Bobby Beausoleil et autres anges cruels, Fabrice Gaignault
Bobby Beausoleil et autres anges cruels, avril 2017, 232 pages, 20 €
Ecrivain(s): Fabrice Gaignault Edition: Séguier
San Francisco, le 27 juillet 1969, Gary Hinman, pacifiste bouddhiste, professeur de musique, à l’occasion dealer de drogue, succombe sous les coups de couteau de Bobby Beausoleil. Un fait divers sordide qui aurait pu rapidement tomber dans l’oubli si la personnalité du meurtrier et ses relations amicales ne lui avaient donné une « aura » maléfique.
Bobby Beausoleil, en cette fin des années 60, fait partie de ces innombrables musiciens errant de Los Angeles à San Francisco en quête de gloire, une guitare en bandoulière, un haut de forme vissé sur la tête, un chien blanc au bout d’une laisse. Beau, arrogant, hâbleur, il « jamme » avec quelques-unes des stars du rock, rêve de monter un groupe et fréquente un certain James Manson ainsi que sa « Famille ». Une histoire de Sex, Drugs and Rock and Roll qui va virer au cauchemar.
Au-delà de la biographie – ne révélant pas, sur le plan purement factuel, grand-chose de plus qui n’ait été déjà dit ou écrit dans les médias – de celui qui aurait pu entrer dans les charts, le livre de Fabrice Gaignault ne saurait être mieux défini que par ces quelques phrases de l’écrivain : « Bobby Beausoleil et autres anges cruels est l’autopsie d’un meurtre : celui de la fin des illusions hippies. Celui d’une Amérique enfuie dont je me suis attaché les traces en partant à la rencontre des témoins ultimes de cette tragédie. Avec, comme dans mes autres livres, des échos aussi bien paisibles que tragiques, à ma propre existence » (1).
Suite à un prologue dans lequel l’auteur et journaliste revient sur son enfance et sur son adolescence marquées par le mythe de la route 66, le rock et le surf, et laisse percer une blessure dont on ne comprendra l’origine qu’à la fin du livre, les chapitres suivants alternent enquêtes de terrain, passages biographiques avec retranscriptions d’interrogatoires policiers et d’interviews journalistiques, dont des extraits de celle de 1973 parfaitement déjantée, réalisée par Truman Capote, interviews de ceux et celles, anciennes légendes des sixties, producteurs ou musiciens, qui avaient ou auraient pu croiser le chemin de Bobby, mails et courriers émouvants échangés avec Bobby depuis sa prison, détours sur les traces de Gram Parsons, le musicien éphémère des Byrds et ami intime de Keith Richards, narration des longues heures passées par l’auteur sur les routes de l’Ouest américain en écoutant en boucle The Radio song de Gene Clark, parenthèses parisiennes avec Pamela Des Barres, la plus célèbre groupie californienne des années ‘60 et avec l’écrivain Yves Adrien, Le fantôme, etc.
Un melting-pot littéraire, une « ballade » biographico-folk-country-rock-psychédélique, une interrogation sur la notoriété et l’anonymat qui dégagent un parfum savamment dosé de nostalgie, de fantasmes et de cruelles réalités. Des éclats de souvenirs, des fragments de vie, « tant que l’avenir n’osera oublier le passé », superbement contés.
Balançant entre le clair et l’obscur, le bien et le mal, il ressort de l’ouvrage au travers de multiples témoignages combien cette fin des années ‘60 fut l’agonie du peace and love, un point chaud dans la coexistence « du sublime et de l’effrayant ».
Un basculement implacable, comme l’illustrent avec un brin d’humour noir les propos de Peter Albin, l’ancien bassiste de Big Brother and The Holding Company, ayant compté Janis Joplin parmi ses membres : « Le vrai Summer of Love, contrairement à ce qu’affirment les historiens, s’est déroulé l’été 1966. Dès 1967, ça a commencé à mal tourner. En 1966, tu tendais ton joint au premier venu sur Haight-Ashbury. En 1967, le premier venu essayait de t’embrouiller pour le conserver. En 1968, le premier venu se barrait en courant avec. En 1969, le premier venu te flinguait avant de le récupérer » (p.185).
Ou bien encore la réflexion de Mirandi Babitz, ex-styliste ayant habillé le gratin du showbiz en mode hippie chic, et sœur d’Eve, journaliste, romancière, illustratrice de pochettes de disques : « Aujourd’hui, il est préférable de voir “La Famille” comme l’abominable excroissance d’un corps sain. Le cancer d’une époque idyllique. C’est une vision des choses aussi simpliste que fausse. Neil Young partage avec moi cette idée qu’à ce moment-là tout était bien plus mêlé que les exégètes de l’époque ne nous l’affirment » (p.112).
Et lorsque la silhouette sulfureuse de Kenneth Angers, pape du cinéma underground de l’époque, se profile derrière celle longiligne de Bobby Beausoleil, la messe (noire) est dite. Alors Bobby Beausoleil, dit « Cupid » (Cupidon), « Bummer Bob » (Bob-la-poisse), « Lucifer » pour Kenneth Angers, avait-il, dès sa naissance, son destin inscrit dans la dérive satanique qui épouvanta l’Amérique de la fin des sixties ? Le livre de Fabrice Gaignault le suggère, comme il égrène la liste interminable des figures disparues, victimes de leurs addictions, de leurs excès ou de leurs troubles psychologiques et ne se montre pas toujours tendre avec ceux qui survécurent.
Depuis son transfert en 2015 dans l’Établissement médical de Californie à Vacaville, mouroir pour les condamnés à perpétuité, Bobby Beausoleil continue à « avancer, trébucher, se relever », composer de la musique, peindre et accompagner les derniers moments de vie de ses codétenus.
Le chemin de croix d’une rédemption toujours en devenir.
Catherine Dutigny/Elsa
(1) Pourquoi j’ai écrit Bobby Beausoleil et autres anges cruels de Fabrice Gaignault sur sa page facebook.
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