en 1982, et pour le cinéma : elle écrit en 1959 le scénario et les dialogues du film Hiroshima mon amour d'Alain Resnais dont elle publie la transcription en 1960. Elle réalise elle-même des films originaux comme India Song, en 1975, ou Le Camion en 1977 avec l'acteur Gérard Depardieu.

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

Lire tous les textes et articles de Matthieu Gosztola

 

Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com