Blond cendré, Éric Paradisi
Blond cendré, septembre 2014, 249 pages, 18 €
Ecrivain(s): Éric Paradisi Edition: Jean-Claude Lattès
Le roman d’Eric Paradisi met en scène deux personnages au temps de l’Italie fasciste : Maurizio est coiffeur dans le ghetto de Rome, Alba est une militante, elle transmet des messages de la Résistance au péril de sa vie. Ils se rencontrent à Rome et tombent amoureux l’un de l’autre. Les autorités allemandes décident la déportation des Juifs italiens, par le biais de rafles organisées à grande échelle. Maurizio est déporté à Auschwitz ; il survit en devenant coiffeur, le barbier de sa baraque. Il se souvient d’Alba, de la couleur de ses cheveux, le blond cendré, dont il a conservé une mèche. Au retour des camps, Maurizio décide d’émigrer vers l’Argentine en 1948, pour tenter de fuir l’Europe, meurtrie par la guerre, n’ayant pas encore mesuré toute la dimension spécifique et unique de la Shoah.
Pourtant, Maurizio s’applique à exercer correctement son métier, ce qu’il parvient excellemment à faire, se constituant une clientèle fidèle qui fait prospérer son salon. Il perpétue l’amour de cette femme, Alba, et repense à ce qu’aurait pu être sa vie avec Alba :
« Bien sûr qu’Alba serait devenue sa femme, et ils se seraient aimés comme des revenants, éternellement unis au corps de l’autre pour se sentir en vie (…) car l’esprit d’Alba, où qu’elle fût, nourrissait sans cesse le sien ».
Pourtant, Maurizio est rattrapé par son passé de déporté ; il croit reconnaître au salon l’un des anciens miliciens ayant participé à son arrestation ; il le tue, avec son rasoir de coiffeur, et n’est pas découvert. Il y a dans ce roman beaucoup de réflexions et d’observations sur l’histoire de la déportation, sa mémoire, son intégration dans l’histoire, qui ne fut pas immédiate comme on le sait maintenant, mais nécessita du recul et des travaux historiographiques considérables. Ce qui frappe, c’est le lien que font les personnages, Maurizio et ses proches, entre le passé et le présent, l’histoire de l’Italie de la Guerre froide, celle de l’Argentine de la dictature militaire des années 70. Comme si les périls n’étaient jamais vraiment éteints, comme si les dangers se rappelaient à notre bon souvenir, pour nous suggérer leur éventuelle reproductibilité…
Dans la seconde partie du roman, l’auteur fait dialoguer la petite-fille de Maurizio avec l’homme qu’elle aime. C’est un récit à la deuxième personne du singulier, plus distancié, plus impersonnel mais qui crée les conditions d’un dialogue entre morts et vivants, au cours duquel l’amour l’emporte sur la cruauté du monde :
« Ne restait d’elle que la couleur trouvée en lui, ce blond cendré qui l’avait rendu libre (…) Il sut alors qu’il avait bâti un sanctuaire pour chacune des femmes dont il avait profané la chevelure. Toutes reposaient dans son salon, toutes attendaient le moment où Maurizio restituerait aux vivants l’au-delà de leur beauté ».
Stéphane Bret
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