C’est quoi ce roman ?, Corinne Devillaire
C’est quoi ce roman ?, janvier 2014, 224 pages, 19 €
Ecrivain(s): Corinne Devillaire Edition: Thierry Marchaisse
Titre adapté, tant dans les mots que dans le point d’interrogation. C’est ce qu’on se dit en abordant les premières pages, mais très vite on complète – c’est quoi ? on veut savoir ! et de lire – grandes enjambées enthousiastes… une pincée d’heures de lecture jouissive !
Roman de littérature « française » (cette compétence labellisée à faire surgir les remous des familles). Comme tant d’autres, plus ou moins attachants, ou même réussis ? Et bien, non ! Tout autre chose, presque indéfinissable : une ratatouille, un salmigondis de sentiments, de relations et rapports entre les uns, les autres, et même le chien. Famille « brouillée », signaux compliqués ; chemins sans repères. Labyrinthe… dans lequel Corinne Devillaire se plaît à nous perdre de la première à la dernière de ces étranges pages.
Tableau posé en quelques lignes : le père, la mère – attention, psy de métier ! un gamin attachant – très –, Pierre, deux filles, Clarisse et Clotilde – grandes ados oscillant entre secrets et mal être qui sied à l’âge, à l’abri d’un scolaire surdoué. Génération qui précède : une grand-mère d’un genre particulier, un grand-père d’un second mariage, Robert – attention, le chien se nomme aussi Robert – encore plus à part…
Banal ? Que non pas ! Tout est « de travers » dans cette histoire de famille, comme un mécano monté avec erreurs. Ça semble fonctionner ; il y a le bruit de la vie – le quotidien, les activités, les désirs, les affects apparents ; les sentiments – là, ça dérape, et les chemins se perdent, comme s’il n’y avait plus de panneaux (interdit, stop, ralentir, dangereux). Tout est « cul par-dessus tête » par moments, mais c’est pourtant de l’amour qui coule, et en quantité, au risque de tout noyer…
Le père décline au fur et à mesure, une fragilité enracinée dans sa lointaine enfance ; la mère patauge entre la vie telle qu’elle se présente et ses certitudes professionnelles. Le théâtre des opérations est sis chez les grands-parents – essai de réconciliation, sous l’égide de la mère-psy, sur la route de retour des vacances, entre le fils et sa mère : « je précise que papa n’est pas particulièrement proche de sa mère», écrit le petit Pierre. Jusque-là, dirait l’autre, tout va bien, dans un roman ! Sauf que, dès l’abord, la facture du récit nous titille : alternance entre des « dépositions » de Clarisse, les « mémoires » de Clotilde, les « séances d’hypnose » du père ; tout ça encadré par le journal de Malou, la grand-mère. On flaire quelque chose, mais quoi ? Et on ne regrette pas le tour de manège – cœur bien accroché, s’il vous plaît ! Il y a « une » grand-mère du début – 30 Août 15 heures : « l’arrivée à l’improviste de mon fils et de sa famille me ramène avec une violence inouïe à la réalité des années écoulées. Et une idée me terrorise. Se pourrait-il qu’au seul contact de cette progéniture bruyante ressurgissent les rides dont Robert (le mari chirurgien) m’a presque débarrassé le visage ? », et par vagues de transformations successives, « une » autre – 2 Septembre 9 heures : « ne plus chercher à plaire telle que je parais, mais être aimée telle que je suis. Je suis décidée à faire mon âge ». Jusque-là… haussez-vous les épaules ! Mais, l’agent transformateur est une passion (amoureuse ! à n’en pas douter) entre Malou et le gamin… Ailleurs, la marmite aux sentiments bout aussi, à vous faire peur ! Haine recuite entre le fils abandonné (de très belles pages) et sa mère ; cheminement d’une passion absolue – remarquablement déclinée (on croit assez longtemps que ce sont des fantasmes) – entre Clotilde, la secrète littéraire, et, disons, quelqu’un qui n’est pas du tout de son âge, et qui relève du cercle de famille. Nœud gordien de ce récit posé entre « famille, je vous hais » et curieuses déclinaisons du verbe aimer… Pataquès fascinant, étiré sur quelques jours de fin d’été. On termine ce livre en se demandant quel réalisateur – et avec quels acteurs – fera, demain, le film ? Hélas, Chabrol est mort.
Martine L Petauton
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