Borne 45, Denis Hamel (par Murielle Compère-Demarcy)
Borne 45, Denis Hamel, Éditions du Petit Pavé, Coll. Le Semainier, janvier 2020, 47 pages, 8 €
À première lecture, en le feuilletant, ce recueil poétique signé Denis Hamel pourrait sembler être écrit dans la tonalité de cet « abîme de fleurs noires » dont parle le poète sur « une route d’automne pétrie d’angoisse ». Et l’inquiétude – « l’intranquillité qui a donné son nom/ au livre de Pessoa » – traverse effectivement ce road-movie poétique. Mais un autre noir vient recouvrir le premier et diffuser sa lumière sur la page de l’existence notée ici work in progress, avec une spontanéité créative collée au plus près du rythme bringuebalant de la vie quotidienne
noircir page pour échapper au vide
car vide broie vie dans le silence
la vie broyée qui ne peut vivre
cherche lumière en page noircie
Où en sommes-nous avec nous-mêmes au mitan du chemin de la vie, à la Borne 45 de l’existence ? Quel état des lieux peut s’établir et peut-il l’être si « le temps est comme un point » tel un instant succède à un autre instant (« survivre au jour le jour ») sans qu’une ligne n’ouvre de perspective, ou tel un point se juxtapose à un autre dans « une ligne (toute) tracée » sans qu’un sens soit assigné pour s’acheminer vers une quête nommée ou objective ? Où en est le poète « après des années de crasses et d’ennui » ?
En relisant plus avant le recueil, il semble que la verticalité l’emporte – figurée par l’illustration de couverture signée Marie-Anne Bruch – et que le poète puisse se tenir sur « un pont qui a été construit/sur lequel nous nous rejoignons ». La mue opérée à la Borne 45 métamorphose celui qui « glisse à terre comme peau de serpent », rampe pour s’éveiller à un autre lui-même « sur le chemin de la négation » où un être, seul « dans la forêt des histoires », demeure « ébloui d’un rayon orangé qui passe entre les cimes », où l’amour « dure le temps nécessaire/à l’accomplissement/de ce qu’il y a de meilleur en nous (…) ». Ce rayon orangé est la lumière comme d’un vitrail éclairant la rencontre de deux êtres (cf. « chanson du soir », « lettre-poème à Marie-Anne »).
Dans les poèmes de Denis Hamel résonne le glas du terrible, submergeant celui qui se tient « loin desconvulsions du monde », à la dérive « dans le courant qui emporte tout », abîmé par les déceptions, lucide jusqu’à la souffrance, tiré vers l’obscurité par l’inquiétude, le ressassement des maux/mots dans la tête, la dépression occultant tout secours spirituel (« la dépression d’hiver m’a éloigné de toute spiritualité »), habitant « la maison de l’être » : « le langage, dont les murs sont des carcasses ». La négativité semble mener le combat de l’ange contre ses propres démons et contre les forces nocives du monde, et si la verticalité l’emporte, sa victoire, gagnée de justesse, n’est peut-être que provisoire. Mais sa non-garantie signe une autre victoire : celle sur ce qui n’est pas « gagné d’avance », qui surgit parfois au milieu de nulle part, dans un hall d’attente, une clairière au sortir du noir, dans « les entrelacs » inattendus de la vie…
à la croisée des deux sentiers
tu étais là qui m’attendais
j’ai pris ta main tu m’as guidé
je suis sorti de la forêt
Murielle Compère-Demarcy
Denis Hamel est né en 1973. Il vit et travaille à Paris. Il lit de la poésie depuis 1995, en écrit depuis 1999 et en publie (peu) en revue depuis 2002.
- Vu : 1984